COLLECTIF LES LUCIOLES

Entretien
Théâtre

COLLECTIF LES LUCIOLES

Le 31 Mar 2020
LE BONHEUR, Collectif Les Lucioles. Crédit photo Nicolas Marie
LE BONHEUR, Collectif Les Lucioles. Crédit photo Nicolas Marie
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 139 - Nos alternatives
139

« La vie organique du groupe c’est le souf­fle, l’air… ça entre et ça sort tout le temps, et ça ramène de l’oxygène et des vents nou­veaux. »

Réponse d’un mem­bre des Luci­oles, lorsqu’en fin d’année 2019, on leur a demandé de par­ler de la vie organique du groupe.

(par ordre chronologique de répons­es)

Que faites-vous ensem­ble ?

Philippe Marteau

Le col­lec­tif per­met avant tout de se lancer. Comme un défi irré­press­ible, d’abord à soi-même et ensuite à l’ensemble : “j’ai envie d’es­say­er quelque chose avec ce texte, cet auteur.”

Et dans un pre­mier temps, à la marge des insti­tu­tions, sans dis­pos­er tou­jours de beau­coup de moyens, il est pos­si­ble de faire exis­ter un nou­v­el objet. Cela donne de l’en­cour­age­ment et de la con­fi­ance. Et sou­vent ça marche !  Au-delà de nos espérances. Et c’est ça qui est beau.

Nous nous con­nais­sons depuis 1991 et le regard que nous por­tons les uns sur les autres est néces­saire­ment pro­fond et com­plexe.

Il nous arrive par­fois de ne pas être d’ac­cord avec ce que fait l’autre. Nous agis­sons comme une démoc­ra­tie, rarement avec des votes, mais le plus sou­vent empirique­ment, tou­jours favor­ables au développe­ment des pro­jets.

La poli­tique n’est pas au cœur de nos dis­cus­sions, c’est ce qui se racon­te, ce qui se fab­rique dans les spec­ta­cles qui peut être poli­tique, socié­tal. Mais il s’ag­it prin­ci­pale­ment de trou­ver une réponse poé­tique.

Nous avons été influ­encés, en plus de nos expéri­ences per­son­nelles, par des maîtres qui la plu­part du temps venaient enseign­er à l’é­cole du TNB (Matthias Lang­hoff, Claude Régy, le Théâtre du Radeau, des gens moins recon­nus et des acteurs- actri­ces bien sûr aus­si…) et avec le temps le cer­cle s’est élar­gi, allant du ciné­ma au champ lit­téraire, et plus par­ti­c­ulière­ment con­tem­po­rain.

Le col­lec­tif per­met surtout de pren­dre son temps, le développe­ment per­son­nel de cha­cun est pri­mor­dial. C’est un accom­pa­g­ne­ment dans la durée, comme une épaule solide.

L’én­ergie cir­cule. De nou­velles per­son­nes entrent dans le groupe. Des ami­tiés fidèles se nouent. Des pas­sions se font et se défont. Comme une famille.

C’est tou­jours aujour­d’hui une forme de résis­tance.

HARLEM QUARTET @Tristan Jeanne-Valès

Valérie Schwar­cz

Qu’est-ce que vous faites ensem­ble ?

Quand deux per­son­nes qui s’ai­ment, pour ne pas dire un cou­ple, se posent cette ques­tion, ce n’est pas tou­jours bon signe ; je dirais qu’après vingt-cinq ans arrive le temps de se pos­er franche­ment la ques­tion.

Com­ment vous êtes-vous trou­vés ?

Nous étions ensem­ble dans la pre­mière pro­mo­tion de l’É­cole du TNB et l’év­i­dence a été de rester ensem­ble. La ques­tion du « pourquoi « était moins présente que celle du « com­ment ». Com­ment inven­ter une forme de col­lec­tif avec déjà des per­son­nal­ités fortes et par­fois antag­o­nistes, com­ment résis­ter à la pres­sion et à la ten­ta­tion de faire émerg­er tout de suite des individualités…à notre manière assez empirique et ludique, on a réus­si cela, un cer­tain temps.

Que refusez-vous ? qu’affirmez-vous ?

