Diversité culturelle, entre le mythe de l’harmonie sociale et le spectre de l’uniformisation
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Diversité culturelle, entre le mythe de l’harmonie sociale et le spectre de l’uniformisation

Le 27 Sep 2025
Adrienne D’Anna, Olivia Harkay, Valérie Kurevic, Martine De Michele et Nancy Nkusi (devant) dans La Rive de Martine De Michele, en Cie du Sud, Théâtre National, Bruxelles, 2017. Photo Dominique Houcmant/Goldo.
Adrienne D’Anna, Olivia Harkay, Valérie Kurevic, Martine De Michele et Nancy Nkusi (devant) dans La Rive de Martine De Michele, en Cie du Sud, Théâtre National, Bruxelles, 2017. Photo Dominique Houcmant/Goldo.
Adrienne D’Anna, Olivia Harkay, Valérie Kurevic, Martine De Michele et Nancy Nkusi (devant) dans La Rive de Martine De Michele, en Cie du Sud, Théâtre National, Bruxelles, 2017. Photo Dominique Houcmant/Goldo.
Adrienne D’Anna, Olivia Harkay, Valérie Kurevic, Martine De Michele et Nancy Nkusi (devant) dans La Rive de Martine De Michele, en Cie du Sud, Théâtre National, Bruxelles, 2017. Photo Dominique Houcmant/Goldo.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 133 - Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes?
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La « diver­sité cul­turelle » est sous-ten­due par de mul­ti­ples ques­tions qui con­cer­nent les par­cours de vie, les cur­sus sco­laires, les héritages famil­i­aux, les milieux dans lesquels on évolue… Retour sur ces dimen­sions avec Mar­tine de Michele qui a créé En Com­pag­nie du Sud avec laque­lle elle a présen­té trois spec­ta­cles : Mon­ten­ero ; La Rive ; Les Fils de Hasard, Espérance et Bonne for­tune.

En Bel­gique, on con­sid­ère com­muné­ment l’immigration ital­i­enne comme anci­enne et totale­ment assim­ilée. Or, ces trois spec­ta­cles sem­blent tra­ver­sés par une quête d’identité peu affir­mée comme telle mais qui se lirait plutôt comme une con­struc­tion à entre­pren­dre, une per­spec­tive, un avenir. Si l’appellation « En Com­pag­nie du Sud » doit davan­tage au hasard qu’à un pro­jet reven­di­catif, la com­pag­nie est pour­tant con­sti­tuée de mem­bres exclu­sive­ment féminins et d’origines cul­turelles var­iées. Ces spec­ta­cles reposent sur le chant, sur une cer­taine choral­ité comme vecteur du vivre-ensem­ble. Mon­ten­ero généra une demande à la com­pag­nie d’animer des ate­liers, notam­ment autour du chant ital­ien. Out­re les prob­lèmes économiques que pose cette activ­ité à côté des spec­ta­cles quand les asso­ci­a­tions deman­deuses ne peu­vent financer ce tra­vail de l’équipe, la diver­sité des publics lors des ate­liers fait sur­gir des ques­tions liées cette fois à l’interprétation. Pour­tant traduits par l’équipe, les chants et leur per­for­mance sont lus à tra­vers l’actualité et la reli­gion vient faire écran à l’art. Or, avec ces ate­liers, la com­pag­nie se refuse à faire de « l’occupationnel » et réflé­chit à la façon de les artic­uler le plus étroite­ment pos­si­ble aux spec­ta­cles. Si, au cours des représen­ta­tions des Fils de… , les gens chan­taient par­fois spon­tané­ment dans la salle, pour La Rive, la com­pag­nie tente d’organiser davan­tage ce moments d’intervention-participation du pub­lic. Les espace-temps pour le chant des par­tic­i­pants aux ate­liers, devenus pub­lic du spec­ta­cle, sont décrits à l’avance. Cet encadrement et l’auto-activation des chanteurs depuis la salle créaient des moments de très grande beauté. La sur­prise et la réponse du côté du plateau et le respect et l’empathie du côté de la salle pro­duisirent quelque chose d’inédit sur le plan de l’esthétique et un sur­croît d’attention, voire peut-être un sen­ti­ment de recon­nais­sance, du côté du pub­lic.

ND : Le sen­ti­ment d’une appar­te­nance cul­turelle s’est-il forgé dans ton par­cours ?

MDM : Pour ma part, à l’adolescence, cela s’est plutôt mar­qué par un rejet de l’italianité. Notam­ment parce que, à l’époque, dans les années 1970 – 80, je fai­sais par­tie de celles qui étaient prédes­tinées à devenir coif­feuses. À l’école, on ne croy­ait pas vrai­ment à nos capac­ités, on nous canal­i­sait dans des fil­ières. Certes, je bos­sais, mais un jour, un pro­fesseur m’a dit « main­tenant, je sais que tu peux y arriv­er…». Or, moi, je n’avais jamais douté qu’à cause de mon orig­ine, je pou­vais ne pas y arriv­er…

ND : Mais était-ce l’origine cul­turelle ou l’origine sociale ?

