À celle qui écrit « Lulu-Love-Life » — Cinq conditions pour travailler dans la vérité —

À celle qui écrit « Lulu-Love-Life » — Cinq conditions pour travailler dans la vérité —

Le 18 Juil 1993
Francine Landrain, Jacques Delcuvellerie. KONIEC (GENRE THÉÂTRE) Photo Lou Hérion
Francine Landrain, Jacques Delcuvellerie. KONIEC (GENRE THÉÂTRE) Photo Lou Hérion

A

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Francine Landrain, Jacques Delcuvellerie. KONIEC (GENRE THÉÂTRE) Photo Lou Hérion
Francine Landrain, Jacques Delcuvellerie. KONIEC (GENRE THÉÂTRE) Photo Lou Hérion
Article publié pour le numéro
Théâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives Théâtrales
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« Je veux ser­rer dans mes bras la beauté qui n’a pas encore paru au monde. »
James Joyce 

Francine Landrain. THE SHOW MUST GO ON. Photo Lou Hérion.
Francine Landrain. THE SHOW MUST GO ON. Pho­to Lou Héri­on.
Francine Landrain. IL NE VOULAIT PAS DIRE QU'IL VOULAIT LE SAVOIR MALGRÉ TOUT. Photos Lou Hérion.
Francine Landrain. IL NE VOULAIT PAS DIRE QU’IL VOULAIT LE SAVOIR MALGRÉ TOUT. Pho­tos Lou Héri­on.
Francine Landrain. IL NE VOULAIT PAS DIRE QU'IL VOULAIT LE SAVOIR MALGRÉ TOUT. Photos Lou Hérion.
Francine Landrain. IL NE VOULAIT PAS DIRE QU’IL VOULAIT LE SAVOIR MALGRÉ TOUT. Pho­tos Lou Héri­on.
Jacques Delcuvellerie, François Sikivie. 1ère opération DÉCALAGE, 1984. Photo Lou Hérion.
Jacques Del­cu­vel­lerie, François Sikivie. 1ère opéra­tion DÉCALAGE, 1984. Pho­to Lou Héri­on.

Je relis cette let­tre que j’ai tant désiré t’écrire.
Bien sûr, quand je deviens explicite c’est un peu trop étroit. Mais à part ça, it’s straight from the heart.
So, my very dear, je dépose à vos pieds cette fleur mai­gre, que vous la pié­tiniez ou que vous la pressiez sur vos lèvres par­fumées qui pour­riront — trop tôt —, je vais mon chemin en fumant trop. Moi aus­si. Mais je n’ai jamais aimé voy­ager seul et, entre toutes, votre voix m’est pré­cieuse.
GOD BLESS YOU, enfant de la rose et du muguet, des chem­inées d’u­sine et des encriers de faïence dans les pupitres rayés au cran d’ar­rêt. Lulu est une bête sex­uelle, n’ou­bliez jamais ça, mais elle n’ex­iste pas. Jamais. Et, pour cette rai­son, nous con­tin­uons à mourir. Quand elle mon­trait son cul, Brigitte Bar­dot ne pen­sait déjà qu’aux bébés pho­ques.

Jack 

Gandhi. Doc. Roger-Viollet.
Gand­hi. Doc. Roger-Vio­l­let.


PS. Le drame de Lulu, c’est de n’être en rien Eugénie de Mist­i­val. Lulu est un désir et une angoisse d’homme sur le désir et la crainte de la femme. Sa poésie trag­ique tient à ne pou­voir s’in­car­n­er que par le malen­ten­du le plus total, avec chaque femme chargée d’être son actrice.
On the oth­er side : Eugénie, en réal­ité, s’ap­pelait Traci Lords au début des années 80. Elle ne ren­con­tra jamais aucun Dol­mancé, rien que des cheva­liers bien mem­brés. Par dizaines. Dom­mage.
Le « Bar­gain­store » ne réu­nit pas sou­vent, à l’in­stant idéal, le client rêvé à l’occasion en or. Un social­isme écologique du désir n’est pas encore à la portée des bours­es du futur proche. Je te suis très recon­nais­sant d’écrire de la sci­ence-fic­tion.

