La lecture des textes du philosophe français Charles Fourier autour du phalanstère, bâtiment à usage communautaire, a conduit l’artiste Julien Fournet à s’intéresser aux utopies réalisées, aux actes d’appropriation de l’espace public et aux conditions de la naissance de l’autodétermination dans un groupe d’enfants. L’Enfance majeure est un spectacle dans l’espace public créé l’été 2025, dans lequel la rue se transforme en terrain de jeu carnavalesque et où la puissance de l’enfance devient le moteur d’une transformation.
L’Enfance majeure est précédé d’une « Plaine de jour », un centre aéré de deux ou trois journées réservé à une vingtaine d’enfants qui participeront à cette double expérience pédagogique et micro-utopique. Les propos qui suivent sont extraits d’une conférence-échange entre Julien Fournet et sa collaboratrice, Emmanuelle Nizou, qui s’est tenue à la maison de la culture de Tournai au printemps 2025, lors d’un cycle sur les utopies de l’enfance.

L’Enfance majeure – Mars 2025, Mars Mons Ars de la Scène © David Bormans
Emmanuelle Nizou. L’Enfance majeure est un spectacle qui pose la question de l’autonomie d’un groupe d’enfants et leur capacité à décider pour elleux-mêmes. Comment l’as-tu mise au travail ?
Julien Fournet. J’ai commencé à m’intéresser à la question de l’autodétermination chez les enfants il y a cinq ans, ce qui a donné lieu à un travail de recherche, à la création d’une sorte de centre aéré, puis d’un spectacle dans l’espace public. La recherche s’est faite en deux lignes parallèles, une ligne théorique, faite de séminaires, de discours et d’expériences de pensée, plutôt entre adultes, et une autre, tournée vers de la recherche appliquée, avec des enfants de huit à douze ans. En deux ans, nous avons rencontré près de deux cents enfants : on a travaillé avec cinq classes, trois écoles, trois centres aérés, des associations à Mons, à Falaise, à Aurillac et à Bruxelles. Nous leur avons principalement proposé des ateliers de gestes et de pratiques.
EN. Aujourd’hui, c’est effectivement de cette dernière ligne dont nous allons nous entretenir. L’Enfance majeure est-elle un passage à l’acte, une utopie réalisée ? Y a‑t-il une tentative de faire alternative ?

Phalanges d’harmonie — Mini-parade en micro-utopie — Chorège CDCN Falaise Normandie © ClaraRambaud
On parle ici d’utopies concrètes, qui sont une branche bien particulière du corpus utopique. Ce sont des modes d’action en prise avec le monde, intégrés dans la vie sociale. On essaie d’y expérimenter d’autres valeurs et modes de vie. À travers notre recherche sur L’Enfance majeure, j’ai réuni une équipe de plusieurs personnes, notamment la danseuse Emma Harder et la circassienne Lucie Yerlès. Nous avons traversé des états de vie avec les enfants : ensemble, nous avons travaillé à la fabrication d’un vocabulaire et à la mise en place d’un petit territoire mouvant, provisoire. Avec des communautés d’enfants, nous avons fait des expériences sensorielles, imaginaires, et nous nous sommes exposé·es à des questions liées au fonctionnement du groupe, au risque, mais aussi au don et au partage.
EN. Peux-tu développer en quoi ont consisté ces expériences sensorielles et imaginaires avec les enfants ?
La première série d’ateliers s’est tenue à Montreuil-sur-Mer, en France. Nous avons mis l’accent sur l’appropriation de l’espace public par les enfants, car iels y sont souvent mis de côté, voire rejetés. Nous avons fait une recherche de matériaux d’ambiance et utilisé le ballot de paille comme objet circassien. Nous en avons fait à la fois un agrès de cirque et un char de foire en montant dessus et en le faisant rouler. Il peut être un élément perturbateur pour une rue ou pour un espace public : le dérouler crée un tapis de vingt-cinq mètres de long qui peut recouvrir une rue. Un ballot de paille pèse 300 kilos, le mettre ainsi entre les mains des enfants comporte un certain danger. Nous avons mis en place toute une série de techniques de parade, de protection et de liens entre elleux pour pouvoir manipuler un ballot de paille en toute sécurité. Par ailleurs, je trouve le ballot de paille fascinant dans la mesure où c’est un objet capitaliste qu’on voit partout, au bord des routes, mais avec lequel on a très rarement l’occasion de jouer, qu’on ne peut même pas toucher. Certains objets liés à la production se sont multipliés depuis cinquante à soixante-dix ans (à l’image des fils barbelés ou des containers) et nous capturent : ils nous privent de quelque chose. Le ballot de paille nous prive d’un rapport à la terre, puisque c’est toute la moisson qui a été complètement industrialisée. Il représente l’aboutissement de l’agriculture intensive – on ne peut plus le gérer nous-mêmes sans recourir à de grosses machines. Nous l’avons repris avec les enfants pour redéployer le champ, les déchets du blé, c’est-à-dire la paille. Comment mettre les enfants en puissance par des actes d’appropriation de l’espace public a été notre point de départ, et le ballot de paille s’est imposé comme créateur de coopération, de partage de risque, d’empuissantement poétique et pratique.
EN. Comment avez-vous plus spécifiquement travaillé sur la confiance et l’autonomie ?





