Château-Bateau

Art de rue
Théâtre
Critique

Château-Bateau

Le 27 Juin 2023
Château-bateau, mise en scène Mouton Collectif, création 2022.
Château-bateau, mise en scène Mouton Collectif, création 2022.
Château-bateau, mise en scène Mouton Collectif, création 2022.
Château-bateau, mise en scène Mouton Collectif, création 2022.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 149 - Théâtre / Paysage - Althernatives Théâtrales
149

MOUTON col­lec­tif se forme au Théâtre de la Toi­son d’Or. Après plusieurs cartes blanch­es, iels quit­tent ce haut lieu du rire brux­el­lois et com­men­cent une tran­shu­mance joyeuse, de maisons de vacances en fer­mes et châteaux ; cela donne nais­sance à leur pre­mière créa­tion extra-muros, dans les Ardennes : Par­touze Pas­torale. Empreint·e·s de cette pre­mière expéri­ence réussie, et la covid-19 ayant fer­mé l’accès aux salles de spec­ta­cles, le col­lec­tif rêve à une nou­velle créa­tion située. Iels enta­ment un proces­sus réflec­tif sous la forme de « jachères ». « Jachère 1, 2, 3… » ryth­ment les échap­pées de ces petits mou­tons et leur per­me­t­tent de se ressourcer loin des restric­tions. C’est décidé, iels veu­lent créer unique­ment en extérieur et sor­tir des insti­tu­tions. Dans l’esprit d’une nou­velle Dog­ma 95, un pre­mier principe naît et crée le fonde­ment de leur iden­tité artis­tique : leurs jachères se déroulent tou­jours dans des lieux et des local­ités dif­férentes, des tiers-lieux où d’autres per­son­nes ont choisi de s’installer pour y con­stru­ire des vies col­lec­tives, avec une note d’utopie. Ces ren­con­tres réson­neront d’ailleurs dans leur écri­t­ure, sous forme d’hommage, de clin d’œil. Mais c’est finale­ment une « jachère san­i­taire » – la seule jachère réal­isée entière­ment sur zoom – qui impulse con­crète­ment une nou­velle créa­tion. 

L’élément déclencheur est une vis­ite guidée virtuelle d’un des mem­bres du col­lec­tif, qui réside à ce moment-là dans un château du sud-ouest de la France ; un peu à la manière de la voix off dans L’Année dernière à Marien­bad, sa descrip­tion du parc, du four à pain, de la tapis­serie de sa cham­bre aux motifs de bateau fait rêver le reste de l’équipe ; le proces­sus inspi­ra­tionnel s’enclenche et le nou­v­el opus voit le jour quelques mois plus tard, dans ce même château, avec tout le reste de l’équipe et quelques artistes invité·es1.

Voici l’histoire de Château-Bateau. Une « épopée méta­physique en prairie », ou l’histoire de Rober­ta qui décide de quit­ter un lieu-dit, le Château (à jardin), une grande muraille faite de car­ton d’emballage de pare-brise, peu­plé par une com­mu­nauté inven­tée, tou­stes fans d’une émis­sion radio qui passe en boucle. Rober­ta s’enfuit, pour s’extirper de cette société et cherche un sens nou­veau à sa vie, après un pro­logue prophé­tique sur la fin du monde, scan­dé par une pythie locale ; elle tra­verse l’existence en soli­taire, sur la Mer (au cen­tre) en bateau-jupe ; elle nav­igue dans l’horizon de la prairie, sous le soleil de la gold­en hour ; cette échap­pée belle per­met au pub­lic de décou­vrir l’île de Pas­torale (à cour) où une bergère et ses mou­tons ani­ment une émis­sion radio philo­soph­ico-poé­tique, dans un stu­dio insu­laire, avec comme back­ground une toile peinte : un ciel bleu, des nuages épars, irréels. « Cette Pas­torale n’est peut-être qu’un rêve. C’est en tout cas un lieu qui représente l’utopie. C’est peut-être pour cela que c’est le lieu du paysage peint, du paysage rêvé, du paysage décrit, plutôt que du paysage réel. » L’ivresse philosophique du stu­dio radio élar­git d’ailleurs la ques­tion du paysage. L’animatrice dit : « Est-ce que je fais par­tie du paysage ? lequel ? Est-ce que mon humeur, ma joie, ma tristesse mod­i­fient le paysage ou au con­traire sont-elles mod­i­fiées par le paysage ? Est ce qu’on peut habiter un paysage ? » Le « paysage spec­ta­cle » laisse place au paysage émo­tion­nel des per­son­nages ; un trop plein intro­spec­tif pour Rober­ta qui décidera de retourn­er à sa vie ini­tiale.

Château-bateau, mise en scène Mouton Collectif, création 2022.
Château-bateau, mise en scène Mou­ton Col­lec­tif, créa­tion 2022.

Château-Bateau s’est joué dans cinq prairies dif­férentes et une nou­velle ver­sion est prévue prochaine­ment dans un bois avoisi­nant Brux­elles. « Le paysage a une super puis­sance scéno­graphique » con­firme le col­lec­tif. « On par­le sou­vent du paysage en tant qu’image, mais on pour­rait aus­si par­ler du fait d’être dans un paysage ensem­ble avec le pub­lic, le temps du spec­ta­cle, assis·e·s sur des cou­ver­tures dans l’herbe, les sons des oiseaux, les odeurs, les insectes, la chaleur de l’été, la nuit qui tombe. » Une « fiche tech­nique prairie » est en cours d’écriture, car trou­ver la bonne prairie n’est pas mince affaire : « nous avons besoin d’un grand espace pour appa­raître et dis­paraître au loin, pour y jouer les voy­ages sur la mer, les cours­es pour­suites, les naufrages, […] se cacher, faire des entrées et sor­ties sur­prenantes. Bosquets d’arbres, haies et buis­sons sont nos couliss­es naturelles. Nous cher­chons aus­si une prairie qui nous donne une impres­sion d’immensité, où il y a une beauté, un « effet paysage » ». Et il y a la ques­tion de la sai­son (été unique­ment) et de l’heure de présen­ta­tion (« juste après l’heure dorée, quand le soleil est au cré­pus­cule, avant qu’il fasse nuit, c’est ça notre créa­tion lumière »). La dra­maturgie sonore accentue l’expérience sen­sorielle de ce réc­it : l’émission radio live qui « masse audi­tive­ment les spec­ta­teurices » et guide, « comme une médi­ta­tion », le per­son­nage de Rober­ta ; des sons aug­men­tés de nature, océan et île grâce à l’amplification de bruits d’animaux (oiseaux, laman­tins et mou­tons) qui pro­pose un jeu de con­trastes entre acous­tique arti­fi­cielle et naturelle ; une expéri­ence phonique qui cristallise sin­gulière­ment cette épopée dans l’oreille du pub­lic. Le col­lec­tif a désor­mais envie de fonder leur pro­pre paysage, en trou­vant un lieu fixe, loin de l’urbain évidem­ment.

  1. Mariya Kek­i­liko­va et Christophe Armand pour le son. ↩︎
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Écrit par Pablo-Antoine Neufmars
Pablo-Antoine Neuf­mars est un poly-amoureux de l’art. Inter­prète en théâtre et danse, il est aus­si pho­tographe et auteur....Plus d'info
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