Nous avons tou­jours affir­mé la lib­erté pour cha­cun d’aller et venir en dehors du col­lec­tif et de pro­pos­er des pro­jets, de là découlait le fait que nous avons très vite eu plusieurs pro­jets en même temps portés par un.e porteur(se) de pro­jet dif­férent, sans oblig­a­tion aucune que tous y soient inclus, ce qui a créé du mou­ve­ment, mais aus­si un mou­ve­ment vers la sor­tie… et par­fois une dif­fi­culté à nous iden­ti­fi­er.

Quels sont vos objec­tifs ?

Je crois que nous voulions ça, un théâtre en mou­ve­ment, une lib­erté de jeu, expéri­menter les places

Com­ment se prend une déci­sion ?

C’est là où réside notre con­tra­dic­tion, le peu de déci­sions pris­es en com­mun sont d’or­dre admin­is­tra­tives, ou logistiques…au niveau artis­tique de plus en plus cha­cun défend son pro­jet et s’il a les argu­ments et les moyens de pro­duc­tion, on ne dis­cute pas ; ce n’é­tait pas for­cé­ment le cas au début mais on a ten­du vers ça au fur et à mesure que s’af­fir­maient les indi­vid­u­al­ités et les choix indi­vidu­els de faire de la mise en scène. Ain­si on se retrou­ve main­tenant sou­vent avec plusieurs pro­jets pro­duits par le col­lec­tif mais avec des économies et une vis­i­bil­ité très dif­férentes. On peut donc aus­si se faire de la con­cur­rence à nous-mêmes, ça peut créer des ten­sions et des incom­préhen­sions.…

Quelle est la vie organique du groupe ? Qui entre, qui sort ? (com­ment se vit la
fidél­ité)

A par­tir du moment où le col­lec­tif est devenu un col­lec­tif de met­teurs en scène (plus que d’ac­teurs) et que cha­cun est dans une logique de dis­tri­b­u­tion, il arrive de plus en plus sou­vent à tous de tra­vailler en dehors du col­lec­tif ; se pose bien sûr la ques­tion du désir, et de la fidél­ité …dis­ons que nous sommes absol­u­ment volages mais que nos ami­tiés peu­vent être fidèles…

Quelle est la durée de vie de cette asso­ci­a­tion ?

25 ans c’est déjà for­mi­da­ble, je crois que per­son­ne n’est resté sur le bord de la route, cha­cun s’est affir­mé dans ses choix, le col­lec­tif nous a ren­dus plus fort, nous en explorons encore les lim­ites…

Quelle appellation/signature ? col­lec­tif, bande, groupe, troupe, ensem­ble…

Théâtre des Luci­oles, col­lec­tif d’ac­teurs

Quelles sont vos influ­ences (théâ­trales et non théâ­trales ?)

Nous avons ren­con­tré des maîtres à l’é­cole qui nous ont inspiré, des met­teurs en scène (Régy, Lang­hoff, Gabi­ly, Col­in) des auteurs et autri­ces ont mar­qué nos pre­miers spec­ta­cles (Fass­binder, Copi, Noren, Leslie Kaplan)

Con­statez-vous un retour du leader ?

La ques­tion du rap­port au pou­voir est une ques­tion qui finit tou­jours par se pos­er au sein d’un col­lec­tif, sans par­ler des pres­sions de l’ex­térieur pour en effet iden­ti­fi­er claire­ment un (ou plusieurs) « chef » pour nom­mer, se référ­er etc… 

Quand on est soi-même plutôt méfi­ant par rap­port aux pris­es de pou­voir « l’im­bé­cil­lité essen­tielle de l’ex­er­ci­ce du pou­voir » dis­ait Duras, il est impor­tant de se met­tre en capac­ité de ne pas subir ; pour ma part je suis très partagée sur cette place dom­i­nante qu’a prise le « met­teur en scène » dans le paysage, et ça n’a pas tou­jours été le cas d’ailleurs… Je pense que l’ac­teur agis­sant est respon­s­able de ce qu’il fait et bien sou­vent au cen­tre du proces­sus de créa­tion mais ce n’est guère mis en avant.

Y‑a-t-il une dimen­sion poli­tique à votre démarche col­lec­tive, un pro­jet poli­tique à affirmer et défendre ?

