“Connaître l’histoire de cette couleur” (entretien avec Guy Cassiers)

Entretien
Théâtre

“Connaître l’histoire de cette couleur” (entretien avec Guy Cassiers)

Le 10 Juil 2017
"Le sec et l'humide", mise en scène de Guy Cassiers. Photo Christophe Raynaud de Lage
"Le sec et l'humide", mise en scène de Guy Cassiers. Photo Christophe Raynaud de Lage
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Existe-t-il, selon vous, un prob­lème spé­ci­fique d’accès des artistes issus de l’immigration aux scènes européennes ? 

Guy Cassiers : Nos villes, grandes ou moins grandes, sont dev­enues mul­ti­cul­turelles et super-divers­es. L’évolution démo­graphique le prou­ve sans con­teste. Les poli­tiques qui veu­lent encore nous faire croire que nous avons le choix en la matière se moquent de nous et d’eux-mêmes. La diver­sité est un fait accom­pli. Nos villes sont dev­enues des lieux de ren­con­tre, et par là-même des lieux de con­flits, au cœur desquels l’histoire et le monde se téle­scopent. Les villes européennes por­tent les traces de leur passé colo­nial, de l’immigration ouvrière et des con­flits inter­na­tionaux que les réfugiés appor­tent avec eux. Ce mélange pro­duit un nou­veau ter­reau cul­turel. Toutes ces his­toires doivent être racon­tées, toutes ces voix enten­dues. Nous sommes devant une impor­tante croisée des chemins : com­ment les struc­tures artis­tiques doivent-elles se join­dre aux nou­velles éner­gies cul­turelles et artis­tiques dans nos villes et vice ver­sa ? Ceci exige des struc­tures artis­tiques une autre atti­tude, une autre disponi­bil­ité, un dia­logue plus ouvert qu’auparavant, dans une société plus homogène.  

Il sem­ble que le théâtre soit à la traîne d’une ten­dance à la diver­si­fi­ca­tion des artistes sen­si­ble en par­ti­c­uli­er dans la danse ou la musique, et à plus forte rai­son dans l’audiovisuel, depuis des années ? Pourquoi une telle résis­tance ou réti­cence ?

Guy Cassiers : Pour ce qui est de la Flan­dre, je crois que la spé­ci­ficité de notre prob­lé­ma­tique lin­guis­tique y a joué un rôle pri­mor­dial. Une bonne dic­tion du néer­landais a longtemps été une con­di­tion sine qua non pour se tenir sur la scène. Bien que l’on entende de plus en plus de fla­mand sur les planch­es les dernières années, la norme lin­guis­tique néer­landaise a été con­servée dans les for­ma­tions. Pour le théâtre, la langue nationale est fon­da­men­tale. Si le théâtre veut se tourn­er et se laiss­er nour­rir par la diver­sité, cela aura incon­testable­ment des réper­cus­sions sur la langue employée sur la scène. Faut-il avoir recours, et simul­tané­ment, à plusieurs langues dans les spec­ta­cles ? Et à dif­férentes vari­antes de la langue nationale ? On voit émerg­er des expéri­men­tions dans cette direc­tion. La danse, la musique et les arts audio­vi­suels sont déjà plus ouverts au dia­logue avec les artistes d’autres cul­tures.

Com­ment sor­tir d’un sys­tème de dis­tri­b­u­tion où les comé­di­ens issus de l’immigration sont le plus sou­vent relégués à des rôles sub­al­ternes, ou pire, à des rôles les con­duisant à sur­jouer les stéréo­types eth­niques ou raci­aux imposés par la société ?

Guy Cassiers : Quel serait le rôle le plus intéres­sant pour un acteur d’origine africaine ? Oth­el­lo ou Ham­let ? Dans le pre­mier cas, c’est une sorte de type­cast­ing : Oth­el­lo est noir et doit donc être joué par un acteur noir ; dans le sec­ond cas, on ne tient aucun compte de la couleur de l’acteur. Peter Brook a fait plusieurs spec­ta­cles dans ce genre. Je trou­ve impor­tant que les acteurs de couleur soient mieux représen­tés, surtout dans des spec­ta­cles qui ne trait­ent pas directe­ment de diver­sité. J’ai récem­ment mis en scène De moed om te doden (La force de tuer) de Lars Noren avec une jeune actrice noire. Rien dans le texte n’indique que le per­son­nage soit africain. Il ne réfère jamais à sa couleur ou à son orig­ine. Pour­tant sa présence donne à l’histoire une autre dimen­sion. Cela mon­tre bien que nous ne sommes pas à même de regarder la couleur avec neu­tral­ité. Ce moment arrivera peut-être, mais pour le moment, la couleur racon­te encore une his­toire toute per­son­nelle. Il est impor­tant de con­naître l’histoire de cette couleur. Com­bi­en de spec­ta­cles de jeunes créa­teurs avec d’autres antécé­dents cul­turels ne par­lent-ils pas d’identité, d’oppression, de pos­si­bil­ités d’émancipation. Il me sem­ble cap­i­tal qu’ils en par­lent, et que nous les écoutions.

Le théâtre souf­fre-t-il d’une forme d’inconscient cul­turel colo­nial ? 

Guy Cassiers : Il ne faudrait surtout pas sous-estimer les réper­cus­sions incon­scientes du colo­nial­isme. Il est d’ailleurs encore très proche de nous dans le temps. Le Con­go n’a con­quis son indépen­dance de la Bel­gique qu’au début des années soix­ante, voici à peine un demi-siè­cle. Quant à l’immigration ouvrière en prove­nance du Maroc et de la Turquie, elle n’a com­mencé que pen­dant les années cinquante. Notre his­toire colo­niale ni notre his­toire de l’immigration, n’ont inté­gré le cul­turel et l’artistique. Les dernières années, nous sommes con­fron­tés à des réfugiés du Moyen Ori­ent. Tout cela devrait nous per­suad­er plus intime­ment aujourd’hui que tout est relié. De nom­breux con­flits inter­na­tionaux, qu’ils se déroulent au Moyen Ori­ent ou en Afrique, pren­nent leurs racines dans l’histoire colo­niale européenne. Il nous faut pren­dre con­science de cette rela­tion causale. Com­pren­dre que nous vivons et tra­vail­lons dans le même monde. Plus nous y tar­dons, plus dif­fi­cile sera le dia­logue. Et ce dia­logue, il nous fau­dra l’établir.

(…)

L'intégralité de cet entretien sera disponible prochainement sur notre site.
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Christian Jade
Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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