Je ne suis plus qu’un masque.
Depuis que je le porte, je dis la vérité.1
Le masque se décline dans l’œuvre d’Olivier Py, métaphore, objet, vecteur, symbole, analogon d’une identité toujours en anamorphose, c’est un schème rémanent qui fut le cœur d’un entretien mené le 29 novembre 2019 et dont sont nées ces quelques pages pensées comme les linéaments d’un manifeste sur le masque où se fait entendre la parole du Poète.
« Le mensonge » ou le masque-songe ?
Avec Olivier Py, le théâtre est pensé comme un masque, au sens où « au commencement est le mensonge » – du moins est-ce ce qui nous est donné à entendre comme une assertion dans Mille et Une Définitions du théâtre2. C’est ce qu’énonce également le personnage de Matamore dès L’Architecte et la Forêt dans La Servante : « tout ici-bas se déguise en lui-même et se montre en se cachant dans le geste de se montrer »3, en une reprise de cette thématique baroque du Siècle d’or espagnol, le theatrum mundi, que le dramaturge décline d’un texte l’autre – et notamment dans La Vraie fiancée quand le Prince nous dit que : « tout n’est que songe ».
Des jeux de masques
Mais tout n’est pas pour autant que néant et illusion, car il y a l’apparence, soit ce mode opératoire par essence du théâtre. Si bien que dans La Nuit au cirque, nous pouvons lire : « Le masque est notre croix, le masque est notre salut. »4 Le Théâtre ne montrerait en effet pas la vie, mais comment, dans la vie, nous faisons du théâtre – du Shakespeare dans la sphère politique, du Marivaux ou du Tchekhov dans celle de l’intime.
La vérité ne pourrait se donner à voir par ailleurs sans le truchement du « masque » ou de la « supercherie » de « l’identité » – dans le fait d’être identifié « jeune » ou « vieux », « garçon » ou « fille » – que l’on soit cisgenre ou non…5 Jouant depuis 19926 le personnage de Miss Knife, soit se métamorphosant volontiers en drag-queen ou travesti, Olivier Py revendique un droit aux identités multiples, affirmant encore : « Nous avons tous des masques, nous choisissons un masque à un moment, plus ou moins librement. »7
Le masquillage au service de la théâtralité et de « l’ex-centrique »
Mais pour jouer Miss Knife, le maquillage apparaît indispensable : comme au Japon avec le Kabuki, en Chine avec l’Opéra de Beijing ou en Inde avec le Kathakali, celui-ci se fait masque, crée les conditions nécessaires à la transformation de l’individu via un corps extra-quotidien, théâtralisé : « le masquillage implique que ce soit tout le corps qui soit la grammaire de l’émotion et pas le visage » et Olivier Py d’ajouter : « Il faut un certain niveau de maquillage, jusqu’à ce qu’on ne le voie plus. Quand les traits du visage du porteur sont effacés, il n’y a pas de différence ontologique. Ou presque pas. La perruque est de cet ordre. J’ai vu des comédiens révélés par une perruque. »8
Aujourd’hui encore, le Directeur du Festival d’Avignon continue de chanter ce personnage, grâce à la puissance du masque peint : « Je continue à chanter travesti. Et je ne suis pas certain de pouvoir chanter sans masque. J’ai trop peu confiance en moi. À cet endroit, vraiment, la pudeur, m’a conduit à l’impudeur de Miss Knife. » Le masquillage se fait masque du masque et crée de l’extra-ordinaire…, mais aussi (Olivier Py de le préciser) : « de l’ex-travagance… de l’ex-centrique… invitent à sortir de la bienséance… ».
Avec Mario Gonzalez, une double rencontre, celle de Matamore et du mystère du masque
Élève au Conservatoire national d’Art dramatique de 1987 à 1990, Olivier Py y rencontre le masque. Il s’en souvient : « Je n’étais pas un élève assidu du masque. J’ai appris avec Mario Gonzalez9 quelques rudiments. Cela a suffi à me montrer que c’est une discipline en soi. C’est pourquoi, quand il y a un masque (on parle de l’objet masque) sur scène, je pense que cela exige un travail spécifique. » De fait le masque peut vous chasser, mais plus encore « faire apparaître des choses que l’on ne veut pas… » Et d’ajouter : « J’ai pu être frappé par la révélation sur l’identité que le fait de porter un masque peut provoquer. Étrangement, j’ai travaillé un masque de Matamore (quelque chose s’est passé avec ce masque) – ce n’était pas celui qu’on imaginait immédiatement pour moi, qui avais un côté Scapin ou Arlequin. Et j’ai vu des jeunes femmes qui devenaient immédiatement des Pantalon. C’est très mystérieux. Il y a même des acteurs qui ne sont pas bons sans masque et qui peuvent se révéler extraordinaires avec un masque. Mystère total ! Mystère total ! Psychologie des profondeurs ! Incompréhensible à celui-là même qui l’éprouve et en fait l’épreuve. J’ai gardé une vénération inquiète et une humilité face à ce travail. »