Lors d’une rencontre entre des représentants de l’Union des théâtres romands et la Municipalité lausannoise, le directeur d’un théâtre genevois, contemplant l’Hôtel de Ville, remarqua : « lci commence la Suisse profonde ». Boutade un peu exagérée, mais ne manquant pourtant pas d’une certaine vérité. Si Genève est par excellence une cité internationale, carrefour d’idées et de cultures, Lausanne, soixante kilomètres plus loin, est déjà une ville plus sensiblement « helvétique ». Un journaliste américain écrivait d’ailleurs que Lausanne et Genève étaient aussi éloignées l’une de l’autre que New York et San Francisco. La comparaison est sensée.
Cette différence, ce glissement du cosmopolitisme à un certain isolationnisme, on la retrouve, bien entendu, au niveau des arts et des spectacles. Qu’on ne s’y. méprenne pas : Lausanne ne fait pas de mauvais provincialisme, et la ville déborde de possibilités avec sa quinzaine de musées, son Orchestre de Chambre de réputation intercontinentale, son théâtre lyrique et ses quatre scènes dramatiques professionnelles, sans compter les jeunes compagnies. Quand on sait que le territoire de la Commune ne compte que 135.000 habitants et l’agglomération moins de 250.000, c’est déjà plus que remarquable. Mais le contexte théâtral lausannois marque deux différences essentielles par rapport à sa voisine du bout du lac : l’influence du système suisse alémanique d’une part, et une certaine décomplexions vis-à-vis du circuit français d’autre part.
L’influence de la Suisse allemande, tout d’abord. La conception d’un centre dramatique telle qu’on l’entend en France est ici plutôt remplacée par le modele des Stadttheater d’Outre-Sarine, bien que les moyens financiers ne soient pas les mêmes.
Le théâtre y est un instrument quasi officiellement aux mains de la Municipalité, et son cahier des charges précise sa fonction d’institution dévouée au public le plus large. Sa direction est plutôt celle d’une « administration artistique » que l’aventure d’un créateur. Le théâtre doit un certain nombre de prestations à la collectivité telle qu’animation d’été, par exemple, ou collaboration avec la scène lyrique. La liberté artistique de la direction est néanmoins effective, mais le choix du directeur par la Municipalité tient largement compte de cette faculté : d’adaptation. Le théâtre, en résumé, a pour première mission son implantation locale. Libre ensuite aux directeurs — et s’ils y parviennent, tant mieux. — de gagner les faveurs internationales par la qualité de leurs réalisations.


