Quelle présence de l’enfant dans le répertoire théâtral jeunesse ?
Théâtre
Réflexion
Jeune Public

Quelle présence de l’enfant dans le répertoire théâtral jeunesse ?

Une affaire plus intergénérationnelle qu’il n’y paraît

Le 8 Déc 2025
BERNANOCE légendes 1 Photo La Brèche, Une tribu collectif, Théâtre 140 à Bruxelles, 2025 © Simon Breeveld
BERNANOCE légendes 1 Photo La Brèche, Une tribu collectif, Théâtre 140 à Bruxelles, 2025 © Simon Breeveld

A

rticle réservé aux abonné·es
BERNANOCE légendes 1 Photo La Brèche, Une tribu collectif, Théâtre 140 à Bruxelles, 2025 © Simon Breeveld
BERNANOCE légendes 1 Photo La Brèche, Une tribu collectif, Théâtre 140 à Bruxelles, 2025 © Simon Breeveld

Ques­tions posées

Quand on s’interroge sur la fig­ure de l’enfant dans le théâtre à des­ti­na­tion de la jeunesse, on peut instinc­tive­ment se for­muler que la présence de per­son­nages enfants et jeunes doit val­oir adresse, iden­ti­fi­ca­tion oblige. Cela revient à sous-enten­dre que lire et recevoir une œuvre théâ­trale, ce serait tou­jours s’identifier à des per­son­nages qui nous ressem­blent en ter­mes généra­tionnels. Un auteur con­tem­po­rain, Jean-Gabriel Nord­man, s’en est amusé : ce serait « comme si on voulait des­tin­er Oh les beaux jours de Beck­ett à un pub­lic de troisième âge, Les Femmes savantes de Molière à un pub­lic féminin ou Les Nègres de Genet à un pub­lic noir…1 ».

Or, il suf­fit de regarder de près quelques œuvres, dont celle qui a mar­qué l’émergence d’un théâtre d’art à des­ti­na­tion des jeunes, à savoir Mamie Ouate en Papoâsie2 de Joël Jouan­neau, pour se ren­dre compte que la ques­tion ne peut être posée ain­si. Dans cette pièce emblé­ma­tique, aucune fig­ure d’enfant ni de jeune. Il en est d’autres qui ne com­por­tent que des per­son­nages âgés, ain­si Les Trois Petits Vieux qui ne voulaient pas mourir3 de Suzanne Van Lohuizen ou encore L’Entonnoir4 de Jean Cagnard, sans par­ler des pièces sans per­son­nages, au sens réal­iste du terme, comme Les Trois Jours de la queue du drag­on5 de Jacques Reboti­er.

Par ailleurs, nom­breuses sont les pièces jeunesse qui n’ont pas été écrites inten­tion­nelle­ment à des­ti­na­tion des jeunes, ain­si Mon­sieur Fugue ou le Mal de terre6 de Lil­iane Atlan ou encore Ma famille7 de Car­los Lis­cano8. L’expression « théâtre pour » se révèle prob­lé­ma­tique à plus d’un titre. 

Étudi­er la fig­ure de l’enfant dans le réper­toire jeunesse revient donc à se deman­der quelle est la nature des rela­tions intergénéra­tionnelles qui sont en jeu, des plus évi­dentes au plus souter­raines.

Don­ner parole à celui qui ne l’a pas : infans et ado­les­cent

Que voit-on dans le réper­toire théâ­tral jeunesse en matière de fig­u­ra­tion de l’enfance ? Peut-être faut-il com­mencer par dif­férenci­er enfance et jeunesse. L’enfant, éty­mologique­ment, c’est cet être encore en for­ma­tion sans voix. Le jeune, lui, ado­les­cent ou grand ado­les­cent, est plus bavard. 

