“Travailler à l’équilibre des récits multiples du monde” (entretien avec Etienne Minoungou)

Entretien
Théâtre

“Travailler à l’équilibre des récits multiples du monde” (entretien avec Etienne Minoungou)

Le 18 Juil 2017
Etienne Minoungou dans "M'appelle Mohamed Ali" de Dieudonné Niangouna. Photo B. Mullenaert
Etienne Minoungou dans "M'appelle Mohamed Ali" de Dieudonné Niangouna. Photo B. Mullenaert
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Chris­t­ian Jade : Qu’est-ce que la diver­sité cul­turelle pour vous ?

Eti­enne Minoun­gou : Pour moi, c’est inviter l’ailleurs dans la con­struc­tion de nos points de vue. Le monde est venu à nous, Africains, de façon vio­lente et à l’heure actuelle, nous sommes dans l’obligation du dia­logue, même s’il y a encore des rela­tions con­flictuelles. Il faut donc laiss­er entr­er le monde de l’autre chez soi pour trou­ver une nou­velle manière de pou­voir être ensem­ble aujourd’hui. On doit tra­vailler à l’équilibre des réc­its mul­ti­ples du monde, on ne peut plus faire autrement : c’est ça la diver­sité cul­turelle.

C. J. : Quel accueil recevez-vous en Bel­gique et en France, deux pays colonisa­teurs ?

E. M. : Je ne me suis jamais sen­ti « mal accueil­li » peut-être parce que mon pro­pre pays, c’est moi-même… je suis la tortue qui trim­balle sa case partout où elle va… On ne va pas m’enfermer dans une géo­gra­phie lim­itée puisqu’il y a 17 ans que je vis à la fois en Europe et au Burk­i­na Faso. Ce côté un peu bal­ançoire entre deux con­ti­nents me donne une forme d’élasticité qui me plaît beau­coup. Par­fois on me dit : com­ment ça se passe « chez vous » ? Mais c’est quoi « chez moi » ? Schaer­beek, Oua­gadougou ou Kigali ?

C. J. : Quels sont les avan­tages et les incon­vénients d’une poli­tique volon­tariste, d’une « dis­crim­i­na­tion pos­i­tive » ?

E. M. : Il vaut mieux être trop volon­tariste que pas assez : c’est la pre­mière étape pour favoris­er l’émergence des réc­its mul­ti­ples. Je crois qu’il faut « dépan­ner l’Histoire » parce que l’Histoire des échanges cul­turels est en panne et les peurs resur­gis­sent un peu partout. Regardez l’ensemble des théâtres en Bel­gique : qui, issu de l’immigration, y dirige une insti­tu­tion impor­tante ? La diver­sité cul­turelle est absente à l’exception de petits ghet­tos où on enferme les Maro­cains comme l’Espace Magh : j’y vois une forme de con­de­scen­dance qui con­tribue à enfer­mer davan­tage les minorités. J’aimerais quelque chose de plus éclaté dans plusieurs théâtres. Le Théâtre de Poche a une tra­di­tion d’inviter du théâtre africain et la Charge du Rhinocéros a dif­fusé mon spec­ta­cle M’appelle Mohammed Ali de Dieudon­né Nian­gouna. Le Pub­lic et le Théâtre des Mar­tyrs m’ont invité. C’est très bien. Les choses avan­cent douce­ment !

C. J. : Y a‑t-il des leviers pour pro­mou­voir les artistes issus de cul­tures minorées ?

E. M. : J’aimerais bien voir, dans les théâtres, qui fait par­tie des comités de lec­ture et si la diver­sité cul­turelle y est représen­tée. S’ils étaient plus ouverts on pour­rait voir arriv­er dans la pro­gram­ma­tion des théâtres davan­tage de textes d’auteurs africains ou maghrébins et donc stim­uler une cer­taine diver­sité. S’il y avait aus­si plus de directeurs de théâtre issus des minorités, et plus sim­ple­ment, plus de bours­es d’écriture attribuées aux artistes issus des minorités, cela per­me­t­trait de résoudre naturelle­ment et pro­gres­sive­ment le prob­lème posé.

C. J. : Pourquoi y a‑t-il si peu d’Africains et d’autres publics minori­taires dans le pub­lic théâ­tral belge ?

E. M. : D’abord, les théâtres man­quent d’argent pour aller chercher ces publics. Je suis un cas par­ti­c­uli­er puisque j’ai mes potes dans le milieu africain, je les fais venir à la sym­pa­thie ou par Inter­net et si ça leur plait, ils revi­en­nent. C’est mon brico­lage à moi ! Mais pour séduire un nou­veau pub­lic jeune et adulte, il faut une étude sérieuse du milieu et des moyens pour les con­va­in­cre et les inviter… Et puis les places sont chères par rap­port au ciné­ma : si tu n’as pas d’abonnement, une place de théâtre, c’est le dou­ble du ciné­ma et le théâtre reste une habi­tude de « classe ». Il faut donc un volon­tarisme poli­tique avec des moyens financiers et de com­mu­ni­ca­tion plus inven­tive et ciblée, sinon on ne peut avancer.

C. J. : Dans notre société libérale, la pro­fes­sion d’acteur peut-elle encore attir­er des jeunes issus des minorités alors qu’elle rap­porte si peu ?

E. M. : La sit­u­a­tion de comé­di­en est dure pour tout le monde, et pas seule­ment pour les acteurs de l’immigration. Moi j’ai été appelé qua­tre fois en qua­torze ans dans des dis­tri­b­u­tions col­lec­tives. Une fois tous les trois ans, pour un rôle évidem­ment tou­jours africain : Bin­tou, Dar­win, Georges Dandin en Afrique… Donc pour me sauver, il n’y a plus que les « solos » et des pro­jets auto-portés,  plus renta­bles car plus faciles à exporter et à dis­tribuer. Avec cer­tains solos, je peux tourn­er deux ou trois ans. Mon con­seil aux acteurs de la diver­sité : « créez vos pro­pres his­toires, met­tez-les en scène vous-même, démarchez vous-même les théâtres, soyez vis­i­bles et prag­ma­tiques. ». N’attendez pas tou­jours un coup de fil.

Etienne Minoungou est à la fois comédien, conteur, metteur en scène et entrepreneur culturel. Il dirige depuis 2002 le festival biennal Récréâtrales qui rassemble à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, son pays natal, la crème de la création théâtrale de l’Afrique de l’Ouest. Mais il passe la moitié de son temps à Bruxelles, sa deuxième patrie, ou en tournée francophone entre l’Europe et l’Afrique avec des solos comme M’appelle Mohamed Ali de Dieudonné Niangouna, Cahier d’un retour au pays natal d'Aimé Césaire ou Si nous voulons vivre, d'après Encre, Sueur, Salive et Sang de Sony Labou Tansi.
Plusieurs des entretiens menés sur cette thématique sont disponibles en libre accès sur notre site. 
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Christian Jade
Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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