Liège, 28 décem­bre 88

Fille entre toutes,
Ma bien chère Sœur,
Francine chérie,

Je ne sais pas bien quoi dire. Pour­tant je crois cette let­tre impor­tante. Main­tenant. 

MAO. Andy Warhol, 1973.
MAO. Andy Warhol, 1973.

D’abord :les symp­tômes. Ce n’est pas l’essentiel, mais dans ce détour nous nous trou­verons cer­taine­ment des sen­ti­ments partagés — cela facilit­era le pas en avant. 

Pour moi, depuis trois ans, nous ne nous dis­ons plus rien d’essentiel, de créa­teur, de vivant. Certes, entre nous, nous par­lons vrai. Je ne dis pas que nous men­tons. Ce qui s’‘échange n’est ni faux ni bas, et il n’y entre ni flat­terie ni dis­sim­u­la­tion. C’est une rela­tion de bonne qual­ité, plutôt rare de nos jours. Je vois même très bien ce qui s’y est gag­né par rap­port à nos débuts : une capac­ité de com­mu­ni­ca­tion plus grande, une affec­tion respectueuse fondée sur l’es­time, etc. Mais qu’est-ce que cela vaut exacte­ment ?En soi : rien. Hors d’une rela­tion créa­trice, c’est-à-dire qui touche aux fonde­ments et aux fins dernières, c’est de la merde. Je n’accuse per­son­ne et je ne veux pas faire de drame (ce serait encore telle­ment « famil­ial »). Pen­dant trois ans tu as appris bien des choses. Tu t’es créé des défis, tu as expéri­men­té comme écrivain, comme actrice, et comme maître d’œu­vre.
Qui dit que c’est du temps per­du ? Pour moi, j’ai mûri l’ex­pres­sion de ce que je croy­ais savoir déjà. Cer­tains textes et la créa­tion de KONIEC en sont la part vis­i­ble. Mais tout cela, en tout cas à cette heure, me laisse un goût amer, un goût de déjà-vieux, une insat­is­fac­tion qui tourne par­fois à la rage, et d’abord con­tre moi-même :faib­lesse, com­plai­sance, lâcheté, paresse ! 

Arthur Adamov.
Arthur Adamov.
Jacques Delcuvellerie
Jacques Del­cu­vel­lerie
Pier Paolo Pasolini. Poète, cinéaste, dramaturge, peintre, sémiologue.
Pier Pao­lo Pasoli­ni. Poète, cinéaste, dra­maturge, pein­tre, sémi­o­logue.
Colette Peignot (Laure), écrivain, compagne de G. Bataille. Sur son lit de mort, le 7 novembre 1938.
Colette Peignot (Lau­re), écrivain, com­pagne de G. Bataille. Sur son lit de mort, le 7 novem­bre 1938.

Je ne par­lerai pas du SHOW, mais KONIEC même, à la veille de sa reprise à Brux­elles et à Anvers, m’écœure presque. Ce grand machin ne m’apparaît pas du tout le « chef d’œu­vre » que d’aucuns (avec quelles inten­tions ?) nous flat­tent d’avoir créé.1 L’ar­ti­cle super­latif de La Libre Bel­gique d’au­jour­d’hui, feu d’ar­ti­fice de louanges, grande pho­to, annonce en pre­mière page, com­mence d’emblée par oppos­er nos deux derniers spec­ta­cles à la péri­ode des « per­for­mances aus­si déchi­rantes que nihilistes » , « habitées jusqu’au dégoût » et « qui implo­saient de vio­lence et de dés­espérance ».. Eh bien, nous y sommes. Je n’ai jamais aimé que cette péri­ode de notre exis­tence, et je dirais aus­si bien : je n’ai jamais aimé que cette péri­ode de ma vie. Et même : jamais de ma vie je n’ai aimé comme à ce moment-là. 

Eric Duyckaerts : autoportrait (décembre 1985).
Eric Duy­ck­aerts : auto­por­trait (décem­bre 1985).
Marie-France Collard, co-auteur de TRASH (A LONELY PRAYER): autoportrait, 1983.
Marie-France Col­lard, co-auteur de TRASH (A LONELY PRAYER): auto­por­trait, 1983.
Bertolt Brecht.
Bertolt Brecht.

