Dragons le théâtre

Entretien
Cabaret

Dragons le théâtre

Entretien avec Lylybeth Merle

Le 18 Nov 2023
Dame Lylybeth, juin 2023, Bruxelles. Photo Laetitia Bica
Dame Lylybeth, juin 2023, Bruxelles. Photo Laetitia Bica
Dame Lylybeth, juin 2023, Bruxelles. Photo Laetitia Bica
Dame Lylybeth, juin 2023, Bruxelles. Photo Laetitia Bica
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 143 Cabaret - Althernatives Théâtrales
150 – 151

Ta pre­mière pièce, Hip­pocampe (créée au Varia à Brux­elles en mai 2023), est un spec­ta­cle de cabaret pen­sé pour des scènes de théâtre. Tu as étudié le jeu à l’insas. Pourquoi t’es-tu tournée vers le cabaret ?

Le cabaret m’a offert un espace de lib­erté qui n’existait pas à l’insas, où j’étais tou­jours assignée à des rôles de garçons. Le trav­es­tisse­ment n’était pas du tout enseigné ni même recon­nu comme une forme légitime, et les profs ne par­laient pas de drag. C’est moi qui l’ai amené en dernière année pour l’exercice de carte blanche, mais je me suis aperçue en le faisant que j’avais déjà touché à beau­coup de ses pra­tiques à l’école : chant, danse, play­back, maquil­lage, mais sans jamais con­sci­en­tis­er que, mis­es ensem­ble, elles for­maient les pra­tiques des drag-queens. L’insas, comme le reste de la société, est gan­grénée de trans­pho­bie et d’homophobie, alors qu’au cabaret j’ai pu être moi en tant que per­son­ne trans. J’ai pu enfin tester des longues robes, mag­nifiques, théâ­trales, alors qu’à l’école, ce n’était pas bien vu ; on par­lait de trav­es­tisse­ment, ce n’était pas fêté. Mais au cabaret, j’étais fêtée. Tout cela a eu un effet guéris­seur très puis­sant pour moi.

Au cabaret, j’ai aus­si décou­vert une autre manière d’aborder la scène : par exem­ple, l’erreur y est beau­coup plus autorisée, car on joue sur le moment. Évidem­ment, on répète les numéros, mais il y a moins de moyens et on doit aller très vite, et donc tout se crée véri­ta­ble­ment dans l’instant avec les spec­ta­teurices. Il faut savoir impro­vis­er, réa­juster, tra­vailler avec les prob­lèmes tech­niques, tout ça col­lait plus avec ma manière de me faire plaisir sur scène.

Para­doxale­ment, j’ai enfin réelle­ment trou­vé ma place dans l’insas quand j’y ai amené le cabaret : les autres ont com­pris ce que je voulais faire et que mon tra­vail était intéres­sant, et certain·es ont voulu s’y frot­ter aus­si, séduit·es par cette lib­erté.

Ton par­cours dans le cabaret s’est pro­fondé­ment trans­for­mé quand tu as com­mencé à par­ticiper à une troupe de cabaret queer et trans, Not Allowed/ Glit­ter Time. Peux-tu nous en dire plus sur ce cabaret et sur ce que cette expéri­ence t’a apporté ?

Not Allowed était une propo­si­tion amenée par Blan­ket la Goulue, une drag-queen brux­el­loise. On venait de se ren­con­tr­er, on voulait faire du drag et on s’est con­sti­tué un petit groupe. À peu près au même moment, la pandémie a éclaté, avec l’interdiction de per­former. On s’est dit : on va le faire quand même. On a per­for­mé dans dif­férents squats de Brux­elles toutes les semaines pen­dant un an, et le groupe a gran­di jusqu’à ce qu’on soit treize. Ça a beau­coup plu, on avait des dates toutes les semaines. Quand les salles ont réou­vert, on a per­for­mé au fes­ti­val Esper­an­zah ! et à La Bel­lone, on est passé·es du squat aux insti­tu­tions. On s’est séparé·es après un an et demi, car nos par­cours per­son­nels ont aus­si gran­di.
Quand on a créé Not Allowed, il n’y avait pas de soirée drag under­ground à Brux­elles. Après, elles ont explosé, avec par exem­ple Quee­rios­i­ty, un lab­o­ra­toire de propo­si­tions ; Play­Back, qui organ­ise des soirées drag dans des bars hétéros pour aller à la ren­con­tre d’un pub­lic qui ne nous con­naî­trait pas et créer des ponts ; Crash Test au Box­on ; les soirées drag à The Agen­da, etc. Pour lut­ter con­tre la sur­représen­ta­tion des blanc·hes, un col­lec­tif de drag de per­son­nes racisées s’est con­sti­tué, les Peaux de Minu­it. C’est bien, mais pourquoi est-ce que ça ne peut se met­tre en place que main­tenant ? Et pourquoi y a‑t-il si peu de per­son­nes racisées qui font du drag ?
Ce suc­cès gran­dis­sant des soirées drag est dû en par­tie à l’émission « RuPaul’s Drag Race », grâce à laque­lle les gens ont de plus en plus une image pos­i­tive du drag plutôt que de mau­vais fan­tasmes : on y voit des artistes qui bossent et qui doivent savoir faire plein de choses. C’est une pre­mière représen­ta­tion main­stream qui vient cass­er les préjugés. Le drag arrive dans les insti­tu­tions et c’est beau ; j’espère que le cabaret va de plus en plus être recon­nu comme une dis­ci­pline (comme la danse, le théâtre ou le cirque) avec des sub­ven­tions, un statut par­ti­c­uli­er et des con­trats pour qu’on puisse être payé·es cor­recte­ment.

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Lylybeth Merle
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Écrit par Caroline Godart
Car­o­line Godart est dra­maturge, autrice et enseignante. Elle accom­pa­gne des artistes de la scène tout au long de...Plus d'info
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