MDM : Quand tu es né ouvri­er, ital­ien, et en plus du sud, il faut faire tes armes et encore aujourd’hui… Je viens de Seraing.

ND : Com­ment s’est passée la ren­con­tre avec le théâtre ?

MDM : Pen­dant mon enfance, nous fai­sions des spec­ta­cles « famil­i­aux » au « Bon accueil sérésien », là où a été créé le spec­ta­cle du Théâtre de la Renais­sance Hasard, Espérance et Bonne for­tune mis en scène par Fran­cis d’Ostuni1. Le désir de théâtre naît sans doute là. Aux human­ités, je suis allée voir des spec­ta­cles dans le cadre de mes cours d’Arts d’expression. Ensuite, après mon Pre­mier Prix de Con­ser­va­toire, c’est pré­cisé­ment le Théâtre de la Renais­sance qui m’appelle pour me pro­pos­er de faire par­tie de la dis­tri­b­u­tion de Hasard, Espérance et Bonne for­tune qui ne com­por­tait que des Ital­iens. C’est un moment charnière où je ren­con­tre l’Histoire, celle de ces mineurs ital­iens venus en Bel­giqu que je ne con­nais­sais pas. Avec le Théâtre de la Renais­sance, dont Fran­cis d’Ostuni est alors le directeur, je ren­con­tre aus­si le théâtre-action. Les ques­tion­nements qui fleuris­sent alors se retrou­veront plus tard dans notre spec­ta­cle Mon­ten­ero : pourquoi unique­ment l’histoire des hommes ? Qu’ont vécu les femmes ? Il s’agissait à l’époque de mon­tr­er com­ment nous, les Ital­iens, étions bien inté­grés. Mais pour mes spec­ta­cles, je ne veux pas que des Ital­iens, je cherche à ouvrir vers quelque chose de plus uni­versel, car notre his­toire a aus­si changé celle de la Bel­gique…

ND : C’est l’entrelacement de trois axes : l’histoire cul­turelle et la ques­tion de l’italianité, l’histoire sociale et l’histoire des femmes…

MDM : Ce qui a été appris avec le théâtre-action reste un fonde­ment : on ne par­le que de ce qu’on con­naît, si on veut aller plus loin, il faut se ren­seign­er, on ne va pas sur le plateau si on n’a pas quelque chose à dire. Je trou­vais cela juste, tout comme le con­tact per­ma­nent avec la pop­u­la­tion. C’est ensuite que je ren­con­tre le milieu théâ­tral2. Cela déclenche un ques­tion­nement sur un cer­tain besoin de recon­nais­sance : j’ai acquis beau­coup d’expérience dans le théâtre-action et je ne sais finale­ment pas si cela est trans­pos­able ni même val­able dans l’autre théâtre…

ND : La com­mu­nauté ital­i­enne est bien représen­tée dans le théâtre-action. Était-ce un levi­er pour être recon­nu dans la société et « entr­er en théâtre » ?

MDM : Aujourd’hui, la « diver­sité cul­turelle », la « dis­crim­i­na­tion » sont au cœur du tra­vail de mul­ti­ples asso­ci­a­tions qui ont besoin d’outils et de moyens. Mais elles sont récupérées par de gross­es struc­tures qui hiérar­chisent cette diver­sité et l’utilisent pour acca­parer les moyens financiers, notam­ment européens. Com­ment va-t-on faire alors pour garder cha­cun notre par­tic­u­lar­ité ?

ND : Pour résis­ter à cette réduc­tion de la diver­sité par des sit­u­a­tions monop­o­lis­tiques, à côté de l’invention artis­tique, il faut une inven­tiv­ité insti­tu­tion­nelle…

MDM : Et c’est la ren­con­tre aus­si avec un pub­lic qui n’a pas l’habitude d’aller au théâtre qui doit primer. Pour nos spec­ta­cles, nous n’allons pas chercher le pub­lic, les gens sont là, ils passent la porte.

  1. Un spec­ta­cle recréé par En Com­pag­nie du Sud sous le titre Les Fils de Hasard, Espérance et Bonne For­tune, à nou­veau présen­té du 7 au 25 novem­bre 2017 au Manège Fon­ck à Liège. ↩︎
  2. Issus pour­tant du même creuset des années 1970, le théâtre-action et « l’autre » théâtre ont des vies le plus sou­vent par­al­lèles. ↩︎
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Écrit par Nancy Delhalle
Nan­cy Del­halle est pro­fesseure à l’Université de Liège où elle dirige le Cen­tre d’Etudes et de Recherch­es sur...Plus d'info
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Couverture du numéro 133 - Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes?
#133
mai 2025

Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes ?

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Par Christian Jade
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