Un des buts actuels de la
psy­chophar­ma­colo­gie est de met­tre au
point de nou­veaux médica­ments
capa­bles de s’op­pos­er à la dépres­sion
nerveuse (les médica­ments anti­dé­presseurs actuels ont de nom­breux
incon­vénients). Pour cela, il est
néces­saire de dis­pos­er de mod­èles
ani­maux de la dépres­sion nerveuse.
L’un des tests pro­posés dans ce but
con­siste à sépar­er des singes
nou­veaux-nés de leur mère. On voit
ici un petit singe rhé­sus en « phase de
dés­espoir ».

Qu’est-ce qui vaut la peine de vivre ? 

Eric Duyckaerts. Auteur de HEGEL OU LA VIE EN ROSE (éd. Gallimard).
Eric Duy­ck­aerts. Auteur de HEGEL OU LA VIE EN ROSE (éd. Gal­li­mard).

Avant de finir laide­ment d’une laide mal­adie, avant de dis­paraître imbé­cile­ment dans un acci­dent banale­ment imbé­cile, à quoi dépenser (VITE ! VITE!) sa sueur, ses larmes, et tout ce long effort des heures qui ne revi­en­nent pas, sinon à LA VÉRITÉ ? Je ne sais pas ce que c’est, mais je sais, pour moi, de quoi il s’agit. Les pre­miers mois du Groupov, à ce moment-là, c’é­tait la vérité. Et depuis trois ans, je vis en dehors de la vérité. Men­songe, lâcheté, trahi­son. Et l’im­puis­sance n’est pas une excuse : ne pas savoir quoi faire, com­ment repar­tir et avec qui. 

Dans un an, moins, je l’e­spère et j’y tra­vaillerai, j’au­rai quit­té la RTBF.

Ryszard Cieslak. LE PRINCE CONSTANT.
Ryszard Cies­lak. LE PRINCE CONSTANT.

Je le sais avec cer­ti­tude depuis que j’ai TRASH en tête. La télévi­sion est la grande affaire de la deux­ième moitié du XXè siè­cle en Occi­dent, mais c’est une œuvre du Démon. Après deux ans et demi de tra­vail à la direc­tion d’une des télévi­sions « hon­nêtes » d’Eu­rope, j’ai décou­vert ceci, qui m’a frap­pé comme une énorme claque de lumière, il y a huit jours :la télévi­sion c’est le Démon, non par tout ce qu’on lui reproche, non parce qu’elle n’ap­porte ni infor­ma­tion, ni émo­tion, ni cul­ture, c’est faux, mais parce qu’il est IM-POS-SI-BLE d’y faire l’ex­péri­ence de l’ab­solu. C’est impos­si­ble. Et cela, pour moi, c’est défini­tif. Toute activ­ité humaine, la plus hum­ble comme la plus hor­ri­ble — paysan, mère de famille, bour­reau — autorise sa tran­scen­dance et peut même, dans cer­taines cir­con­stances ou dans le cadre de cer­taines pra­tiques, con­duire à l’ex­péri­ence de l’ab­solu. Pas la télévi­sion. Pas ça. Qu’elle vous con­duise au bout du monde, aux glaces du pôle ou dans l’en­fer de la mis­ère humaine, cette expéri­ence elle vous la dérobera jusqu’au bout, sans faib­lesse, sans relâche­ment, par nature. Or, si je regarde ma vie, depuis la plus petite enfance, dans ce qui fut le don de moi sans compter et dans ce que j’ai imposé aux autres jusqu’à la tyran­nie la plus impi­toy­able par­fois (à mes sœurs jadis, à ma pre­mière femme, etc.), rien n’a jamais comp­té que cette espérance. Et pen­dant les pre­miers mois du Groupov — et même, de manière moins ful­gu­rante, les trois pre­mières années — si je n’ai pas fait l’ex­péri­ence de l’ab­solu au moins n’ai-je jamais éprou­vé à ce point que j’é­tais un juste, que nous étions jus­ti­fiés, que nous étions, comme nous le pou­vions, en train de tra­vailler à ce que l’homme doit faire sur terre, s’il est un homme. 

