Cirque. Vous avez dit cirque ?

Cirque
Parole d’artiste

Cirque. Vous avez dit cirque ?

Le 15 Fév 2023
El bien contra el mal, de Hopla Circus au Festival Pistes de Lancement, 2012. Photo Spictacle.
El bien contra el mal, de Hopla Circus au Festival Pistes de Lancement, 2012. Photo Spictacle.
El bien contra el mal, de Hopla Circus au Festival Pistes de Lancement, 2012. Photo Spictacle.
El bien contra el mal, de Hopla Circus au Festival Pistes de Lancement, 2012. Photo Spictacle.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148

Pas encore totale­ment débar­rassé des très (trop) nom­breux clichés issus d’une époque certes révolue1 le cirque con­tem­po­rain a pour­tant déjà vécu sa – voire ses – révo­lu­tion – s. Issu de la mou­vance post-68, porté à bout de bras par quelques explo­rateurs qui ont boulever­sé les pra­tiques et créé de nou­veaux lan­gages – comme les cirques Plume, Bidon ou du Doc­teur Para­di –, le « Nou­veau cirque »2 s’est peu à peu inscrit dans les champs cul­turels et artis­tiques de son époque. Le frag­ile mou­ve­ment d’alors a pu aus­si s’appuyer sur la créa­tion de quelques écoles dédiées, dev­enues vite emblé­ma­tiques, comme l’Académie Fratelli­ni en 1974, l’École nationale de cirque de Mon­tréal en 1981, le CNAC en 1985 ou l’ENAC (qui devien­dra ESAC) à la fin des années 1990, à Brux­elles. Un mou­ve­ment qui n’arrêtera pas de s’amplifier à tra­vers toute l’Europe dans les années 2000.

Ces nou­veaux lieux d’enseignement ont révo­lu­tion­né les modes de trans­mis­sion du cirque, qui se can­ton­naient jusqu’alors à la tra­di­tion­nelle pas­sa­tion au sein même des familles. Ils ont aus­si – et surtout – per­mis à de nou­veaux afi­ciona­dos de « faire du cirque », ouvrant les dis­ci­plines à d’autres jeunes venus d’autres hori­zons, sus­ci­tant de nou­velles voca­tions, favorisant la diver­sité des gen­res et des gens, mais aus­si générant une promet­teuse généra­tion d’artistes, qui se sont révélés être d’incroyables créa­teurs, inven­teurs, con­cep­teurs. C’est à ces nou­veaux explo­rateurs – de la deux­ième heure – que l’on doit quelques-unes des plus belles pages du cirque, que l’on qual­i­fiera plus volon­tiers ensuite de « con­tem­po­rain ».

L’art cir­cassien – « art » car il put enfin accéder au Graal, à la recon­nais­sance en tant que dis­ci­pline artis­tique à part entière3 –, pluriel et mul­ti­fac­ettes, n’a depuis cessé d’aimanter les pas­sions, engen­drant une nou­velle révo­lu­tion, celle de la con­t­a­m­i­na­tion des publics. Un peu partout en Europe et à tra­vers le monde, les écoles de cirque ont pro­liféré, les lieux ou pôles de création/diffusion se sont struc­turés et pro­fes­sion­nal­isés, les artistes – de plus en plus nom­breux – ont gag­né en matu­rité et en pop­u­lar­ité. Le pub­lic a suivi, tou­jours plus ent­hou­si­aste, au-delà des fes­ti­vals ou des lieux dédiés. Cet « art nou­veau » s’est peu à peu invité sur les « autres scènes », théâ­trales, choré­graphiques ou pluridis­ci­plinaires, accu­mu­lant les recon­nais­sances publiques, médi­a­tiques et insti­tu­tion­nelles.

On s’emballe (et pourquoi s’en priv­er ?)