Ce n’est pas ce qu’on remar­que de pre­mier abord, le pro­jet poli­tique, mais le choix des auteurs, autri­ces, artistes qui nous ont accom­pa­g­nés racon­te quelque chose de notre his­toire. Le prisme du poli­tique n’est pas le plus per­ti­nent je pense pour définir notre col­lec­tif, parce que notre fonc­tion­nement a tou­jours été très empirique, ce qui ne veut pas dire que nous n’ayons pas été à des moments très impliqués dans la cité, et auprès de pop­u­la­tions très dif­férentes (dans les quartiers, dans les pris­ons etc…)

Y‑a-t-il une men­ace à tra­vailler ensem­ble ?

La men­ace éty­mologique­ment vient d’en haut, de ce qui fait sail­lie, comme une épée de Damo­clès, le dan­ger viendrait plus de l’in­térieur, le dan­ger serait de ne plus avoir de désir, il faut donc tra­vailler à le renou­vel­er sans cesse…

Pierre Mail­let

Qu’est-ce que vous faites ensem­ble ? com­ment vous êtes-vous trou­vés ?

Après l’École du TNB qui n’existait pas avant notre arrivée en 91, la ques­tion ne s’est pas posée elle était évi­dente. Après 3 ans passés ensem­ble, on ne voulait pas se quit­ter. Non pas d’un point de vue roman­tique ou com­mu­nau­taire, mais parce qu’ensemble on savait que quel que soit notre geste artis­tique il serait plus fort, plus atyp­ique et plus puis­sant. Même si juste­ment en créant les Luci­oles en 94, nous n’avions pas de pro­jet artis­tique clair à part celui de con­stru­ire ensem­ble. La grande par­tic­u­lar­ité de notre ren­con­tre tient bien sûr du hasard puisqu’on ne s’est pas choi­sis, mais la grande réus­site de Chris­t­ian Col­in (notre directeur d’études) dans le choix des élèves a été tout de suite de défendre l’idée qu’un groupe ne pou­vait être con­sti­tué que d’individualités fortes. Nos dif­férences étaient grandes tant au niveau des âges (les plus grands avaient 28 ans et les plus jeunes 18) que des expéri­ences vécues par cha­cun. Nous n’avons jamais été con­sid­érés comme des élèves mais plutôt comme une troupe d’acteurs réu­nis pour 3 ans dans un grand théâtre où il fal­lait tout inven­ter et con­stru­ire : une école, sa place dans un théâtre et bien sûr dévelop­per nos univers artis­tiques. Dès le début la notion de sim­ple inter­prète a été non seule­ment évac­uée mais presque ban­nie. Du coup en sor­tant nous étions plus des chiens fous que des acteurs en attente que quelque chose arrive. Nous avons choisi l’indépendance et la lib­erté sans pour autant vivre en vase clos.

Que refusez-vous ? qu’affirmez-vous ?

Juste­ment je dirais que l’histoire des Luci­oles s’est écrite à par­tir de ce que nous ne voulions pas. A savoir un met­teur en scène extérieur qui met­trait en scène le « groupe » type Comédie Française. Ou une troupe avec un chef : à notre époque il n’y avait que ça : Stanis­las Nordey, Didi­er-Georges Gabi­ly, François Tan­guy, bien sûr Ari­ane Mnouchkine… des ban­des mais une seule vision artis­tique spec­ta­cle après spec­ta­cle. Para­doxale­ment nous ne croyions pas non plus à la mise en scène col­lec­tive. Nous ne voulions surtout pas « fer­mer » le groupe : si nous tra­vail­lions ensem­ble de manière exclu­sive on se serait séparés au bout d’un ou deux ans (ce dont tout le monde était per­suadé à part nous). Bref, encore une fois 25 ans plus tard je pense que de manière empirique, spec­ta­cle après spec­ta­cle, nous avons défendu et con­tin­uons d’affirmer que la con­fi­ance du groupe dans la con­struc­tion indi­vidu­elle de cha­cun lui donne une lib­erté qu’il n’aurait pas tout seul. C’est en tout cas mon cas. Si je dirigeais une com­pag­nie à mon nom, je serais face à des con­traintes dont le fonc­tion­nement des Luci­oles me libère. Nous sommes tous acteurs, et c’est ça qui nous met tous au même niveau ; mais pour ce qui est de la mise en scène ça me per­met de met­tre la néces­sité au cen­tre. Si je ne suis pas con­va­in­cu d’embarquer qui que ce soit dans une créa­tion, et bien je n’en fais pas. Je ne suis pas con­traint d’en faire une chaque année pour assur­er la vie de l’association. Mar­cial, Élise, Fred, Lau­rent Javal­oyes et moi avons tout de suite été ten­tés par la mise en scène, les 15 pre­mières années étaient surtout des créa­tions venant de nous qua­tre, puis Mélanie Ler­ay en a eu envie ; quant à David, Philippe et Valérie ils ont mené leurs pre­miers pro­jets passé leurs 40 ans. Les Luci­oles sont un cadre, un foy­er, une « mai­son » qui per­met tout ça. Être à l’écoute de ses pro­pres néces­sités, et pou­voir les con­cré­tis­er quand c’est le bon moment.

