En hommage à mon mentor, collaborateur et ami….
Dans sa collaboration avec les enfants, ou des personnes en situation de handicap, Robert Wilson n’a jamais montré de signes de condescendance ou de supériorité ; ni de paternalisme ou de compassion indulgente ; encore moins la volonté d’imposer un imaginaire personnel et autoritaire. Il a plutôt fait appel à une forme de respect appelant à l’échange et à la réciprocité, non hiérarchisée, honnête et instinctive.
La Byrd Hoffman School of Byrds
Grâce à l’expérience de thérapeute mûrie dans des centres ou hôpitaux de Harlem, lieux destinés aux enfants handicapés ou ayant subi des lésions cérébrales, Robert Wilson fonde la « Byrd Hoffmann School of Byrds (BHSOB,1968 – 1975), en hommage à son danse-thérapeute, Byrd Hoffmann, qui l’avait aidé dès l’adolescence à gérer son bégaiement. La BHSOB désigne une communauté qui vit et travaille dans des espaces désaffectés de New York, à Downtown, Manhattan. Sous la direction de Wilson, des artistes d’horizons différents (Stefan Brecht, Lucinda Childs, Sheryll Sutton, Andy Degroat…) et des personnes marginalisées ou affectées de troubles comportementaux ou sociaux (souvent rencontrées dans les rues ou dans des ateliers thérapeutiques) se réunissaient pour vivre et s’exprimer autour d’activités performatives de groupe et d’ateliers d’éveil perceptif.
Les workshops élaborés par Wilson se basaient sur des intuitions personnelles ou sur la base d’exercices appris auprès de sa thérapeute, Byrd Hoffmann, ceux expérimentés pendant l’expérience hospitalière à Harlem, ou en côtoyant d’autres artistes new-yorkais. Ces exercices étaient principalement orientés sur la danse-thérapie, l’expérience de la pleine conscience et la gestion de l’anxiété, à travers l’exécution lente de gestes et la maîtrise de la locution. L’écoute attentive et intensive des expériences sensorielles et perceptives, l’hyper-réceptivité, mûries au cours de sa propre expérience thérapeutique ainsi que dans les workshops au sein de sa communauté, ont rapproché Wilson du solipsisme de personnalités proches de l’autisme ou borderline. Ce n’est pas un hasard si, dès ses premières expériences performatives, Wilson se soit associé volontairement à des enfants ayant subi un isolement social et psychologique en raison de leur handicap ou de leur spécificité.
Raymond Andrews et Le Regard du sourd

Raymond Andrews était un jeune garçon afro-américain, analphabète et sourd-muet, que Wilson rencontra par hasard en 1968, dans une rue du New Jersey où (selon l’anecdote qu’il aimait rapporter) l’enfant était en train de se faire tabasser par un policier. Wilson prit sa défense et s’engagea devant un juge à l’adopter et assurer son éducation.
En contact quotidien avec l’univers atypique de celui-ci, Wilson s’adaptera à la sensibilité si particulière de l’enfant, doté d’une créativité unique et s’exprimant par images, bruitages et sons incompréhensibles. Lors d’interviews ou des séances publiques, Wilson aimait raconter le souvenir marquant d’une expérience avec cet enfant dans son loft de New York. L’enfant ne réagissait pas aux tentatives de prise de contact avec des personnes étrangères à son univers et à son isolement sensoriel (sourd-muet), et cela contribuait à son renfermement dans ses propres visions et obsessions. Un jour, Wilson appela l’enfant, assis en train de jouer, par son prénom. Étant sourd, l’enfant ne réagit pas à l’appel. Wilson insista à plusieurs reprises jusqu’au moment où il s’approcha du sol, en le frappant à plusieurs reprises, et en émettant des sons déformés et gutturaux, imitant les sons et les cris que l’enfant produisait habituellement dans ses tentatives impuissantes d’expression de soi. Raymond réagit immédiatement à l’appel, sensible aux vibrations du sol et des ondes sonores émises par les sons gutturaux : un lien commun s’établit dès lors entre les deux personnes et il devint leur moyen privilégié de communication.
Cette anecdote éclaircit certaines obsessions wilsoniennes avec l’usage fréquent de cris, de langages étranges et incompréhensibles, qui ponctuent ses spectacles. Wilson, fasciné et intrigué par la richesse créatrice et expressive du jeune Raymond, intégrera ses visions dans l’élaboration du spectacle Deafman Glance [Le Regard du Sourd] (1970). L’apport fondamental de Raymond Andrews consista dans l’élaboration d’un univers iconique non verbal personnel et puissant, proche d’un certain shamanisme ou de la transe, traversé par des souvenirs traumatiques, avec des associations symboliques paradoxales et incongrues pour le spectateur. On soupçonne que le jeune Raymond a pu assister à des violences ou à une tentative de meurtre d’un proche, et cet épisode apparaît de façon hallucinée dans la célèbre scène du meurtre d’un petit enfant (interprété par Raymond lui-même), et exécuté par une élégante femme en robe victorienne (interprétée par Sheryll Sutton) avec une extrême et inquiétante lenteur. L’intuition de Wilson a été de réarranger ce matériau unique, non pas en l’adaptant à une structure dramaturgique traditionnelle cohérente (qui en aurait inévitablement appauvri l’impact), mais en créant de nouvelles équations spatio-temporelles, polysémiques et troublantes.
Einstein on the Beach : Christopher Knowles
Christopher Knowles est un poète et artiste américain né en 1959, qui avait été diagnostiqué handicapé mental ou autiste par les institutions médicales. La rencontre avec cet artiste sera une nouvelle étape dans l’esthétique wilsonienne. Voici comme il raconte ses premières impressions après la rencontre :
« Au début de l’année 1973, quelqu’un me confia une bande enregistrée, c’était fascinant. La bande enregistrée portait le titre ‘‘Emily aime la télévision’’. Sur la bande, on entendait la voix d’un jeune homme qui parlait incessamment en créant des répétitions et des variations sur des phrases concernant Emily regardant la télévision… J’ai commencé à me rendre compte que les mots se conformaient à un dessein rythmique dont la logique était autoréférentielle. C’était une pièce codifiée comme de la musique. Comme une cantate ou une fugue. Ça marchait par conjugaisons et pensées répétées par variations… »1

Depuis cette rencontre, Wilson collabora intensément avec Knowles et leur collaboration trouvera son aboutissement dans l’élaboration de textes pour Einstein on the Beach, dont les structures répétitives et hallucinées s’intégraient parfaitement aux structures modulaires de la musique de Glass, ainsi qu’aux séquences dramaturgiques et chorégraphiques de Wilson.2
Ma collaboration artistique avec Robert Wilson




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