C’est dimanche
Entretien

C’est dimanche

Entrevue avec Jérôme Deschamps

Le 19 Sep 1986
Article publié pour le numéro
Canada Quebec 86 repères-Couverture du Numéro 26 d'Alternatives ThéâtralesCanada Quebec 86 repères-Couverture du Numéro 26 d'Alternatives Théâtrales
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Jérôme Deschamps : J’ai com­mencé à faire du théâtre au Lycée Louis Le Grand, où j’ai ren­con­tré Patrice Chéreau et Jean Pierre Vin­cent. J’ai fait par­tie de l’aventure de Fuenteoveruna. Et puis je me suis dit que ce serait bien d’ap­pren­dre un peu mon méti­er. J’ai fait l’école de la rue Blanche et le Con­ser­va­toire. Cela m’a amené à la Comédie française où j’ai joué les valets. Enfin pas seule­ment les valets : dans Partage de midi, le mari n’est pas un valet. J’ai eu Bour­seiller et Rous­sil­lon comme met­teurs en scène. Au bout de trois ans, je suis par­ti. En fait, dès avant d’entrer au Français j’avais déjà suivi un par­cours per­son­nel. J’avais même dif­féré mon entrée pour mon­ter à Chail­lot, tout à fait au début de la ges­tion de Vitez, un spec­ta­cle qui s’ap­pelait Baboul­fiche et Papavoine, d’après un livre que j’avais lu chez moi. Ça n’était pas vrai­ment pour les enfants, mais il y en avait aux représen­ta­tions. || y avait de la musique. C’é­tait des espèces de réc­its. Vous con­sid­érez-vous comme un « clown » ? 

J.D.: Je n’aime pas trop le mot « clown ». Il recou­vre trop sou­vent une grande médi­ocrité. Je ne sais pas où on peut me class­er. C’est à vous de répon­dre. « Clown Beck­et­tien » a‑t’on dit. Pour moi, ce n’est ni clown ni Beck­et­tien, je n’aime pas les clowns qui font exprès d’être clowns, est-ce-que Buster Keaton était un clown ? et Tati ? et Chap­lin ? et pour­tant ils étaient sans doute plus clowns que les autres ! Il y a eu, liée à l’u­nivers du cirque, une tra­di­tion mag­nifique. Mais elle s’est per­due. A côté de gens mag­nifiques comme Grock, il y a eu des choses très très mau­vais­es. Et puis, Beck­ett, je me sou­viens de gens qui dis­aient à pro­pos de Godot, « c’est comme des clowns ». J’ai l’im­pres­sion que si on dit ça, c’est parce qu’il n’y a pas de décor, pas de « con­texte » plus exacte­ment, les per­son­nages sont là tout seuls, isolés, alors on dit « c’est des clowns ».… 

Pourquoi y a‑t-il dans vos spec­ta­cles des per­son­nages affligés de tant de tares physiques ?

J.D.: Mes per­son­nages ne sont pas des hand­i­capés. Ils ont des hand­i­caps. Je vais tra­vailler pour mon prochain spec­ta­cle avec des gens âgés. Je n’ai pas le sen­ti­ment de tra­vailler avec des hand­i­capés. || y a des hand­i­caps qui, effec­tive­ment, sont dus tout sim­ple­ment à la vieil­lesse, ou à la dif­fi­culté à marcher, et à voir, et à enten­dre, mais la vie est un com­bat per­ma­nent, par exem­ple avec des objets, enne­mis, ou amis, ou obsta­cles à sur­mon­ter. || y a des choses qu’on retrou­ve chez moi, de spec­ta­cle en spec­ta­cle, la voiture d’en­fants, le vin rouge, les objets qui volent, les bruits de vais­selle, l’eau qui coule, les gens qui tou­ssent, ceux qui pleurent. Je ne sais pas s’il y a un pourquoi. Je ne me fais pas telle­ment de réflex­ions sur moi-même. Quelque­fois il y a des gens de ma famille, ils dis­ent « ah oui, là ont voit bien d’où ça vient », moi .pas, mais je trou­ve que c’est bien de se servir de ces choses-là, qui sont des choses per­son­nelles, pour en faire des choses uni­verselles. C’est à dire partage­ables. Quand je vais mon­ter un spec­ta­cle, je sais ce que je veux dire, mais pas de la même façon que d’habi­tude au théâtre. Quelque­fois même, ça me fait peur, je me demande si j’ai encore quelque chose à dire. Et je me laisse pouss­er par une intu­ition.
Je vais donc prochaine­ment présen­ter un spec­ta­cle qui s’ap­pelle Les petits pas. J’ai l’in­tu­ition que le titre va bien avec ce que j’ai envie de dire, j’ai l’in­tu­ition qu’une petite musique que j’ai enten­due et qui fait penser à Nino Rota, serait splen­dide dans le cadre des Bouffes du nord. Voilà ! J’ai l’in­tu­ition d’une espèce de ligne de force avec laque­lle ces élé­ments iront très bien. C’est cette ligne de force qui me donne envie de faire le spec­ta­cle, mais dire que je sais très bien ce que c’est, je ne sais pas : je sais ce que seront les élé­ments du spec­ta­cle, mais pas ce que sera le spec­ta­cle. D’ailleurs, et c’est très impor­tant, il ne faut jamais se laiss­er aller à la pêche aux élé­ments extérieurs. Il faut être extrême­ment vig­i­lant vis-à-vis de cette intu­ition, de cette émo­tion, et se tenir à cette espèce de pro­jet, même s’il a l’air con­fus et il ne faut pas décaler. Il ne faut pas dire : « ça je ne le sens pas bien, essayons de chang­er d’univers ». Si on fait ça, j’ai le sen­ti­ment qu’on ne retrou­vera plus rien de ce qu’on voulait au résul­tat final. Je préfère creuser tout le temps dans le même sil­lon, en espérant y trou­ver .à chaque fois des choses nou­velles, mais qui seront fondées, authen­tiques. 

Est-ce-que vous êtes méchant ? 

J.D.: Je ne crois pas. La vie est méchante. L’u­nivers que je décris est vio­lent. Moi, j’ai le sen­ti­ment d’être tou­jours plein de ten­dresse pour les gens envers qui la vie, juste­ment, n’est pas gen­tille. J’aime bien mon­tr­er des vic­times. Ce qui m’in­téresse, ce sont les gens qui ne sont pas sûrs d’eux, les gens qui sont per­dus. Je les trou­ve plus émou­vants que les autres. Je n’ai pas une espèce de désir sadique ou mal­sain à leur faire se cass­er la jambe et à pren­dre plaisir parce qu’ils sont paumés. Moi-même je ne suis pas sûr de moi. Bernard Tapie est sûr de lui. Moi, j’ai quand même l’im­pres­sion de ris­quer des choses plus émou­vantes… Non ?

Pourquoi avez-vous choisi un style de jeu qui n’est pas vrai­ment du théâtre ?

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