La « diversité culturelle » est sous-tendue par de multiples questions qui concernent les parcours de vie, les cursus scolaires, les héritages familiaux, les milieux dans lesquels on évolue… Retour sur ces dimensions avec Martine de Michele qui a créé En Compagnie du Sud avec laquelle elle a présenté trois spectacles : Montenero ; La Rive ; Les Fils de Hasard, Espérance et Bonne fortune.
En Belgique, on considère communément l’immigration italienne comme ancienne et totalement assimilée. Or, ces trois spectacles semblent traversés par une quête d’identité peu affirmée comme telle mais qui se lirait plutôt comme une construction à entreprendre, une perspective, un avenir. Si l’appellation « En Compagnie du Sud » doit davantage au hasard qu’à un projet revendicatif, la compagnie est pourtant constituée de membres exclusivement féminins et d’origines culturelles variées. Ces spectacles reposent sur le chant, sur une certaine choralité comme vecteur du vivre-ensemble. Montenero généra une demande à la compagnie d’animer des ateliers, notamment autour du chant italien. Outre les problèmes économiques que pose cette activité à côté des spectacles quand les associations demandeuses ne peuvent financer ce travail de l’équipe, la diversité des publics lors des ateliers fait surgir des questions liées cette fois à l’interprétation. Pourtant traduits par l’équipe, les chants et leur performance sont lus à travers l’actualité et la religion vient faire écran à l’art. Or, avec ces ateliers, la compagnie se refuse à faire de « l’occupationnel » et réfléchit à la façon de les articuler le plus étroitement possible aux spectacles. Si, au cours des représentations des Fils de… , les gens chantaient parfois spontanément dans la salle, pour La Rive, la compagnie tente d’organiser davantage ce moments d’intervention-participation du public. Les espace-temps pour le chant des participants aux ateliers, devenus public du spectacle, sont décrits à l’avance. Cet encadrement et l’auto-activation des chanteurs depuis la salle créaient des moments de très grande beauté. La surprise et la réponse du côté du plateau et le respect et l’empathie du côté de la salle produisirent quelque chose d’inédit sur le plan de l’esthétique et un surcroît d’attention, voire peut-être un sentiment de reconnaissance, du côté du public.
ND : Le sentiment d’une appartenance culturelle s’est-il forgé dans ton parcours ?
MDM : Pour ma part, à l’adolescence, cela s’est plutôt marqué par un rejet de l’italianité. Notamment parce que, à l’époque, dans les années 1970 – 80, je faisais partie de celles qui étaient prédestinées à devenir coiffeuses. À l’école, on ne croyait pas vraiment à nos capacités, on nous canalisait dans des filières. Certes, je bossais, mais un jour, un professeur m’a dit « maintenant, je sais que tu peux y arriver…». Or, moi, je n’avais jamais douté qu’à cause de mon origine, je pouvais ne pas y arriver…
ND : Mais était-ce l’origine culturelle ou l’origine sociale ?
MDM : Quand tu es né ouvrier, italien, et en plus du sud, il faut faire tes armes et encore aujourd’hui… Je viens de Seraing.
ND : Comment s’est passée la rencontre avec le théâtre ?
MDM : Pendant mon enfance, nous faisions des spectacles « familiaux » au « Bon accueil sérésien », là où a été créé le spectacle du Théâtre de la Renaissance Hasard, Espérance et Bonne fortune mis en scène par Francis d’Ostuni1. Le désir de théâtre naît sans doute là. Aux humanités, je suis allée voir des spectacles dans le cadre de mes cours d’Arts d’expression. Ensuite, après mon Premier Prix de Conservatoire, c’est précisément le Théâtre de la Renaissance qui m’appelle pour me proposer de faire partie de la distribution de Hasard, Espérance et Bonne fortune qui ne comportait que des Italiens. C’est un moment charnière où je rencontre l’Histoire, celle de ces mineurs italiens venus en Belgiqu que je ne connaissais pas. Avec le Théâtre de la Renaissance, dont Francis d’Ostuni est alors le directeur, je rencontre aussi le théâtre-action. Les questionnements qui fleurissent alors se retrouveront plus tard dans notre spectacle Montenero : pourquoi uniquement l’histoire des hommes ? Qu’ont vécu les femmes ? Il s’agissait à l’époque de montrer comment nous, les Italiens, étions bien intégrés. Mais pour mes spectacles, je ne veux pas que des Italiens, je cherche à ouvrir vers quelque chose de plus universel, car notre histoire a aussi changé celle de la Belgique…
ND : C’est l’entrelacement de trois axes : l’histoire culturelle et la question de l’italianité, l’histoire sociale et l’histoire des femmes…
MDM : Ce qui a été appris avec le théâtre-action reste un fondement : on ne parle que de ce qu’on connaît, si on veut aller plus loin, il faut se renseigner, on ne va pas sur le plateau si on n’a pas quelque chose à dire. Je trouvais cela juste, tout comme le contact permanent avec la population. C’est ensuite que je rencontre le milieu théâtral2. Cela déclenche un questionnement sur un certain besoin de reconnaissance : j’ai acquis beaucoup d’expérience dans le théâtre-action et je ne sais finalement pas si cela est transposable ni même valable dans l’autre théâtre…
ND : La communauté italienne est bien représentée dans le théâtre-action. Était-ce un levier pour être reconnu dans la société et « entrer en théâtre » ?
MDM : Aujourd’hui, la « diversité culturelle », la « discrimination » sont au cœur du travail de multiples associations qui ont besoin d’outils et de moyens. Mais elles sont récupérées par de grosses structures qui hiérarchisent cette diversité et l’utilisent pour accaparer les moyens financiers, notamment européens. Comment va-t-on faire alors pour garder chacun notre particularité ?
ND : Pour résister à cette réduction de la diversité par des situations monopolistiques, à côté de l’invention artistique, il faut une inventivité institutionnelle…
MDM : Et c’est la rencontre aussi avec un public qui n’a pas l’habitude d’aller au théâtre qui doit primer. Pour nos spectacles, nous n’allons pas chercher le public, les gens sont là, ils passent la porte.
- Un spectacle recréé par En Compagnie du Sud sous le titre Les Fils de Hasard, Espérance et Bonne Fortune, à nouveau présenté du 7 au 25 novembre 2017 au Manège Fonck à Liège. ↩︎
- Issus pourtant du même creuset des années 1970, le théâtre-action et « l’autre » théâtre ont des vies le plus souvent parallèles. ↩︎