An Empty House – L’Enfant et les Sortilèges
Entretien
Opéra
Réflexion

An Empty House – L’Enfant et les Sortilèges

Texte et entretien avec Maëlle Dequiedt

Le 8 Déc 2025
Empty House- L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hindemith, « Filmmusik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horoscope de Constance Lambert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direction musicale de Karel Deseure, Opéra des Flandres, 2024 © WM
Empty House- L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hindemith, « Filmmusik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horoscope de Constance Lambert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direction musicale de Karel Deseure, Opéra des Flandres, 2024 © WM

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Empty House- L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hindemith, « Filmmusik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horoscope de Constance Lambert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direction musicale de Karel Deseure, Opéra des Flandres, 2024 © WM
Empty House- L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hindemith, « Filmmusik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horoscope de Constance Lambert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direction musicale de Karel Deseure, Opéra des Flandres, 2024 © WM

Avec An Emp­ty House, créé à l’Opéra des Flan­dres en févri­er 2024 sous la direc­tion de Karel Deseure, la met­teuse en scène Maëlle Dequiedt signe une propo­si­tion lyrique aus­si foi­son­nante que sin­gulière. Cette soirée, qui réu­nit plusieurs œuvres sous une même archi­tec­ture scénique, s’ar­tic­ule autour de l’axe prin­ci­pal que con­stitue L’En­fant et les Sor­tilèges de Mau­rice Rav­el et Colette. Mais, loin de se con­tenter d’il­lus­tr­er ce con­te musi­cal trop sou­vent réduit à sa fan­taisie enfan­tine, la met­teuse en scène s’en­toure de ses com­plices Charles Chau­vet (scéno­gra­phie), Louis Ver­linde (cos­tumes), Bérengère Bod­in (choré­gra­phie), Max Adams (lumières) et Tom Swaak (dra­maturgie), pour inven­ter un théâtre de la mémoire trou­blé, frag­men­té, han­té par l’ab­sence.

Une mai­son vide mais rem­plie de sou­venirs…

Empty House- L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hindemith, « Filmmusik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horoscope de Constance Lambert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direction musicale de Karel Deseure, Opéra des Flandres, 2024 © WM
Emp­ty House- L’Enfant et les Sor­tilèges, opéra de Mau­rice Rav­el sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hin­demith, « Film­musik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horo­scope de Con­stance Lam­bert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direc­tion musi­cale de Karel Deseure, Opéra des Flan­dres, 2024 © WM

Le point de départ de cette aven­ture est une mai­son. Un espace vide qui sert de cadre à des actions dis­parates et mys­térieuses, emprun­tées à des sources divers­es. Cette mai­son est surtout un espace men­tal, un sou­venir, peut-être même un songe aux allures de cauchemar. Le décor enferme l’ac­tion sous un pla­fond très bas qui sem­ble pren­dre au piège les per­son­nages. Ce sen­ti­ment d’op­pres­sion, mais aus­si de déplace­ment pro­gres­sif – de l’in­térieur vers l’ex­térieur, du con­nu vers l’in­con­nu –, devient le fil rouge du spec­ta­cle. En effet, Maëlle Dequiedt a voulu éten­dre sur L’En­fant et les Sor­tilèges l’om­bre douloureuse du deuil – cette absence qui ren­voie à la perte et au deuil de la fig­ure mater­nelle chez Rav­el. Ce faisant, la mère est le point focal, à la fois présence et absence, d’une dra­maturgie qui présente la mère comme invis­i­ble et omniprésente. 

Un assem­blage d’œuvres et le motif du ren­verse­ment 

Autour de cette œuvre cen­trale gravi­tent d’autres pièces, comme ces deux chœurs d’en­fants, extraits de Like Flesh, opéra con­tem­po­rain de Sivan Eldar. Ces deux pièces ouvrent et refer­ment la soirée lyrique. Elles don­nent égale­ment la parole à la nature – une nature cos­mique, organique, presque méta­physique. Cette ouver­ture sur l’ex­térieur pro­longe la tra­jec­toire ini­tiée par Rav­el : de l’en­fer­me­ment vers un ailleurs, du con­cret vers l’ab­strac­tion. 

