Tolérance et ironie

Tolérance et ironie

Entretien

Le 30 Mai 1991

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Théâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives Théâtrales
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GEORGES BANU : Tu as mon­té les dernières œuvres de Lor­ca, œuvres clan­des­tines, œuvres inachevées, œuvres où il s’expose encore plus qu’ailleurs. As-tu approché ces œuvres seule­ment au nom de la pas­sion que tu éprou­ves pour Lor­ca ? Dans quelle mesure leur inachève­ment, leur nature— œuvres ultimes — sont-ils inter­venus dans ta déci­sion de t’attaquer à ces textes. Par ailleurs, tu as mis tes débuts en tant que directeur du Théâtre de l’Europe sous le signe emblé­ma­tique de LA PIÈCE SANS TITRE… une manière d’évoquer, après EL PUBLICO, ce Lor­ca caché que l’on décou­vre depuis un cer­tain temps.

Lluis Pasqual : La pre­mière lec­ture de EL PUBLICO fut comme un choc. Bien que je ne com­prenne rien à ce texte, je me suis dit que j’avais envie d’entrer dans cette forêt sans sen­tier, mais sans être préoc­cupé par le fait qu’il s’agissait d’une œuvre ultime. Ce qui me sédui­sait, c’était le côté inachevé… Chez Picas­so, j’aime beau­coup les esquiss­es car on y trou­ve quelque chose de pri­maire. Pour Lor­ca aus­si l’inachèvement est essen­tiel. Il était plutôt un poète har­monique ; il cher­chait tou­jours à har­monis­er — c’est d’ailleurs un dan­ger dont il avait con­science!- à bien finir, à encadr­er. Et tout cela dis­paraît quand l’œuvre reste inachevée. Comme chez Michel-Ange­lo, on sent plus la matière dans ses ESCLAVES dont on ne sait pas s’il ne les a pas finis acci­den­telle­ment ou, au con­traire, pour mieux laiss­er par­ler la pierre. Chez Lor­ca aus­si, l’inachèvement rend encore plus sen­si­ble la matière des mots. J’aimerais pou­voir faire des mis­es en scène inachevées, mais c’est dif­fi­cile, car si on mon­tre que c’est inachevé, c’est plus achevé que jamais. Il y a dans tout ce qui est inachevé quelque chose qui bouge encore… et c’est cela que je serais heureux de préserv­er sur le plateau.

G.B.: L’inachèvement a sou­vent trait à la mort. Surtout dans les œuvres ultimes où ambiguïté et inquié­tude se con­fondent.

Ll.P.: Là on peut revenir sur l’éternelle ques­tion qu’on s’est posée dans le XVI­Ie siè­cle espag­nol, celle de la prédes­ti­na­tion des hommes. Est ce qu’il y a quelque chose de prédes­tiné dans le des­tin des humains qui fait que LA TEMPÊTE ou LE REQUIEM de Mozart sont imprégnés par l’esprit de la mort sans vouloir pour autant mon­tr­er la mort ? Lor­ca, dans ses dernières pièces, se con­fronte à des ques­tions fon­da­men­tales : il cherche, mais en même temps il se refuse à tout juge­ment, il se met en dan­ger tout en étant très tolérant. En général, les œuvres ultimes sont plus tolérantes… La tolérance leur est pro­pre, je crois. Elles m’attirent, j’aimerais en mon­ter davan­tage, mais sans les envis­ager pour autant comme mes dernières mis­es en scène. Mais qui sait ? La prédes­ti­na­tion, tou­jours…

G.B.: Les dernières œuvres de Lor­ca, surtout EL PUBLICO, se rat­tachent à l’interdit, au refoule­ment, à ce que Lor­ca n’entend pas affirmer publique­ment.

Ll.P.: Oui, c’est un pas­sage « au-delà » car EL PUBLICO tient du voy­age intérieur… de la mise en dan­ger de soi autant que du lan­gage. D’un lan­gage qu’il ne cherche pas à maîtris­er.

G.B.: Ce type d’œuvre ultime fait état d’une guerre intérieure, d’une atom­i­sa­tion du moi.

Ll.P.: De la non-har­monie. Dans LA TEMPÊTE, la non-har­monie sert de point de départ pour arriv­er à l’harmonie. Est-elle vraie ? Shake­speare ne dit-il pas aus­si que tout est toc, théâtre ?

G.B.: Peter Brook ici-même invite à éviter la pos­ture solen­nelle et le sérieux des habits noirs lorsqu’on s’attaque à une œuvre ultime.

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Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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