Le cirque con­tem­po­rain con­quiert donc tous les publics. Il les embar­que dans une com­mu­ni­ca­tion du geste, sans arti­fice, tou­jours vraie, sou­vent sim­ple – sans être sim­pliste. Les artistes de cirque par­tent à la recherche de nou­veaux lan­gages, intro­duisent de nou­velles dra­matur­gies (cir­cassi­ennes) et des gram­maires (gestuelles) inno­vantes, qui touchent au cœur. Ils ques­tion­nent le monde à leur manière et sont le miroir de ce que nous vivons, de ce qui se mar­que sur les corps. Notre cirque a aujourd’hui atteint une matu­rité nou­velle. Dense, intense, drôle – ou pas du tout –, sou­vent émou­vant, tou­jours juste. En gestes, en images, en mou­ve­ments et en musiques, il sait com­ment tress­er les réc­its qui nous touchent au cœur. Forgé dans la force expres­sive des corps, notre cirque se reçoit avec tous les sens, il s’adresse en ligne directe à nos sen­si­bil­ités, à nos émo­tions, à notre mémoire. Il est fon­da­men­tale­ment col­lab­o­ratif, nour­ri de l’esprit sol­idaire et non com­péti­tif qui ani­me les artistes.

Coup de foudre

« Le cirque, c’est la con­cen­tra­tion silen­cieuse, l’art de jouer sans dire un mot, l’antithéâtre, la tech­nique des sourds et des muets qui sont les plus grands acteurs du monde, tout ce qui est le con­traire du ciné­ma. C’est une grande, une épuisante école à l’opposé de la comédie. Notre pro­fes­sion est faite de vingt métiers à la fois, ce sont ces vingt métiers qui for­ment une vedette. » Char­lie Chap­lin

En 1988, encore jeune – j’avais alors 19 ans –, je tombe sur ces quelques lignes écrites par Char­lie Chap­lin, qui me mar­queront à jamais. Ces mots se sont imposés à moi et m’ont col­lé à la peau durant toutes les années qui ont suivi – et encore aujourd’hui ! Cette cita­tion, prob­a­ble­ment écrite dans les années 1920 – 1930, en plein boom du cirque « tra­di­tion­nel », n’a pas dis­paru sous la pous­sière et reflète plus que jamais toute la force de nos « arts indis­ci­plinés ».

Loin de moi l’idée d’imposer une déf­i­ni­tion exhaus­tive du cirque con­tem­po­rain – ce serait bien pré­ten­tieux –, d’autant qu’aujourd’hui, il n’y a pas un cirque, mais bien des cirques, au pluriel, qui s’imaginent et se créent « ici et main­tenant ». C’est à ce niveau que se trou­ve la force de notre art en per­pétuelle ®évo­lu­tion.

Julien Pierrot, Valentin Pythoud et Laura Trefiletti dans La Geste de La RuspaRocket, Festival UP! mars 2014. Photo Spictacle.
Julien Pier­rot, Valentin Pythoud et Lau­ra Tre­filet­ti dans La Geste de La Rus­paRock­et, Fes­ti­val UP ! mars 2014. Pho­to Spic­ta­cle.

Un art qui évolue avec son temps, un art qui se car­ac­térise par sa forme et sa con­vivi­al­ité – avec entre autres une atten­tion toute par­ti­c­ulière portée sur la rela­tion et l’échange entre les artistes et le pub­lic, un art qui favorise l’exploration d’univers dif­férents, les métis­sages des gen­res et des gens grâce aux ren­con­tres inter­cul­turelles et intergénéra­tionnelles. Un art qui priv­ilégie l’approche trans­dis­ci­plinaire en pro­posant une cer­taine forme de théâ­tral­ité et de déri­sion – aujourd’hui, le cirque emprunte, explore, détourne qua­si­ment toutes les formes de spec­ta­cle. Un art éminem­ment inven­tif, qui encour­age la recherche de sym­bios­es entre tech­niques (de cirque), les explo­rations acro­ba­tiques et choré­graphiques, et qui emprunte aus­si au cirque tra­di­tion­nel, à la poésie, à la créa­tion musi­cale, aux arts plas­tiques, aux arts numériques, etc.