Laura Betti et Pier Paolo Pasolini pendant le tournage de THÉORÈME.
Lau­ra Bet­ti et Pier Pao­lo Pasoli­ni pen­dant le tour­nage de THÉORÈME.

Voilà pourquoi « POUR UNE SI PETITE DOSE PERSONNE N’A JAMAIS RIEN OBTENU DE PLUS LONG ».2
Et l’humour de l’analogie avec la drogue n’est pas inno­cent dans cette phrase, on sait le rac­cour­ci que cer­tains ont ten­té d’en faire. Le Groupov doit être un rac­cour­ci. Vers Dieu, ou ce que nous saurons peut-être un jour ou jamais nom­mer mieux. Mais pas autre chose.
Et, dans ce sen­ti­ment, tout ce que nous avons fait ces dernières années, nos œuvres ef nos rela­tions, je ne le méprise pas, mais je le compte pour peu de choses. À l’ex­cep­tion peut-être de la dernière par­tie de KONIEC, qui m’ap­pa­raît dif­férem­ment aujourd’hui.3 Je croy­ais y ren­dre hom­mage à ceux qui nous ont grande­ment précédés (dans un temps où l’on n’ose s’adress­er « À CEUX QUI VIENDRONT APRÈS NOUS »).4
Main­tenant, j’y ver­rais davan­tage un effort mod­este, ne pou­vant man­i­fester l’E­sprit Saint « hic et nunc » sur scène, de nous rat­tach­er par la prière, car il s’agit à pro­pre­ment par­ler d’une litanie, à une idéale « Com­mu­nion des Saints » , les marx­istes, les fous, les brisés, les per­dants mag­nifiques, les lumineux, les obscurs et les autres. Ça, au moins, n’é­tant pas des Gand­hi, mais de pau­vres Nina-Kos­tia, nous pou­vions encore l’es­say­er.
À ce point, je voudrais te par­ler de poli­tique, de la tragédie — non comme genre mais comme atti­tude éthique pour un artiste aujourd’hui, de TRASH, de LULU/LOVE/LIFE, de nous. 

J. Delcuvellerie, F Walot, E Ponthier, Fr. Bartels, A.-M. Loop. Atelier Ici et maintenant, Ans, octobre 8
J. Del­cu­vel­lerie, F Walot, E Pon­thi­er, Fr. Bar­tels, A.-M. Loop. Ate­lier Ici et main­tenant, Ans, octo­bre 8

(Il est 4h du matin, je vais dormir et repren­dre cette let­tre.) 

5 jan­vi­er 89 

(Je reprends cette let­tre plusieurs jours plus tard, pen­dant nos répéti­tions de KONIEC à Brux­elles.) 

Depuis la fon­da­tion du Groupov, il y a juste neuf ans ce mois-ci, et jusqu’à KONIEC, j’ai tou­jours situé mon tra­vail dans la prob­lé­ma­tique des restes. Eric (Duy­ck­aerts) a décrit en son temps quelques aspects d’une machiner­ie du reste, comme hypothèse de tra­vail. Plus tard, pour moi-même, j’ai don­né des bribes de jus­ti­fi­ca­tions his­toriques (j’en ai tou­jours besoin !) à cette posi­tion. Il y aurait un « âge d’or » de la cul­ture occi­den­tale coïn­ci­dant avec l’aboutissement de la for­ma­tion impéri­al­iste et ses pre­mières grandes sec­ouss­es autode­struc­tri­ces (+/- 1870 — 1930). De Marx à Freud, de Kaf­ka à Eisen­stein, de Joyce à Stanislavs­ki, d’Arm­strong à Duchamp, etc., toutes les aven­tures fon­da­tri­ces du siè­cle émer­gent dans cet inter­valle, qui con­naît en même temps, en dépit de ses odieuses tares, la meilleure artic­u­la­tion entre l’é­d­u­ca­tion pop­u­laire (pri­maire et sec­ondaire) et l’état réel des con­nais­sances. Ensuite, il n’y aurait plus d’œuvres inau­gu­rales mais seule­ment des décli­naisons, plus ou moins habiles ou sen­si­bles, en même temps que le savoir s’éparpillait défini­tive­ment en spé­cial­ités5 , que les pra­tiques artis­tiques con­tem­po­raines se coupaient de 95% de la pop­u­la­tion, que l’enseignement se rédui­sait à un « erra­tum » incom­plet des média, et que la grande espérance d’une sci­ence de l’histoire chavi­rait avec ses avatars stal­in­iens divers.6