L’autre piv­ot de la soirée est Hin und zurück, mini-opéra et petit joy­au d’hu­mour absurde signé Paul Hin­demith. En à peine douze min­utes, ce « va-et-vient » narre un drame bour­geois grotesque – une infidél­ité, un meurtre et un retourne­ment – pour mieux le rejouer… à l’en­vers, du meurtre à l’infidélité. Ce palin­drome théâ­tral est le cœur comique – et cri­tique – du dis­posi­tif. Deux inter­ludes orches­traux pro­lon­gent ce motif de ren­verse­ment : le Film­musik de l’opéra Lulu d’Alban Berg et le Prélude palin­dromique, extrait de Horo­scope de Con­stant Lam­bert. Là encore, la forme elle-même devient mémoire, retour, miroir, telle une mécanique du retour sur soi et de la répa­ra­tion.

L’idée d’un retour sym­bol­ique

À pre­mière vue, tout oppose Hin und zurück de Paul Hin­demith et L’En­fant et les Sor­tilèges de Mau­rice Rav­el. L’un est une farce minia­ture à la struc­ture palin­dromique, l’autre est une fan­taisie lyrique lux­u­ri­ante et féerique. L’un fait rire par l’ab­surde, l’autre émeut par la ten­dresse. Pour­tant, der­rière ces dif­férences de ton, de style et de lan­gage, ces deux œuvres com­posées à quelques années d’in­ter­valle (1925 pour Rav­el, 1927 pour Hin­demith) parta­gent une même volon­té de repenser la forme opéra­tique, et une même fas­ci­na­tion pour l’idée de retour – au sens tem­porel, mais aus­si sym­bol­ique. 

Le principe formel de Hin und zurück est d’une clarté math­é­ma­tique : une scène dra­ma­tique – une dis­pute con­ju­gale menant à un meurtre – est jouée une pre­mière fois, puis entière­ment rejouée à l’en­vers. Ce retour en arrière, lit­téral, trans­forme la tragédie en farce. L’il­lu­sion théâ­trale est rompue, l’ac­tion perd de sa grav­ité, et le temps devient un jeu de con­struc­tion. Chez Rav­el, le retour est d’un tout autre ordre : il ne s’ag­it pas de rejouer la scène, mais de répar­er sym­bol­ique­ment un monde blessé. L’En­fant et les Sor­tilèges racon­te l’his­toire d’un enfant capricieux con­fron­té à la révolte mag­ique des objets et des ani­maux qu’il a mal­traités. Son chem­ine­ment intérieur – de la cru­auté à la com­pas­sion – se con­clut par un retour à l’har­monie, mar­qué par son cri final : « Maman ! », qui ponctue sa longue méta­mor­phose et mar­que un retour à l’o­rig­ine.

Empty House- L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hindemith, « Filmmusik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horoscope de Constance Lambert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direction musicale de Karel Deseure, Opéra des Flandres, 2024 © WM
Emp­ty House- L’Enfant et les Sor­tilèges, opéra de Mau­rice Rav­el sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hin­demith, « Film­musik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horo­scope de Con­stance Lam­bert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direc­tion musi­cale de Karel Deseure, Opéra des Flan­dres, 2024 © WM

Une tra­ver­sée dans l’espace-temps

Dans ce théâtre de la mémoire et de la méta­mor­phose, Maëlle Dequiedt et son équipe créent une tra­ver­sée sen­sorielle et psy­chique, à la fois ludique et dérangeante, comme un sou­venir qui affleure, se déforme et se répète. L’idée de faire de l’En­fant le témoin muet du meurtre de la mère dans Hin und zurück donne, à sa cul­pa­bil­ité et aux gestes de colère une expli­ca­tion cohérente au moment d’im­ager les « sor­tilèges » qui l’en­vi­ron­nent dans l’opéra de Rav­el. Le trau­ma­tisme de l’En­fant devient alors un espace scénique à part entière : la mai­son devient un espace en sus­pens, avec une galerie d’ob­jets que la mise en scène se garde bien de présen­ter dans le décor avant qu’ils ne s’animent, au sens lit­téral du terme.  Cette suite d’ap­pari­tions ren­voie à l’idée d’une mai­son habitée par les sou­venirs, les voix et les objets, qui pren­nent vie comme des échos du passé. 

