La poétique du divers

Entretien
Théâtre

La poétique du divers

Entretien avec Bérangère Jannelle

Le 23 Oct 2017
Photo D.R.
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Com­ment définiriez-vous votre tra­vail de créa­tion artis­tique, envis­agé à l’aune de la « diver­sité cul­turelle » ? Et que revêt selon vous ce terme devenu d’usage courant au sein des insti­tu­tions cul­turelles ? 

Je dirais que je n’ai jamais abor­dé mon tra­vail de créa­tion artis­tique avec ce terme-là de la diver­sité, mais plutôt celui du divers, emprun­té d’ailleurs à Edouard Glis­sant.

Poé­tique du divers. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? C’est en fait très con­cret. Il s’ag­it pour moi de tra­vailler artis­tique­ment sur la rela­tion à celui/ceux qui sont dif­férents, a pri­ori loin de moi selon des critères “objec­tifs” mais dont je me sens proche selon de critères sub­jec­tifs, sen­si­bles, intimes et donc artis­tiques.

Dans ce cas, le divers est tout ce qui échappe par néces­sité à l’ap­par­te­nance à un ensem­ble prédéfi­ni con­sacré par des caté­gories comme le pays d’o­rig­ine, la reli­gion (ou son absence), le milieu social, le genre etc.

Ce divers-là qui est au coeur de mon tra­vail s’ex­erce, se déploie par exem­ple dans le fait de con­tin­uelle­ment entr­er et sor­tir du théâtre. Faire du théâtre hors du théâtre. Créer les con­di­tions de ren­con­tres avec le non-théâ­tral. Sociale­ment, géo­graphique­ment. C’est donc là encore la rencontre/ les ren­con­tres en elles-mêmes qui sus­ci­tent la créa­tion de nou­veaux lieux de théâtre, car il n’y a plus de lieu préétabli, il faut le réin­ven­ter. Ain­si depuis mon pre­mier spec­ta­cle le Décaméron dans la base de sous-marins de Lori­ent, je n’ai cessé d’in­ven­ter avec les habi­tants lieux en devenir de nou­velles fic­tions, ces ailleurs faits par le divers.

Cette démarche m’a amené plus loin à sor­tir du théâtre pour réalis­er des films de comme Sans Terre avec les paysans Sans Terre au Brésil ou Les Luci­oles avec les enfants de Château­roux. Dans les deux cas, il s’ag­it d’aven­tures poé­tiques inédites liées à la fois à la néces­sité et à l’év­i­dence de la ren­con­tre. Et au désir de faire en com­mun, de devenir une nou­velle com­mu­nauté qui soit un ensem­ble non pas fer­mé (comme l’est l’ensem­ble de référence), mais ouvert.

De la même façon au sein du lieu défi­ni comme théâtre (lieu physique), j’in­vite au tra­vail des comé­di­ens, comé­di­ennes, inter­prètes de langues dif­férentes. Je me suis moi-même déplacée beau­coup dans les autres langues, en faisant des spec­ta­cles avec la langue des autres comme O adver­sario au Brésil (por­tu­gais), le Décaméron en Ital­ie (français et ital­en), La République de Pla­ton au Burk­i­na Faso (français, minan, fo), Balzac en russe …
Je provoque la ren­con­tre sur le plateau avec des auteurs qui ne sont pas stricte­ment des auteurs de théâtre mais des philosophes, des romanciers, des poètes. Ce n’est là pas du tout un point anec­do­tique. Car la ren­con­tre qui est au coeur de la poé­tique du divers, — ne peut pas être à moitié ouverte. Sinon elle est aus­si à moitié fer­mée. Le divers au-delà d’un critère insti­tu­tion­nel engage en effet un être au monde sur l’ensem­ble de sa sen­si­bil­ité. Cela touche l’écri­t­ure, la pen­sée, les inter­prètes, les lieux de créa­tion, les pra­tiques de créa­tion, les medi­ums de la ren­con­tre.

Con­sid­érez-vous que les théâtres publics man­quent à leur mis­sion de ser­vice pub­lic, en ter­mes d’exigence de pro­mo­tion de la diver­sité cul­turelle au sein de nos sociétés européennes mul­ti­cul­turelles ? 

Aujour­d’hui il y a une ouver­ture, mais elle me sem­ble par­fois par­tielle.

L’autre, le dif­férent n’est jamais défi­ni une fois pour toutes. Comme dit Han­nah Arendt, il n’y a rien de plus changeant que les critères insti­tu­tion­nal­isés. L’autre est en devenir. Les caté­gories enfer­ment, le réel lui-même les dépasse avec une énergie for­mi­da­ble et le rôle des artistes et des insti­tu­tions publiques est sans doute d’être à l’af­fût de cela.

Pensez-vous que l’audiovisuel, ou d’autres secteurs du spec­ta­cle vivant tels que la danse ou la musique par exem­ple, rem­plis­sent davan­tage leur mis­sion de pro­mo­tion de la diver­sité que le théâtre ? 

C’est évi­dent. Le théâtre a tou­jours été un reflet du monde social, et beau­coup plus enfer­mé dans les mots de la tra­di­tion. Le théâtre est par­fois plus dans la représen­ta­tion du réel que dans le réel lui-même.

On pour­rait met­tre à l’en­vers cette phrase : plus il y a de poésie, plus il y a de réal­ité.

C’est un des maux qui guet­tent sans cesse le théâtre et qui provoque ce geste mag­nifique de tou­jours sur­vivre à sa pro­pre asphyx­ie. La danse et la musique, me sem­blent-ils, ont tou­jours été — à la marge — moins représen­ta­tives des con­ven­tions sociales, car elles ont leur lan­gage pro­pre qui n’est traduis­i­ble dans aucune langue offi­cielle.

Je veux dire, il y a eu le jazz, il y a eu les bal­lets clas­siques etc. mais le ter­ri­toire d’in­no­va­tion, le ter­ri­toire des pos­si­bles du réel, m’a sou­vent paru plus évi­dent dans ces deux arts du fait de l’ab­sence de lan­gage figé, du fait du mou­ve­ment pour une part intraduis­i­ble.

Il faudrait réfléchir longue­ment à tout cela mais je crois, oui, qu’avec la musique, avec la danse on est plus “humain”,  plus “essen­tiel” que “social. Donc on est plus divers.

(…)

L'intégralité de cet entretien sera prochainement disponible en accès libre dans le dossier "diversité" proposé sur notre site.
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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