Mani Soleymanlou, le miroir identitaire de la France
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Mani Soleymanlou, le miroir identitaire de la France

Le 25 Mai 2017
Trois, précédé de Un et Deux de Mani Soleymanlou, Théâtre Gérard Philipe, 2017. Photo Agathe Poupeney.
Trois, précédé de Un et Deux de Mani Soleymanlou, Théâtre Gérard Philipe, 2017. Photo Agathe Poupeney.
Trois, précédé de Un et Deux de Mani Soleymanlou, Théâtre Gérard Philipe, 2017. Photo Agathe Poupeney.
Trois, précédé de Un et Deux de Mani Soleymanlou, Théâtre Gérard Philipe, 2017. Photo Agathe Poupeney.
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Couverture du numéro 133 - Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes?
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Print­emps 2016. Sur la scène du Théâtre Gérard Philipe, du Théâtre Nation­al de Chail­lot et du Tar­mac, le met­teur en scène québé­cois Mani Soley­man­lou présen­tait Trois, précédé de Un et Deux, un trip­tyque qui dres­sait le por­trait d’une France n’hésitant pas à s’attaquer aux clichés iden­ti­taires.

Tout com­mence en 2009, lorsque le met­teur en scène est invité par le Théâtre de Quat’sous de Mon­tréal à présen­ter une carte blanche sur son milieu cul­turel. Il décide alors de par­ler de l’Iran, son pays de nais­sance qu’il a fui avec sa famille dans les années 1980 en rai­son du con­texte poli­tique. Très vite, le doute le saisit : com­ment par­ler d’un pays auquel il est vis­cérale­ment attaché par ses orig­ines, mais dans lequel il n’a pas gran­di ? « Je n’ai jamais voulu migr­er où que ce soit, écrit-il. J’ai migré mal­gré moi. » Iranien, Français ou Québé­cois, com­ment se définir ? Il ne sait plus trop. Le pre­mier volet, Un, émerge alors de cette volon­té de percer le trou­ble iden­ti­taire, en s’interrogeant sur ce qui con­stitue l’identité : est-ce le pays où l’on est né ou celui où l’on vit ? Dans une scéno­gra­phie con­sti­tuée de chais­es vides, Mani Soley­man­lou fait se suc­céder les per­son­nages de sa vie et se remé­more les décalages cul­turels qui ont jalon­né son enfance entre Téhéran, Paris, Ottawa, Toron­to puis Mon­tréal. Dans ce même espace arrive ensuite Deux. Mani Soley­man­lou dia­logue avec Emmanuel Schwartz et l’heure est à la con­fronta­tion des points de vue. Son ami, en effet, ne partage pas du tout la même urgence vis-à-vis de ce ques­tion­nement iden­ti­taire : il est québé­cois de souche, voilà tout, et le dia­logue sem­ble dans une impasse. Les deux pro­tag­o­nistes sont à présent accom­pa­g­nés de trente-huit comé­di­ens qui occu­pent l’ensemble des chais­es rigoureuse­ment ordon­nées sur le plateau. Le troisième volet est alors placé sous le signe de la choral­ité. Tan­dis qu’Un et Deux ont été joué à l’identique au Québec et en France, Trois a fait l’objet d’une com­mande et d’un nou­veau proces­sus de créa­tion, sur le mod­èle du volet cana­di­en créé en 2014. En 2016, avec la com­plic­ité du Théâtre Gérard Philipe, du Théâtre Nation­al de Chail­lot et du Tar­mac –trois théâtres impliqués dans la pro­duc­tion– Mani Soley­man­lou a ren­con­tré des comé­di­ens et sélec­tion­né trente-huit d’entre eux. Par­mi tous ces vis­ages, des ama­teurs et des pro­fes­sion­nels du théâtre, issus de divers­es orig­ines sociales, eth­niques et cul­turelles, des indi­vidus maintes fois « invis­i­bil­isés » sociale­ment qui, cette fois, pren­nent la parole. Tel est le groupe qui s’impose sous nos yeux.

Sur la base d’un ques­tion­naire envoyé à cha­cun –avec des inter­ro­ga­tions allant de leurs lieux de nais­sance à leurs hob­bies, leurs reli­gions ou encore leurs visions d’une poten­tielle six­ième République – ils ont tra­vail­lé trois semaines à l’épreuve du plateau, en impro­visant pour qu’émerge leur pro­pre vision de la société dans laque­lle ils évolu­ent quo­ti­di­en­nement. À peine arrivés sur le plateau, dans un même mou­ve­ment, les quar­ante comé­di­ens se lèvent. La scène et la salle sont face-à-face, et le miroir est aus­si bien d’un côté que de l’autre. Des dis­crim­i­na­tions vécues dans la cour d’école aux injus­tices dans le milieu pro­fes­sion­nel, en rai­son de la couleur de peau ou encore de la langue mater­nelle, les his­toires petit à petit défi­lent sous nos yeux et les iden­tités se dessi­nent. Ici pas de langue de bois, ils affron­tent les clichés et les esprits s’échauffent. Le met­teur en scène pointe égale­ment la manière dont la diver­sité est dev­enue une préoc­cu­pa­tion poli­tique, par­fois instru­men­tal­isée par l’ensemble de la pro­fes­sion. « C’est un souci à la mode, sans for­cé­ment que cela soit péjo­ratif. Mais c’est d’actualité ». Ironique­ment, le bud­get de sub­ven­tion aug­menterait-il en fonc­tion du choix des minorités impliquées dans le proces­sus artis­tique ? Le ques­tion­nement sur la dis­crim­i­na­tion pos­i­tive n’est donc pas lais­sé pour compte.

Dans ce trip­tyque, l’humour inter­vient sou­vent, comme une prise de recul néces­saire, une manière de désamorcer le con­flit par l’art du décalage. « On accède par le rire à une plus grande qual­ité d’écoute » affirme Mani Soley­man­lou, ajoutant par ailleurs com­bi­en l’auto-dérision a été une démarche essen­tielle, et ce, dès l’écriture du pre­mier volet. Et par­fois, le rire est si grinçant qu’il met mal à l’aise et que l’on arrive à se deman­der : au juste, de quoi rit-on ?

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Écrit par Alisonne Sinard
Après un par­cours d’études théâ­trales, de lit­téra­ture française (Paris III Sor­bonne Nou­velle) et de man­age­ment de la cul­ture...Plus d'info
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