Le regard de l’enfant

Empty House- L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hindemith, « Filmmusik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horoscope de Constance Lambert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direction musicale de Karel Deseure, Opéra des Flandres, 2024 © WM
Emp­ty House- L’Enfant et les Sor­tilèges, opéra de Mau­rice Rav­el sur un livret de Colette, mini-opéra Hin und zurück de Paul Hin­demith, « Film­musik » dans Lulu d’Alban Berg, Like Flesh de Sivan Eldar, Horo­scope de Con­stance Lam­bert ; mise en scène de Maëlle Dequiedt, direc­tion musi­cale de Karel Deseure, Opéra des Flan­dres, 2024 © WM

L’autre point fort de cette pro­duc­tion est l’é­trangeté des images comme trou­ble du regard et de la mémoire de l’En­fant. Dans cet univers de l’é­trange et du mer­veilleux, de l’écureuil géant, nar­ra­teur et accordéon­iste, aux rôles-objets comme les tass­es de porce­laine ou les plus atten­dus berg­ers, hor­loge et démons des math­é­ma­tiques, l’ap­pari­tion d’une princesse-fée sig­nale, d’un coup de baguette mag­ique, le moment où bas­cule l’action. Le regard du spec­ta­teur est attiré par le point focal et mag­né­tique du foy­er rougeoy­ant de la chem­inée, objet de fas­ci­na­tion haute­ment sym­bol­ique de l’En­fant rêveur. Per­du dans ses pen­sées mélan­col­iques, il regarde danser les flammes. Dans un mou­ve­ment scéno­graphique très flu­ide, les murs s’ou­vrent, les papiers peints pren­nent vie, les objets devi­en­nent per­son­nages ; la cham­bre se méta­mor­phose en jardin, puis en songe. À tra­vers ce jeu d’échelles et de per­spec­tives, la mai­son devient un espace de tran­si­tion, jusqu’à se réduire physique­ment à une maque­tte minia­ture et dis­paraître com­plète­ment, tel un objet de tran­si­tion entre rêve et réal­ité, enfance et âge adulte, passé et présent. Face au vide angois­sant, le spec­ta­cle ouvre alors une per­spec­tive sans réponse où flotte l’idée pas­cali­enne de l’absence, avec l’idée que cet infi­ni n’est pas pour autant sans présences…  


Entre­tien avec Maëlle Dequiedt

Votre tra­vail fait le choix de con­stru­ire à par­tir d’u­nivers dra­maturgiques dif­férents. Com­ment avez-vous opéré et quels ont été les principes qui ont mené à ce choix ? 

Nous avons tra­vail­lé autour d’un voy­age dans la mémoire, les pièces se faisant toutes écho sans pour autant don­ner de clé au spec­ta­teur. Ce dernier garde ain­si toute lib­erté de tiss­er des liens entre les pièces. Hin und zurück et L’Enfant et les Sor­tilèges font tous deux dis­paraître une femme : Hélène et la Mère. Nous avons imag­iné que Hélène, assas­s­inée puis ren­due à la vie par le Sage chez Hin­demith, puisse réap­pa­raître dans L’En­fant et les Sor­tilèges comme fan­tôme de la mère. Il était intéres­sant dès lors que l’En­fant (Lucy Gibbs qui chante l’En­fant) assiste lit­térale­ment à Hin und zurück, en pre­mière par­tie du spec­ta­cle. Nous voulions un voy­age dans la mémoire, au tra­vers des sou­venirs frag­men­tés.

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