Quels sont vos objec­tifs ?

Que ça con­tin­ue.

Com­ment tra­vaillez-vous ?

Il n’y a pas de « méth­ode Luci­oles ». Cha­cun invente et/ou développe son chemin. Con­traire­ment à ce que nomme Valérie, je ne dirais pas que nous sommes passés du « col­lec­tif d’acteurs » à un « col­lec­tif de met­teurs en scène ». Je dirais plutôt que rétro­spec­tive­ment, et tou­jours aujourd’hui nous sommes un « col­lec­tif d’artistes ». C’est un terme un peu pom­peux mais plus ouvert et plus juste. Si nous faisons des spec­ta­cles de façon pyra­mi­dale (met­teur en scène, auteur, acteurs, etc…), il y a beau­coup de pro­jets qui sont nés (et qui nais­sent tou­jours) de façon dif­férente. Dont la fab­ri­ca­tion même définit la par­tic­u­lar­ité de la créa­tion, à savoir de très forts désirs d’acteurs qui essaient d’inventer une cir­cu­la­tion dans le tra­vail qui se passe de « regard extérieur ». Pour exem­ples « Copi un por­trait » signé par Mar­cial, Élise et moi ; la longue et belle his­toire qui unit Fred, Élise et l’auteur Leslie Kaplan avec pas moins de 4 spec­ta­cles à leur act­if ; David Jeanne-Comel­lo et le musi­cien Stéphane Fro­mentin pour jouer « Le dis­cours aux ani­maux » de Nova­ri­na ; Valérie Schwar­cz et Nathalie Pivain pour « Le reflet can­ni­bale » de Nel­ly Arcan ; la prochaine créa­tion de Philippe Marteau sur Édouard Louis et récem­ment en ce qui me con­cerne « One Night With Hol­ly Wood­lawn » un cabaret réu­nis­sant sur le plateau 2 musi­ciens, 1 acteur/musicien et 1 régis­seur général… Nous avons aus­si beau­coup mis en scène en duos : per­son­nelle­ment avec Lau­rent Javal­oyes et Mélanie Ler­ay, Élise Vigi­er avec Mar­cial Di Fon­zo Bo… Ce qui est sûr, c’est que quelles que soient les formes (et même celles apparem­ment plus clas­siques dans leur fab­ri­ca­tion) elles met­tent tou­jours l’acteur au cen­tre. Qu’il se laisse regarder ou qu’il force le regard, c’est tou­jours de lui dont il est ques­tion. Et le plaisir de jouer. Le plaisir c’est impor­tant. Pour moi il est signe de générosité, d’empathie et tout sim­ple­ment de vie. Là-dessus je pense qu’on est tous d’accord.

Comment se prend une déci­sion ?

« Il faut qu’on se voie, qu’on en par­le et qu’on décide ». Sou­venir d’une phrase que j’ai dite un jour un peu ten­du à Élise, et du fou rire com­mun qui s’en est suivi… Ceci dit ce n’est pas tout à fait faux.

Quelle est la vie organique du groupe ? Qui entre, qui sort ? (com­ment se vit la fidél­ité)

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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