L’ouvrage collectif L’Enfant qui meurt, sous la direction de Georges Banu – membre inspiré de notre comité de rédaction et ancien directeur de thèse –, traite de la mort de l’enfant, victime d’une tragédie insoutenable et d’une destinée implacable. L’enfant, figure impuissante, livré à la fureur des dieux, désigne en vérité le parent, à savoir le clan et sa descendance. Qu’il soit tué, massacré, voire ingéré, le châtiment est si violent qu’une lignée entière, une dynastie, une race même est alors anéantie. De tout temps, de Shakespeare à Kane, d’Ibsen à Pommerat, en passant par Tchekhov et Maeterlinck, la mort de cet être vulnérable nous émeut toujours autant.

L’enfant qui meurt… De nos jours, rien n’a changé, si ce n’est que les hommes sont plus forts que les dieux.
Et cet enfant, à l’instant même où j’écris ces lignes, meurt d’une telle façon que le sort des damnés serait à envier. Son corps explose sous les bombes, ses os craquent sous les coups, ses muscles se déchirent sous le poids écrasant des hommes, ses cris se perdent dans l’obscurité froide de la mer, son souffle s’éteint faute de nourriture ; et face à tous ces cadavres, victimes de crimes de guerre ou d’une vision politique parfaitement structurée, l’enfant qui meurt n’en finit plus de mourir en vérité.
Étrangement, à côté de cette figure désespérément familière de l’enfant, rôde une autre figure innocente, et sans trop savoir pourquoi, je n’ai cessé de la chercher et de l’évoquer, dans mes recherches et ma thèse, dans mon livre, mes livrets et mes articles, et finalement, dans ce numéro aussi. Moi, et de nombreux autres artistes et chercheurs bien plus talentueux il faut le dire ! Tous ont participé à cette aventure, tous1, je les remercie du fond du cœur.
Cet enfant qui existe et qui est bien vivant, je le confirme, prend parfois la forme d’un fantôme ; peut-être même que, par moments, il devient impalpable, et on se dit alors que tout cela n’est qu’un rêve, une illusion, celle d’une enfance perdue, fantasmée, teintée de la nostalgie d’un monde disparu ; mais qu’importe après tout, car si la mort de l’enfant est un sujet inépuisable au théâtre, si la mort de l’enfant est une tragédie qui se répète indéfiniment et inlassablement dans la vie réelle, si les infanticides se multiplient en raison de la misère sociale, il est pourtant une figure d’enfant qui défie la mort et raconte une vie certes fragile mais aussi tenace. À la mort à la vie, la figure d’un autre enfant au théâtre.
- J’ai une pensée chaleureuse et complice pour Sandrine Le Pors et son magnifique numéro de “Percées” n°10, que j’ai découvert tandis que cet numéro 153 était en cours. Très visionnaire, ce numéro traite magnifiquement du sujet de la naissance et de l’accouchement :
https://percees.uqam.ca/numeros/theatres-contemporains-de-la-naissance-et-poetiques-de-laccouchement/ ↩︎