Un art qui rassem­ble mille et une propo­si­tions, portées par des artistes créa­teurs, nova­teurs, curieux, proches des gens et de leurs ques­tion­nements, engagés, prêts à relever les défis les plus fous, à pren­dre des risques – qu’ils soient tech­niques, artis­tiques, rela­tion­nels, artis­tiques ou financiers (ce qui est sou­vent le cas !) –, à dépass­er leurs lim­ites, à dévelop­per une exi­gence incroy­able par rap­port à eux-mêmes, à trou­ver un malin plaisir à déjouer les lois de la grav­i­ta­tion et à dépass­er les bornes… Car « dépass­er les bornes… du bon goût ou de la bien­séance », les clowns y ont tou­jours excel­lé. Vous ne trou­vez pas ? Mais aus­si, le cirque cherche à repouss­er les lim­ites de l’équilibre, de l’adresse, de l’agilité, voire de la vir­tu­osité. Chercher du sens au geste qui mène à la prouesse, racon­ter des his­toires, par­ler de soi ou du monde, sans oubli­er qu’au cirque, c’est bien sou­vent le corps qui est mis en jeu. Attein­dre la pro­fonde expres­sion de soi, à tra­vers des tech­niques, même détournées, inven­ter « son » cirque, être sans cesse en quête de dis­tor­sion des codes, créer son pro­pre lan­gage, faire naître des émo­tions et bous­culer les sen­sa­tions des spec­ta­teurs…

Voilà pour moi quelques-uns des moteurs qui car­ac­térisent la créa­tion cir­cassi­enne con­tem­po­raine. Dans les dif­férentes dis­ci­plines qui le com­posent, le cirque con­tem­po­rain déploie des éven­tails de styles et d’esthétiques tou­jours plus rich­es et pro­pose des spec­ta­cles hybrides, atyp­iques, inclass­ables voire « bâtards ». Le pan­el des propo­si­tions est très large, mais cette impor­tante diver­sité est indis­pens­able pour per­me­t­tre à notre art d’exister et de faire val­oir sa réelle force artis­tique. Ceci con­cerne tous les arts vivants, mais il se jus­ti­fie d’autant plus pour le cirque. Car le pub­lic, encore sou­vent bien imprégné de quelques, voire de nom­breux clichés, reste mal­gré tout dans l’attente d’une cer­taine magie du spec­ta­cle, du spec­tac­u­laire, de la sur­ex­po­si­tion de la prouesse tech­nique… Ce qui, par­fois, peut provo­quer un décalage au niveau de cer­taines propo­si­tions… Ce avec quoi quelques-un·e·s s’amusent et jouent, bien sûr. Car nos pistes sont des espaces d’expression libres et spon­tanés où, même hors normes, cha­cun peut trou­ver sa place.

  1. Par­mi ces clichés qui col­lent encore aujourd’hui à la peau du cirque, citons juste les ani­maux sauvages, la sci­ure, les odeurs, les affich­es racoleuses aux gros aplats fluo, les cos­tumes à pail­lettes, le sur­maquil­lage, les numéros « dan­gereux » et les roule­ments de tam­bours, les clowns stéréo­typés, Mr Loy­al, etc., etc. Ça en fait pas mal, et leur « gom­mage » pren­dra encore quelques années… ↩︎
  2. Dans les années 1980 et 1990, on qual­i­fi­ait ces nou­velles formes de « nou­veau cirque ». Aujourd’hui, avec les évo­lu­tions qu’on lui a con­nues, on par­le plutôt de cirque « de créa­tion », « actuel », « con­tem­po­rain » ou encore « d’auteur ». ↩︎
  3. En Bel­gique fran­coph­o­ne, c’est le décret des Arts de la scène de 1999 qui « recon­naît » le cirque comme dis­ci­pline artis­tique, aux côtés du théâtre, de la danse con­tem­po­raine ou de la musique –, sans pour autant lui don­ner alors les moyens de ses ambi­tions. Mais cela est un tout autre sujet ! ↩︎
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Catherine Magis
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Catherine Magis
Catherine Magis est directrice générale et artistique de UP – Circus & Performing Arts (anciennement...Plus d'info
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