A.-M. Loop, B. Vreux. Atelier Ici et maintenant, Ans, octobre 85.
A.-M. Loop, B. Vreux. Ate­lier Ici et main­tenant, Ans, octo­bre 85.
Anne-Marie Loop. Atelier Ici et maintenant, Ans, octobre 85.
Anne-Marie Loop. Ate­lier Ici et main­tenant, Ans, octo­bre 85.

Dans cet état, de sur­croît, nous nous exprim­ions dans la forme artis­tique la plus archaïque, celle du « hic et nunc » irré­ductible, de la minori­sa­tion sans faille, quel que soit le genre (le théâtre n’a même pas comme la musique ses départe­ments « pop » , le pub­lic du théâtre de Boule­vard n’’atteint pas 0,5% de celui de Michael Jack­son), et enfin la forme qui vit le plus net­te­ment cette mar­gin­al­ité sociale comme une perte de cen­tral­ité — puisqu’il fut, avec l’opéra, le seul art de la représen­ta­tion que les sociétés se don­nèrent d’elles-mêmes, de façon vivante, pen­dant des mil­lé­naires. 

Au début des années 80, con­scients de vivre dans cet amon­celle­ment d’héritages désac­cordés, nous avons d’abord refusé de « fonc­tion­ner » comme s’il n’en était pas ain­si. La plu­part de nos jeunes con­tem­po­rains, plus ou moins « de gauche » ou « de droite » , brico­laient gen­ti­ment les trou­vailles de leurs prédécesseurs sans souci aucun des ques­tions qui les induisirent.
Nous avons main­tenant l’ex­i­gence — au moins pour le théâtre — d’une vision du monde et d’une atti­tude fondées sur la pra­tique. Et comme cela sem­blait, juste­ment, impos­si­ble, il nous fal­lait bien vivre sur la perte, sur l’hétérogénéité des restes, et sur ce qui en résulte : Le sen­ti­ment du trag­ique et de l’urgence, puisque dans un pareil con­texte la « fin » sem­ble néces­saire­ment proche, inéluctable. NO FUTURE.7

Voilà le cre­do ini­tial, et nous con­nais­sons les pra­tiques où le Groupov l’a inscrit. Comme il nous parais­sait que nous étions bien peu à situer ain­si Les exi­gences actuelles (Hein­er Müller, le Squat, K.M. Grüber ?), nous accep­tons encore d’être de la mar­gin­al­ité, d’où ce mélange enivrant de dérélic­tion et de méga­lo­manie dés­espérée des pre­mières années. D’où aus­si la ten­ta­tion d’en sor­tir, régulière­ment…
Aujourd’hui mes con­vic­tions n’ont pas fon­da­men­tale­ment changé, mais je ne les vis pas de la même manière. Après tout, nous sur­vivons. Com­ment être au plus juste ? Com­ment situer à nou­veau une pra­tique « hic et nunc » avec tant de vio­lente évi­dence que nous soyons jetés dans la bru­tal­ité de l’ex­péri­ence, comme en 1980 ? En par­tant de ce qui s’échange actuelle­ment autour des deux pro­jets en cours, TRASH et LULU/LOVE/LIFE, des craintes que j’ai pour eux, j’ai essayé de définir plus pré­cisé­ment ma posi­tion. Brecht a écrit en son temps ce texte admirable : CINQ DIFFICULTÉS POUR ÉCRIRE LA VÉRITÉ (1934), on ne saurait aujourd’hui entre­pren­dre pareille provo­ca­tion mais je puis ten­ter d’énoncer, à l’usage du Groupov : CINQ CONDITIONS POUR TRAVAILLER DANS LA VÉRITÉ.
Ces con­di­tions (ou ces « ver­tus » ?) ne sont pas vrai­ment nou­velles, je les rat­tache même — ci-dessous — à des intu­itions anci­ennes, mais Le sens que je leur assigne désor­mais mod­i­fie l’exigence que nous leur accor­dions jadis.

Cinq con­di­tions pour tra­vailler dans la vérité 

1. FIDÉLITÉ (Intel­li­gence de la): ou :
«On a rai­son de se révolter. »
(Mao Tsé-Toung)

2. TRAGIQUE (Morale du): ou :
«Un jour nous aurons à ren­dre compte de notre mort pré­maturée. »
(Antonin Artaud) 

3. LURGENCE (Sen­ti­ment de): ou :
«Laisse le pos­si­ble à ceux qui l’aiment. »
(Georges Bataille) 

4. L’EXPÉRIENCE (Volon­té de): ou :
«La pre­mière fig­ure de l’e­spoir est la crainte, la pre­mière appari­tion du nou­veau l’ef­froi. »
(Hein­er Miller) 

5. SAINTETÉ (Courage de la): ou :
«L’homme déchiffre sa sen­tence avec ses plaies. »
(Franz Kaf­ka) 

Nous n’avons jamais fait de man­i­feste, jamais de polémique avec qui que ce soit. Pour un groupe qui se voy­ait d’une manière aus­si rad­i­cale, ce n’est pas sans sig­ni­fi­ca­tion. Je ne vais pas com­mencer aujourd’hui, pas de cre­do, pas de carte de par­ti.
Mais ce que j’ai écrit là, ces cinq con­di­tions, à ce moment, ici, j’en suis sûr.
Et, au moins en cet instant où nous répé­tons KONIEC, je n’ai pas l’im­pres­sion d’écrire pour moi seul.
J’ai écrit encore quelques pages, sur ces cinq petits points.
Si elles te sont d’au­cune aide, j’en agrée le fruit. Parce qu’aus­si, pour autant que je sache ce mot, JE T’AIME, 

Jack. 

PS. Ces notes éclairent un peu le désir du nou­veau pro­jet, TRASH avec Baad­er et le cul-par­lé, mais aus­si (cfr. la note 7) le désir per­sis­tant et tou­jours plus fort du stu­dio et d’un lieu d’en­seigne­ment, de pas­sage, dont l’expéri­ence soit insé­para­ble des expéri­ences. Ce lieu est à la fois en-deçà et au-delà du théâtre, le lieu véri­ta­ble de la résis­tance aujourd’hui. 

KONIEC, Théâtre Varia, jan­vi­er 89 

Cinq con­di­tions pour tra­vailler dans la vérité

« En route vers l’île de Gabri­o­la.….»
Mal­colm Lowry (-ov) 

« Le Groupov est une entre­prise expéri­men­tale au sens pre­mier du terme :celui de la tra­ver­sée d’un ter­ri­toire incon­nu. En revanche, il ne con­stitue pas un lab­o­ra­toire — lequel, par déf­i­ni­tion, simule et réduit les ter­rains de l’ex­péri­ence pour s’en assur­er la maîtrise. »
Eric Duy­ck­aerts, mai 1980. 

