Testament et amour

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Entretien

Le 16 Mai 1991

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Théâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives Théâtrales
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GEORGES BANU : « Théâtre de la mort » et « Théâtre tes­ta­men­taire » me sem­blent être deux notions proches mais pas tout à fait syn­onymes. Le théâtre tes­ta­men­taire sup­pose la con­science de la fin, certes, mais aus­si celle d’un legs, d’une pro­priété, peu importe sa nature, que l’on cherche à définir avec pré­ci­sion et aus­si à trans­met­tre.

Tadeusz Kan­tor : Notre dis­cus­sion tombe bien parce que juste­ment aujourd’hui j’ai vu un avo­cat pour par­ler avec lui de la ques­tion du tes­ta­ment. Il est un spé­cial­iste.

G.B. : Moi je pen­sais plutôt à un tes­ta­ment artis­tique car c’est ain­si que j’ai perçu votre spec­ta­cle JE NE REVIENDRAIS JAMAIS ICI où l’on retrou­vait des images des spec­ta­cles anciens dans une sorte de vision ultime, anthologique, vision des « ter­res » con­quis­es : ces images-là sont vos images et vous nous les trans­met­tiez par un geste tes­ta­men­taire. Un geste sélec­tif qui lais­sait sup­pos­er que ces images-là, pour vous, fondent et artic­u­lent votre univers. Vous étiez là sur le plateau, présent, pour revoir votre passé artis­tique et le léguer aux spec­ta­teurs que nous étions. Cela, bien enten­du, n’est qu’une hypothèse, la mienne, hypothèse qui fait de Je NE REVIENDRAI JAMAIS ICI un des plus explicites spec­ta­cles tes­ta­men­taires.

T.K. : Oui, je ramas­sais les sou­venirs mais pas à la façon d’un vieil homme. Je ne voulais pas trans­met­tre l’état psy­chologique de la vieil­lesse. Dans JE NE REVIENDRAIS JAMAIS ICI, comme tou­jours d’ailleurs, j’ai util­isé le passé pour le manip­uler. Il s’agissait, certes, de mon passé artis­tique en pri­or­ité, mais ce n’est pas un passé mort, figé, immo­bil­isé : je manip­ule les faits du passé pour créer quelque chose de nou­veau.

Je ne veux pas faire quelque chose de nou­veau, de tout à fait nou­veau avec chaque spec­ta­cle. Chez moi, les per­son­nages, les actions sont les mêmes comme dans la com­me­dia dell’arte, mais avec ce passé je crée chaque fois une nou­velle sit­u­a­tion.

G.B.: Mais juste­ment cet univers con­sti­tué vous appar­tient et peu de met­teurs en scène peu­vent en dire autant — d’ailleurs en rai­son même de cette « pro­priété » vous débor­dez le statut du met­teur en scène pour appa­raître comme un artiste engen­dreur d’univers pro­pres.

T.K. : L’artiste qui a créé une vision du théâtre voudrait, bien enten­du, que cela con­tin­ue. Mais cela est impos­si­ble au théâtre car le théâtre cesse d’agir après la dis­pari­tion de l’artiste. Moi, je veux pal­li­er à cela et je fais d’énormes efforts aujourd’hui pour tout fix­er. Cricote­ka sert à cela mais je l’imagine non pas comme des archives mortes mais comme un lieu d’échanges. C’est seule­ment ain­si que l’on peut prof­iter de ce qu’on peut appel­er l’«agir » de l’artiste. La Cricote­ka peut servir de base, que les généra­tions suiv­antes vont con­naître — elles sauront ce que j’ai fait — et ensuite à par­tir de là elles peu­vent faire ce qu’elles veu­lent avec ce que je leur laisse. Pour moi le tes­ta­ment n’est intéres­sant que s’il s’agit d’un tes­ta­ment vivant.

G.B. : Vous qui avez tra­vail­lé telle­ment autour de l’affrontement avec la mort vous sem­blez la rejeter lorsqu’il s’agit juste­ment de cette inter­ro­ga­tion sur le théâtre comme pra­tique tes­ta­men­taire.

T.K. : Non, du tes­ta­ment ce que je rejette, c’est son assim­i­la­tion à la vieil­lesse. Moi je me sens tou­jours comme un garçon. Je vis l’époque des jeunes garçons.

Il faut ajouter au mot tes­ta­ment le mot amour. Le vrai tes­ta­ment, le seul que j’accepte, n’est pas pour la postérité, il est pour l’amour, pour dire l’amour. Créer pour la postérité est une imbé­cil­lité, c’est pourquoi je vais vous répon­dre que ce qui m’intéresse, c’est le tes­ta­ment et l’amour. Les deux ensem­ble.

G.B. : Il y a deux atti­tudes à l’égard du tes­ta­ment, l’attitude noble, voire même somp­tu­aire de Goethe, et l’autre de François Vil­lon …

T.K. : Je suis plutôt du côté de Vil­lon. Les filles, la déri­sion, le car­naval, je n’ai jamais pris au sérieux mon passé. Non, je ne peux pas être du côté de Goethe.

G.B. : Dans le pro­logue de Ô DOUCE NUIT, vous dites que vous louez l’image la plus chère, l’espace le plus impor­tant — la mai­son — aux jeunes par­tic­i­pants au stage.

T.K. : Oui, j’ai trou­vé des locataires.

G.B. : N’est-ce pas là une dis­po­si­tion tes­ta­men­taire ?

T.K. : Vous voulez absol­u­ment me faire dire que je suis prêt pour le tes­ta­ment (rires).

Entre­tien réal­isé par Georges Banu. Toulouse. 12 octo­bre 1990

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Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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