« La suspension touche à l’intranquillité »

Entretien
Cirque

« La suspension touche à l’intranquillité »

Entretien avec 
Chloé Moglia

Le 12 Fév 2023
Horizon, conception et interprétation Chloé Moglia, création 2013 à Paris Quartier d’été. Photo Johann Walter Bantz. (Idem page précédente).
Horizon, conception et interprétation Chloé Moglia, création 2013 à Paris Quartier d’été. Photo Johann Walter Bantz. (Idem page précédente).
Horizon, conception et interprétation Chloé Moglia, création 2013 à Paris Quartier d’été. Photo Johann Walter Bantz. (Idem page précédente).
Horizon, conception et interprétation Chloé Moglia, création 2013 à Paris Quartier d’été. Photo Johann Walter Bantz. (Idem page précédente).
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148

Quel est ton par­cours ?

Comme plein de gamins, je mon­tais aux arbres : la suite a pro­longé cer­taines de ces petites choses d’enfance. J’ai décou­vert l’univers cir­cassien assez tard, comme un monde où l’on peut aus­si cra­pahuter, et je suis par­tie faire une école de cirque sans rien con­naître du spec­ta­cle et du méti­er que c’était. J’y ai appris à faire du trapèze, mais je n’aimais pas ça et j’ai cessé d’en faire dès ma sor­tie. C’était plutôt la sit­u­a­tion de con­trainte qu’il pro­po­sait qui m’intéressait : j’ai con­tin­ué à tra­vailler sur les notions de haut/bas ou de risque. J’ai fini par com­pren­dre que le cœur de mon tra­vail était d’étudier cette sim­ple sit­u­a­tion d’être sus­pendue au-dessus du vide, pen­due à bout de bras à quelque chose. Le spec­ta­cle emblé­ma­tique de ce tour­nant est Hori­zon (2013) : un solo très épuré sur une courbe, sans son et sans lumière.

Quel chemin t’emmène du trapèze à la ligne de sus­pen­sion ?

À la sor­tie de l’école, avec Mélis­sa Von Vépy (Cie Moglice-Von Verx), nous avons fab­riqué nos pro­pres sup­ports de sus­pen­sion, avec des bar­res qui n’étaient pas les bar­res clas­siques d’un trapèze. Nous avions fondé la pos­si­bil­ité de ne pas subir l’élément déjà exis­tant, tel qu’il est. Plus tard, j’ai fait une per­for­mance avec le pein­tre Guil­laume Bruère : je le voy­ais tra­vailler sur une grande feuille de cinq mètres et ça m’a don­né envie de chem­iner moi-même sur des lignes immenses, ce que j’ai pu faire à Reims sur quar­ante mètres de long. J’ai com­pris que je pou­vais choisir des dimen­sions et des espaces de sus­pen­sion dif­férents : la barre de L’Oiseau-Lignes est un chemin qui se brise au fur et à mesure, celle d’Hori­zon est un tout petit espace très con­traint. Le mot « trapèze » m’enferme car il désigne un objet pré­cis, alors qu’en par­lant de lignes je m’ouvre à un monde beau­coup plus large.

Que provoque la sus­pen­sion ?

C’est comme se pos­er une ques­tion, sans qu’une réponse ne nous fasse redescen­dre : la sus­pen­sion touche à l’intranquillité. Elle nous met dans un puis­sant état d’acuité pour s’ouvrir à tout ce qui a lieu, de la plus infime sen­sa­tion à l’intérieur du bras à tel change­ment de lumière, de souf­fle ou de tem­péra­ture. C’est un moment qui dis­sout toute forme de lan­gage et de pen­sée, comme lorsqu’on se décou­vre agir dans l’urgence. Ma pra­tique fait aus­si mal aux mains, ce qui donne envie de descen­dre et ali­mente la peur de ne pas aller assez loin dans la sus­pen­sion ou celle de bru­talis­er son corps. Accepter l’intranquillité, ce n’est ni fuir ni résis­ter mais observ­er la sen­sa­tion qu’on est en train de tra­vers­er, en étant libre de con­tin­uer ou de descen­dre. Quelque chose se clar­i­fie, on voit mieux ce qui a lieu. J’ai beau­coup tra­vail­lé autour de pra­tiques de l’attention et d’arts mar­ti­aux : durant la sus­pen­sion, je suis sim­ple­ment atten­tive à ce qui se passe, j’observe mes inspi­ra­tions et expi­ra­tions, ce qui tient, ce qui lâche, et toute notion de fig­ure (acro­ba­tique) m’est dev­enue étrangère.

Que sig­ni­fie retir­er la fig­ure ?

J’ai retiré la néces­sité de jouer l’artiste-créatrice : je n’ai plus le souci de sat­is­faire l’attente du pub­lic qui veut que je fasse une fig­ure. Je réfute l’idée d’un artiste qui pro­duise des œuvres ex nihi­lo, tel un dieu créa­teur, qui est un imag­i­naire très mas­culin. Il y a un autre rap­port au monde, enfoui et déval­orisé, qui con­siste à cueil­lir ce qui existe déjà : épouser le mou­ve­ment de la créa­tion présente autour de nous, en pren­dre soin et la nour­rir. Je veux jouer le jeu du vivant.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

J’ai vécu dans des endroits assez éloignés des lieux cul­turels et j’ai fait grandir ma pra­tique avec des livres. J’ai inter­rogé Éti­enne Klein sur la grav­ité, David Le Bre­ton sur la douleur dans le tra­vail et récem­ment Camille Froide­vaux-Met­terie sur le corps des femmes. Les ouvrages de Vin­ciane Despret, Marielle Macé ou Emanuele Coc­cia m’ouvrent des portes vers de nou­velles ques­tions et posi­tion­nements.

Entretien
Cirque
Chloé Moglia
Partager
auteur
Écrit par Esther Friess
Esther Friess est coor­di­na­trice des pro­jets de recherche et d’édition au Cen­tre nation­al des arts du cirque, au...Plus d'info
Partagez vos réflexions...

Vous aimez nous lire ?

Aidez-nous à continuer l’aventure.

Votre soutien nous permet de poursuivre notre mission : financer nos auteur·ices, numériser nos archives, développer notre plateforme et maintenir notre indépendance éditoriale.
Chaque don compte pour faire vivre cette passion commune du théâtre.
Nous soutenir
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
#148
février 2023

Arts vivants

13 Fév 2023 — Le propre du théâtre au xxe siècle vient du renouveau cyclique, de la métamorphose permanente : aucune forme ne le représente à…

Le pro­pre du théâtre au xxe siè­cle vient du renou­veau cyclique, de la méta­mor­phose per­ma­nente : aucune forme ne le…

Par Georges Banu
Précédent
11 Fév 2023 — Un père emmène sa jeune fille dans la forêt de son enfance, un espace qu’il affectionne tout particulièrement, car propre…

Un père emmène sa jeune fille dans la forêt de son enfance, un espace qu’il affec­tionne tout par­ti­c­ulière­ment, car pro­pre à l’imaginaire. Il fait nuit. Elle a peur, lui non : aveu­gle depuis la nais­sance, il con­naît…

Par Marthe Degaille
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements