De la force thaumaturgique du masque selon Olivier Py 

Entretien
Théâtre
Portrait

De la force thaumaturgique du masque selon Olivier Py 

Le 25 Mar 2020
L’Amour vainqueur, mise en scène Olivier Py, avec Antoni Sykopoulos (le Général), Gymnase du Lycée Mistral (Festival d’Avignon), 2019. Photo Christophe Raynaud de Lage.

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L’Amour vainqueur, mise en scène Olivier Py, avec Antoni Sykopoulos (le Général), Gymnase du Lycée Mistral (Festival d’Avignon), 2019. Photo Christophe Raynaud de Lage.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 140 - Les enjeux du masque
140

Je ne suis plus qu’un masque.
Depuis que je le porte, je dis la vérité.
1
Le masque se décline dans l’œuvre d’Olivier Py, métaphore, objet, vecteur, sym­bole, anal­o­gon d’une iden­tité tou­jours en anamor­phose, c’est un schème réma­nent qui fut le cœur d’un entre­tien mené le 29 novem­bre 2019 et dont sont nées ces quelques pages pen­sées comme les linéa­ments d’un man­i­feste sur le masque où se fait enten­dre la parole du Poète.

« Le men­songe » ou le masque-songe ?
Avec Olivi­er Py, le théâtre est pen­sé comme un masque, au sens où « au com­mence­ment est le men­songe » – du moins est-ce ce qui nous est don­né à enten­dre comme une asser­tion dans Mille et Une Déf­i­ni­tions du théâtre2. C’est ce qu’énonce égale­ment le per­son­nage de Mata­more dès L’Architecte et la Forêt dans La Ser­vante : « tout ici-bas se déguise en lui-même et se mon­tre en se cachant dans le geste de se mon­tr­er »3, en une reprise de cette thé­ma­tique baroque du Siè­cle d’or espag­nol, le the­atrum mun­di, que le dra­maturge décline d’un texte l’autre – et notam­ment dans La Vraie fiancée quand le Prince nous dit que : « tout n’est que songe ». 

Des jeux de masques 
Mais tout n’est pas pour autant que néant et illu­sion, car il y a l’apparence, soit ce mode opéra­toire par essence du théâtre. Si bien que dans La Nuit au cirque, nous pou­vons lire : « Le masque est notre croix, le masque est notre salut. »4 Le Théâtre ne mon­tr­erait en effet pas la vie, mais com­ment, dans la vie, nous faisons du théâtre – du Shake­speare dans la sphère poli­tique, du Mari­vaux ou du Tchekhov dans celle de l’intime. 

La vérité ne pour­rait se don­ner à voir par ailleurs sans le truche­ment du « masque » ou de la « supercherie » de « l’identité » – dans le fait d’être iden­ti­fié « jeune » ou « vieux », « garçon » ou « fille » – que l’on soit cis­genre ou non…5 Jouant depuis 19926 le per­son­nage de Miss Knife, soit se méta­mor­phosant volon­tiers en drag-queen ou trav­es­ti, Olivi­er Py revendique un droit aux iden­tités mul­ti­ples, affir­mant encore : « Nous avons tous des masques, nous choi­sis­sons un masque à un moment, plus ou moins libre­ment. »7 

Le masquil­lage au ser­vice de la théâ­tral­ité et de « l’ex-centrique »
Mais pour jouer Miss Knife, le maquil­lage appa­raît indis­pens­able : comme au Japon avec le Kabu­ki, en Chine avec l’Opéra de Bei­jing ou en Inde avec le Kathakali, celui-ci se fait masque, crée les con­di­tions néces­saires à la trans­for­ma­tion de l’individu via un corps extra-quo­ti­di­en, théâ­tral­isé : « le masquil­lage implique que ce soit tout le corps qui soit la gram­maire de l’émotion et pas le vis­age » et Olivi­er Py d’ajouter : « Il faut un cer­tain niveau de maquil­lage, jusqu’à ce qu’on ne le voie plus. Quand les traits du vis­age du por­teur sont effacés, il n’y a pas de dif­férence ontologique. Ou presque pas. La per­ruque est de cet ordre. J’ai vu des comé­di­ens révélés par une per­ruque. »8

Aujourd’hui encore, le Directeur du Fes­ti­val d’Avignon con­tin­ue de chanter ce per­son­nage, grâce à la puis­sance du masque peint : « Je con­tin­ue à chanter trav­es­ti. Et je ne suis pas cer­tain de pou­voir chanter sans masque. J’ai trop peu con­fi­ance en moi. À cet endroit, vrai­ment, la pudeur, m’a con­duit à l’impudeur de Miss Knife. » Le masquil­lage se fait masque du masque et crée de l’extra-ordinaire…, mais aus­si (Olivi­er Py de le pré­cis­er) : « de l’ex-travagance… de l’ex-centrique… invi­tent à sor­tir de la bien­séance… ».

Avec Mario Gon­za­lez, une dou­ble ren­con­tre, celle de Mata­more et du mys­tère du masque

Élève au Con­ser­va­toire nation­al d’Art dra­ma­tique de 1987 à 1990, Olivi­er Py y ren­con­tre le masque. Il s’en sou­vient : « Je n’étais pas un élève assidu du masque. J’ai appris avec Mario Gon­za­lez9 quelques rudi­ments. Cela a suf­fi à me mon­tr­er que c’est une dis­ci­pline en soi. C’est pourquoi, quand il y a un masque (on par­le de l’objet masque) sur scène, je pense que cela exige un tra­vail spé­ci­fique. » De fait le masque peut vous chas­s­er, mais plus encore « faire appa­raître des choses que l’on ne veut pas… » Et d’ajouter : « J’ai pu être frap­pé par la révéla­tion sur l’identité que le fait de porter un masque peut provo­quer. Étrange­ment, j’ai tra­vail­lé un masque de Mata­more (quelque chose s’est passé avec ce masque) – ce n’était pas celui qu’on imag­i­nait immé­di­ate­ment pour moi, qui avais un côté Scapin ou Arle­quin. Et j’ai vu des jeunes femmes qui deve­naient immé­di­ate­ment des Pan­talon. C’est très mys­térieux. Il y a même des acteurs qui ne sont pas bons sans masque et qui peu­vent se révéler extra­or­di­naires avec un masque. Mys­tère total ! Mys­tère total ! Psy­cholo­gie des pro­fondeurs ! Incom­préhen­si­ble à celui-là même qui l’éprouve et en fait l’épreuve. J’ai gardé une vénéra­tion inquiète et une humil­ité face à ce tra­vail. »

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Brigitte Prost
Entre autres, Maître de Conférences en Études théâtrales du département Arts du Spectacle de l'Université...Plus d'info
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