J’ai souvent dit et répété que la difficulté pour un organisateur de festivals est de concilier la variété et l’unité de la programmation. La variété consiste à présenter au public un état du théâtre international contemporain le plus proche possible de la réalité mouvante et parfois peu logique des arts du théâtre. De nos jours, la danse, la musique, les techniques audiovisuelles, le texte, la performance gestuelle ne constituent plus des genres séparés mais bien souvent heurtent notre sens de l’ordre didactique par leurs interférences parfois sophistiquées.
Nous essaierons cette année de rendre compte de cette diversité à travers huit pays, quelque dix-sept spectacles différents et une quarantaine de représentations qui se dérouleront à Liège, Mons, Namur, Tournai et Arlon.
L’autre objectif que nous voulons poursuivre est de présenter le travail théâtral d’un pays, d’une manière plus complète. Cette année la chance nous a souri : notre invité d’honneur est le Québec-Canada. C’est une aventure fabuleuse que celle qu’il m’a été donné de vivre par la connaissance du théâtre québécois, depuis une longue décennie. Il y a une douzaine d’années, Pol Puaux, directeur du Festival d’Avignon, Michel Dubois, directeur du Centre dramatique de Caen, Philippe Tiry, directeur de l’ONDA et moi-même, nous fûmes invités à prendre connaissance du théâtre québécois qui éclatait à la faveur d’une autre explosion politique et culturelle que la Belle Province vivait dans la passion et l’effervescence.
J’ai eu la surprise à cette époque, de constater que la plupart des scènes de Montréal et de Québec ne présentaient que des pièces de théâtre contemporaines écrites par des Québécois. Je compris dès lors que la recherche éperdue d’une identité culturelle amenait naturellement les artistes québécois à rejeter dans le même geste les relents d’une culture anglo-saxonne et « fransquionne » pour privilégier leurs propres créations.
Ce mouvement se traduisit notamment par la création d’ateliers d’écriture dramatique dans la plupart des Conservatoires du pays. La conséquence en fut surtout l’apparition d’auteurs de très grand talent tels que Michel Tremblay, Antonine Maillet, Michel Garneau, etc…
Au reste, les comédiens québécois jouaient leurs scènes et disaient leurs textes avec l’âpre rocaille d’un accent | qui lui aussi se voulait insolemment comme le signe d’un affranchissement du bien parlé français. Dès le début de cette découverte, notre festival de Liège invita régulièrement des compagnies québécoises présentant des auteurs québécois. Nous eûmes ainsi la joie de connaître toute une panoplie de jeunes écrivains et metteurs en scène, depuis La sagouine d’Antonine Maillet, jusqu’au Rail de Gilles Maheu, en avril 1986.
Le public liégeois connut ainsi de grands moments de théâtre, notamment avec la Ligue nationale d’improvisation et le Théâtre expérimental de Jean-Pierre Ronfard. Et puis voilà que les Québécois, gens de « race française et de formation anglo-saxonne » se rendent compte peu à peu que la construction de leur identité culturelle risquait, dans une certaine mesure, de les couper de la création internationale.
Bien qu’artiste on peut être pragmatique. C’est ce qui amena il y a trois ans un groupe d’animateurs québécois à organiser la première Quinzaine Internationale de Théâtre et à renouer ainsi avec le monde entier, à travers la présentation de spectacles venant des quatre coins du monde. C’est à Québec, en 1984, que le Plan K représenta brillamment notre pays ; c’est à Québec en 1984 que je découvris le Handspan theatre d’Australie dans son merveilleux spectacle Secrets que nous présentons cette année à Liège. Les festivals sont aussi des lieux de rencontres animées et passionnées d’organisateurs.. de festivals. C’est à Québec en 1985, à Montréal en 1986, à l’occasion d’un Festival du théâtre des Amériques que nous fûmes un certain nombre à échanger nos informations, nos émotions et à nouer les contacts dont l’aboutissement est la programmation de tout festival de théâtre.
Je crois qu’à présent la création québécoise est bien sortie des dangers qui la menaçaient. En dix années elle s’est nourrie et fortifiée de sa propre substance, riche et correspondant à une réalité humaine profondément vécue. A présent, les créateurs de la Belle Province ont sillonné le monde, ont engrangé de nouvelles émotions, ont invité les étrangers à venir chez eux et le résultat ne s’est pas fait attendre : la chorégraphie, l’art visuel, le théâtre des Américains francophones éclatent partout et partout se trouvent à l’avant-garde de l’invention. Je crois que notre vieux monde d’Europe qui s’est trop attaché à ses traditions et à sa précellence devrait avec la même humilité se refermer sur lui pendant très peu de temps, retrouver ses véritables racines et puis, nourri de nouvelles forces, se confronter avec les autres créateurs du monde entier.
Peut-être y a‑t-il là un simple remède à ce que certains appellent chez nous, un peu exagérément, « la crise du théâtre français »…