1. LA FIDÉLITÉ (Intel­li­gence de): 

ou : « On a rai­son de se révolter !»
Mao Tsé-Toung8

A. Men­songes symp­to­ma­tiques.9

Cha­cun de nous s’est con­sti­tué comme per­son­ne et comme artiste, dès sa jeunesse, dans un arrange­ment à l’idéolo­gie (jusqu’à un cer­tain point, en tout cas dans un effort per­sis­tant pour cela), à la posi­tion et aux usages de sa classe, petite bour­geoisie. Pour ceux qui venaient du peu­ple, le proces­sus se dif­féren­ci­ait à peine, puisque, tou­jours, il fal­lait déchir­er les mêmes valeurs dom­i­nantes.
Un grand nom­bre de ceux qui ser­vent le démon aujourd’hui firent de même et, de sur­croît, ten­tèrent de trans­former cette rup­ture en accouche­ment his­torique du pro­lé­tari­at. Au milieu des années soix­ante-dix, vite désen­chan­tés, ils regag­nèrent pré­cipi­ta­m­ment la chaude matrice nourri­cière de leur classe et, par la même occa­sion, ruminèrent — régur­gitèrent — tous ses préjugés. Cepen­dant, transfuges rou­blards, ils changèrent de camp quelques menus larcins en poche — ayant glané cer­taines pépites sur le champ de la « lutte des class­es » : un cer­tain usage de la dialec­tique, l’analyse des actes et des dis­cours en ce qu’ils procè­dent de struc­tures et l’ap­ti­tude à en décel­er les enjeux implicites, etc. Ceux de notre pro­fes­sion dis­posèrent alors les scènes de leurs théâtres (ouf ! à nou­veau frontales) selon leur enten­de­ment de ces principes dévoyés. Et l’on vit de bien curieuses choses. Toutes les acqui­si­tions formelles de Brecht-Strehler inté­grées sans ver­gogne à la nou­velle « culi­nar­ité ». Clichés, partout, de la machiner­ie théâ­trale retournée en élé­ment de séduc­tion. Puis, très vite : l’académisme.10
L’é­ta­lage de ces tré­sors dérobés dans l’héritage esqui­va para­doxale­ment — par une sorte d’éblouissement esthé­tique — les ques­tions fon­da­tri­ces de l’aven­ture des pio­nniers. La per­pétuelle et grandiose célébra­tion de son ago­nie par la bour­geoisie, l’opéra, vit souf­fler ànou­veau l’in­ven­tion des pro­fes­sion­nels et la pas­sion du pub­lic. Genre-clé aujourd’hui.
Le gros de la troupe et du pub­lic fut ravi de con­stater que les craque­ments de la décade précé­dente n’annonçaient nulle fin ou trans­for­ma­tion rad­i­cale. Vint le moment de la trahi­son jubi­lante, le met­teur en scène revendique sa « non­in­ter­ven­tion » , se réduit à « faire enten­dre le texte » et jette à poignées le long des actes de petits plaisirs immé­di­ats. On redescend encore de la « relec­ture » à la « trou­vaille ». Et c’est sans dom­mage que cer­tains peu­vent déclar­er : « Je suis de gauche mais je me soigne. » (Gildas Bour­det au Figaro Mag­a­zine), l’im­por­tant ici étant moins la « gauche»(?) que ce que sous-entend d’infiniment plus large un reniement énon­cé sous cette forme et en cet endroit.
L’aveu­gle­ment est si grand que le fidèle Bernard Dort s’in­ter­roge, dans Théâtre Pub­lic, sur la tra­ver­sée du désert actuelle de l’œuvre brechti­enne en France, en cher­chant ce qui, encore (« Quels morceaux ?» se demande-t-il lit­térale­ment), pour­rait servir.
Cher Bernard Dort, si per­son­ne n’a célébré le tren­tième anniver­saire de la mort de Bertolt Brecht dans votre hexa­gone, n’en cherchez donc pas la cause dans l’œuvre brechti­enne, à tra­quer quelque part obsolète, mais sim­ple­ment débusquez les faux-mon­nayeurs. Il est là, B.B., partout, copié, pil­lé, ingéré, chié, mécon­naiss­able, mais bien là. Et s’ils n’en par­lent pas, ou si mal, c’est qu’à la touche de cette recon­nais­sance leur pacotille se révèle. 

Où y a‑t-il recon­nais­sance de dette ? Et, si elle existe, que recon­naît-on dans la dette ? Et con­tre quel rem­bourse­ment, avec quels intérêts ? 

