L’échange, l’amitié autour du « Neveu de Wittgenstein »
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L’échange, l’amitié autour du « Neveu de Wittgenstein »

Le 20 Nov 1989
Article publié pour le numéro
Thomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives ThéâtralesThomas Bernhard-Couverture du Numéro 34 d'Alternatives Théâtrales
34
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L’ECHANGE : c’est un peu de sa pro­pre mort qui se trou­ve sauvée dans l’échange, un peu de sa mort tro­quée con­tre une dette, cette dette qui se nomme ami­tié. 

L’ami­tié est une des rares valeurs à laque­lle Thomas Bern­hard sem­ble accorder un prix. Pour le reste, pas d’amour chez lui, pas de ten­dresse, sauf les quelques rares men­tions qu’il fait à « la tante », l’être vital, qui habitait avec lui. 

L’ami­tié ici est celle qui lie l’auteur au neveu de Wittgen­stein, per­son­nage inspiré de Paul Wittgen­stein, frère de Lud­wig. 

Paul Wittgen­stein est entré dans l’histoire de la musique parce que, amputé du bras droit au lende­main de la guerre 14 – 18, il com­man­da aux com­pos­i­teurs les plus célèbres de son époque des con­cer­tos pour la main gauche. Les trou­bles men­taux qui l’affectèrent à la fin de sa vie con­tribuent à façon­ner le per­son­nage du neveu de Wittgen­stein. 

En 1967, Thomas Bern­hard est hos­pi­tal­isé. On lui extrait alors du tho­rax une tumeur grosse comme un poing. À la même époque, Paul Wittgen­stein réside dans la sec­tion réservée aux malades men­taux du Stein­hof attenant au départe­ment où l’auteur séjourne. Cette ami­tié entre l’auteur et Paul nous est présen­tée comme une lutte pour la survie. Il s’avère d’ailleurs que les deux per­son­nages à un moment don­né de leur exis­tence sont com­plé­men­taires. L’un est aux pris­es avec son corps, l’autre avec un mal qui ronge son esprit. 

Tout se passe comme s’ils étaient habités l’un et l’autre par un être malade. L’au­teur lut­tant avec ses forces psy­chiques con­tre la mal­adie, le neveu de Wittgen­stein s’employant à défi­er la folie avec ses forces physiques.

Paul nour­rit une pas­sion intran­sigeante pour la musique et le sport auto­mo­bile. Cepen­dant, dit Bern­hard, il jette les tré­sors de son esprit par la fenêtre. En fait, il témoigne par là d’une prodi­gal­ité à l’excès nuis­i­ble à son génie. En effet, il est présen­té comme un génie qui ne pro­duit rien alors que lui, le nar­ra­teur, écrit. Tous les deux, en fait, sont artistes et tous les deux se bat­tent pour recou­vr­er un état de san­té. 

Tout se passe comme si le mal les avait aiman­tés puis repoussés. Dans leur mal­heur et leur con­va­les­cence, ils se bat­tent pour se touch­er, se retrou­ver. 

Cepen­dant, cette ami­tié est aus­si l’histoire d’un déclin, d’une ago­nie qui com­mence avec le sar­casme, l’ironie. Les petits esclan­dres d’un per­son­nage par ailleurs somptueux, grand seigneur, austère, arbi­tre des élé­gances en matière de musique.
Paul pas­sa la pre­mière moitié de sa vie à gaspiller sa for­tune et la sec­onde, une fois sa richesse dilapidée, à men­er une vie iden­tique mais sans argent, ce qui ne put que créer l’exaspération de la famille.

Et rapi­de­ment, ses excen­tric­ités seront décrites comme folie. 

Alors, Paul, soudain, a besoin de touch­er : ses longues étreintes, les moments de silence à écouter la musique. 

Jean-Marie Mahieu, Thomas Bernhard, peinture, technique mixte sur bois, 1989
Jean-Marie Mahieu, Thomas Bern­hard, pein­ture, tech­nique mixte sur bois, 1989

L’ami­tié, chez Bern­hard, c’est peut-être une fra­ter­nité qui s’é­tale sur une péri­ode de temps déter­minée qui con­naît un com­mence­ment et une fin ; c’est une fra­ter­nité qui peut se per­me­t­tre le luxe d’échap­per à la logique fatale du des­tin. Ici, les événe­ments, les ren­con­tres procè­dent par étapes jusqu’au moment où Wittgen­stein s’est mis à déclin­er physique­ment. Alors, le nar­ra­teur fuit, nour­ris­sant toutes ses réflex­ions autour de la mort. 

Le déclin de l’ami rejette le nar­ra­teur.

L’ami­tié peut se per­me­t­tre le luxe d’une lib­erté étrangère au frère. 

C’est une rela­tion qui ne porte pas a pri­ori l’empreinte du bais­er de la mort. 

« Il n’est pas aber­rant de penser, écrit Bern­hard, qu’il a fal­lu que mon ami meure pour me ren­dre plus sup­port­able ma vie, ou mieux, mon exis­tence, si ce n’est pen­dant de longues péri­odes pour me la ren­dre sim­ple­ment pos­si­ble ». C’est cette lib­erté que per­met l’amitié, cette lib­erté qui est aus­si celle par laque­lle la créa­tion com­mence. 

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