Il appa­raît alors que beau­coup de grandes pièces jeunesse se sont ingéniées à don­ner la parole à des enfants, y com­pris très jeunes, et sou­vent de façon non nat­u­ral­iste. C’est le cas dans La Pan­tou­fle9 de Claude Pon­ti, où l’action se situe à l’intérieur douil­let d’un utérus dont l’enfant sait qu’il doit sor­tir, mais tout nu ! C’est Bouli année zéro10de Fab­rice Melquiot, au sein d’une saga qui ramène Bouli Miro dans le ven­tre mater­nel. Dans Son par­fum d’avalanche11, de Dominique Paquet, le lecteur est amené à assumer le regard d’« enfants-bulles » porté sur le monde qui les entoure, tan­dis qu’ils échangent entre eux pour savoir qui va quit­ter sa bulle pour naître une sec­onde fois. Dans cette même veine, beau­coup de pièces jeunesse met­tent en jeu le geste même de la parole. D’un côté, c’est la parole éter­nelle­ment éton­née des jeunes enfants, ain­si dans Mous­tique12 de Fabi­en Arca, où elle est un dard qui pique l’adulte. D’un autre côté, c’est la parole empêchée, que ce soit par la mal­adie, ain­si dans Le Syn­drome de Gas­pard13d’Hervé Blutsch, ou par la théâ­tral­i­sa­tion du mono­logue intérieur, ain­si dans Camino14 de Nathalie Papin, où la voix intérieure de l’enfant hand­i­capé vau­dra chemin de survie. Cela donne aus­si d’étonnantes formes épis­to­laires, ce que j’ai appelé du théâtre diariste : c’est le cas d’Émile et Angèle, cor­re­spon­dance15, de Françoise Pil­let et Joël Da Sil­va, ou encore du Jour­nal de Grosse Patate16 de Dominique Richard. Dans tous ces exem­ples, le rap­port à la parole, facil­itée ou empêchée par l’adulte, s’accompagne d’une inven­tiv­ité dra­maturgique intéres­sante.

À l’inverse, ce sera mon hypothèse, les pièces fig­u­rant l’adolescence sont sou­vent et facile­ment bavardes, dans un rap­port hési­tant entre réal­isme d’une parole imi­tant celle des ados et dif­fi­culté à rester dans ce réal­isme. Il me sem­ble qu’il y a moins de fortes réus­sites dans cette part du théâtre jeunesse. Bien sûr, il y a des con­tre-exem­ples. On pour­rait citer Nao­mi Wal­lace, Evan Placey, Syl­vain Lev­ey et d’autres. Mais la ten­dance sem­ble là.

Le cou­ple adulte/enfant et le dou­ble généra­tionnel : une affaire de réc­it

Comme j’ai eu l’occasion de l’explorer17, c’est moins la fig­ure de l’enfant que l’association entre per­son­nage enfant et per­son­nage adulte qui est fon­da­trice du réper­toire jeunesse, et selon deux grandes caté­gories, le cou­ple et le dou­ble généra­tionnel, que j’ai pro­posé d’affiner selon la typolo­gie suiv­ante :

  1. L’adulte qui sait : en sur­plomb par rap­port à l’enfant, l’adulte lui apprend la vie.
  2. L’enfant qui sait : par inver­sion, c’est l’enfant qui sait et l’adulte qui apprend.
  3. L’adulte et l’enfant au même niveau : tous deux avan­cent ensem­ble selon ce que j’appelle une boucle méta­physique reliant vieil­lesse et enfance, avec croise­ment et entremêle­ment des sur­plombs. 
  4. Le dou­ble généra­tionnel : bien que l’on ait claire­ment deux per­son­nages dans la fic­tion, des effets d’écho les réu­nis­sent et les rap­prochent de façon assez ser­rée jusqu’à faire de leur paire une sorte de dou­ble.
  5. Le dou­ble généra­tionnel théâ­tral­isé va jusqu’au bout de ces effets d’écho :  plus ou moins explicite­ment, l’adulte et l’enfant sont asso­ciés au même per­son­nage fic­tif. 

A

rticle réservé aux abonné·es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte 1€ - Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
17
Partager
Photo de Marie Bernanoce
Écrit par Marie Bernanoce
Marie Bernanoce est Pro­fesseur des Uni­ver­sités émérite à l’Université Greno­ble-Alpes, mem­bre de l’UMR 5316 Litt&Arts. Out­re une cen­taine...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
Précédent
Suivant
Article publié
dans le numéro
Précédent
8 Déc 2025 — Entretien avec Camille Garcia1 Quand j’étais enfant…  Quand j’étais enfant, je suis tombée gravement malade. Une fois que les traitements…

Entre­tien avec Camille Garcia1 Quand j’étais enfant…  Quand j’étais enfant, je suis tombée grave­ment malade. Une fois que les traite­ments ont fonc­tion­né et que toute cette his­toire s’est résolue, j’ai eu envie de goûter à…

Par Leyli Daryoush
La rédaction vous propose

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements

Mot de passe oublié ?
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total