Danièle Stern : En septembre prochain, le Québec sera l’invité d’honneur du XXIXè Festival de Liège avec plusieurs spectacles ; actuellement, se déroule à Montréal un Festival international de mime ; dans quelques jours la Quinzaine internationale du théâtre commencera à Québec, cette ouverture du Québec vers l’étranger n’est-elle pas assez récente, le Québec ayant d’abord affirmé son identité par une certaine fermeture sur lui-même ?
Claude Des Landes : Je ne pense pas que la fermeture sur soi-même ait été volontaire, ou même consciente. C’était une arme, une façon de se retirer pour faire le tour de la maison, pour inscrire les chose et les nommer, les expliquer aussi, parce que le théâtre Québécois avait un côté un peu didactique, illustratif, à ses débuts.
Il était nécessaire de confronter ce que les écrivains, les comédiens voulaient dire, de le montrer, le partager avec le public et toute une nouvelle génération. En même temps, c’est vrai que ce repliement qui s’est produit a eu comme effet d’une part de refuser ce qui venait de l’étranger, puisqu’il avait eu tellement d’influences jusqu’alors et d’autre part de ne pas songer à aller à l’extérieur pour tenter de partager, d’enrichir ce qu’on connaissait. On peut dire que c’est normal puisqu’on voulait tenter d’être original, d’être soi-même. On ne parlait donc pas d’échanges internationaux sinon qu’il y avait certaines compagnies québécoises, qu’on appelait canadiennes qui allaient à l’étranger, mais avec des œuvres classiques, dites internationales. C’était vraiment un théâtre de langue française internationale, même s’il y avait également quelques auteurs québécois.
Je crois que c’est le Centre d’essai des auteurs dramatiques, dont le but était de faire connaître de jeunes auteurs du Québec qui a déclenché l’ouverture sur l’étranger — à ce moment-là, uniquement l’Europe francophone, plus tard, ce fut beaucoup plus vaste — lorsqu’il a organisé en 1975, en France, une série de lectures — spectacle avec 7 auteurs québécois, ce qui a permis de faire connaître d’abord une langue, un style de jeu et ensuite des auteurs comme entre autres Michel Garneau et Michel Tremblay.
Suite à cela des textes québécois ont été joués en Europe francophone et des troupes ont été invitées, ont pu organiser des tournées. Et le jeune théâtre québécois — on appelait ainsi à l’époque les troupes qui faisaient un. travail collectif — a suivi lui aussi. On parlait de repliement sur soi-même et tout à coup on s’est aperçu que c’était important de s’ouvrir vers l’étranger, pas tellement pour acquérir une reconnaissance internationale, que pour partager des façons de travailler et des langages différents. On s’est aperçu qu’il pouvait y avoir une attention portée sur le jeu, le langage, le débit et que ce n’était pas pour des questions de régionalisme, de folklore, absolument pas. Par la suite ces tournées ont crée des contacts et les compagnies québécoises ont voulu accueillir des compagnies étrangères. Il n’y avait à ce moment-là que l’Association québécoise du jeune théâtre qui organisait chaque année un festival, d’abord québécois et qui refusait d’inviter des troupes étrangères. I n’y en avait pas d’autre et les moyens étaient très limités — le grave problèmes des troupes, ici, c’est qu’elles manquent de lieux — mais toutefois, à cause de ces influences, dans les années 75 – 77, on a invité des troupes étrangères dans le cadre du festival de l’Association québécoise du jeune théâtre.
Cela s’est poursuivi, de façon parcimonieuse peut-être à cause du manque de lieux, mais le mouvement à éclaté et il y a eu des échanges réguliers avec la France et la Belgique surtout pour arriver maintenant à avoir des envies de jeter un regard sur les approches différentes d’un pays et de l’autre, des écrivains, des comédiens, des metteurs en scène. Car je crois que les échanges internationaux ce n’est pas seulement l’importation et l’exportation de compagnies avec un spectacle mais aussi — et c’est vers cela que l’on va maintenant — des échanges de metteurs en scène, de comédiens pour confronter les pratiques. Tout repose avant tout sur les contacts, les relations entre professionnels, la connaissance réciproque du travail qui se fait et la curiosité, le désir d’échanges, de connaissance réciproque. A ce niveau-là, déjà dans le passé, la Belgique, la Communauté française a été très active. Si l’on parle du jeune théâtre, je crois que c’est Robert Maréchal du Festival du jeune théâtre de Liège qui le premier a invité de façon régulière des troupes du Québec. Je pense entre autres à un Don Quichotte que Jean-Pierre Ronfard avait monté avec de jeunes comédiens, un Don Quichotte qui n’avait rien à voir avec une interprétation classique, la trame, les personnages étaient là mais, c’était une interprétation complètement originale, très québécoise. Et cela, c’était avant les années 75, avant ce mouvement dont je parlais tout à l’heure.
Et cette année-ci on pourra voir au Festival du jeune théâtre de Liège des productions canadiennes et québécoises très diverses qui témoignent des pratiques du jeune théâtre chez nous.
Propos recueillis par Danièle Stern, Montréal, le 30 mai 86