Ce sont tou­jours là des ques­tions révéla­tri­ces quand l’artiste s’y prête.11

L’in­tel­li­gence de la fidél­ité et son corol­laire créa­teur : la trahi­son pondérée, com­men­cent par la dette et la reprise des ques­tions inau­gu­rales. En quoi réside pré­cisé­ment l’interdit, le ridicule majeur, à l’échappée duquel ils s’ac­cor­dent tous.12 Tout baigne dans un grand cen­trisme nauséeux. On préfère Ray­mond Aron à Sartre (« Ah ! dites, il ne s’est pas trompé, lui. Enfin, Sartre, ne soyons pas injustes : il a quand même écrit LES MOTS, n’est-ce pas ?», etc.). Quand on inau­gure le Musée d’Or­say réu­nis­sant impres­sion­nistes et pein­tres pom­piers, on n’y trou­ve pas motif à une meilleure intel­li­gence de l’époque, mais à « décou­vrir » que tout est égale­ment « intéres­sant ». Voire : à répar­er une injus­tice. Van Gogh c’est bien, mais Meis­sonier c’est très beau aus­si, etc. Artaud c’est boulever­sant, mais Sacha Gui­t­ry c’est char­mant « et telle­ment français ». Pro­to­type du porte-parole cen­tris­to-nauséeux : Frédéric Mit­ter­rand. Ailleurs un même jour­nal (exem­ple vécu) peut faire l’éloge de William Bur­roughs et, une colonne plus loin, de Nina Com­panez. « Et ain­si de suite…» 13

Men­songes ! Men­songes !! Men­songes !!! 

B. L’idéolo­gie impéri­al­iste cen­triste sécu­ri­taire (ICS). 

Ce que notre amour, dans la peur, le ravisse­ment, le choc dont on ne se remet jamais, oui-là-je-com­prends-lemot : notre amour donc, des grands artistes, des « ini­ti­a­teurs » j’en­tends, les por­teurs de feu d’un autre temps, ce qu’il nous hurle devant cette impos­ture ( Men­songes ! ), il nous faut en chercher la vérité un peu plus loin.  

Le cen­trisme nauséeux socialdé­moc­rate de l’art par­ticipe du con­fort (ren­force­ment, con­for­t­a­tion, béton­nage) idéologique sécu­ri­taire dom­i­nant. L’Eu­rope cap­i­tal­iste tente par tous les moyens de sur­vivre, et le désir qui com­mande toutes les instances poli­tiques, syn­di­cales, intel­lectuelles, se résume à un seul vœu : « FAITES QUE ÇA DURE ».14
Il n’y a plus de vision du monde ou de pro­jet de société, rien que la ges­tion, et la seule ambi­tion de préserv­er le bien-être et la tiédeur des quar­ante dernières années, la planète entière dûtelle en crev­er. À l’Est les mass­es rêvent de chauffage cen­tral et du ham­burg­er au soja des pays de la « lib­erté » , tan­dis que le tiers monde pro­lifère dans le SIDA, la faim, les tor­tures et Le pil­lage sans lim­ites. Et je ne vois pas que l’URSS de M. Gor­batchev, se désig­nant chaque jour davan­tage l’idéolo­gie cen­triste sécu­ri­taire par la voie du libéral­isme économique comme solu­tion-mir­a­cle, apaise par ce retourne­ment les craintes, bien sûr un peu trop avides de cat­a­stro­phes expi­atri­ces, des débuts du Groupov sur l’urgence. Au con­traire. Ce n’est évidem­ment pas la libéral­i­sa­tion de leur sys­tème qui pour­voira à leur indi­gence.
Elle n’y a jamais pourvu chez nous. Ce blanc-seing don­né aux forces con­quérantes du prof­it à l’intérieur des sys­tèmes tyran­niques de l’Est ne peut créer les forces économiques de sa jus­ti­fi­ca­tion et le sou­tien pop­u­laire néces­saire, sans accroître jusqu’à l’insupportable l’ex­ploita­tion du Sud de la planète. Tac­tique­ment, il s’agit d’obtenir des crédits de col­matage des USA et de la Com­mu­nauté Européenne con­tre des amende­ments « démoc­ra­tiques » du sys­tème. Stratégique­ment, il n’y a pas plus pour eux que pour nous d’accroissement du niveau de vie qui ne passe par la vam­piri­sa­tion des nègres. Or : il n’y en a pas assez pour tout le monde, et : il y a une lim­ite au pres­sur­age. 

Par con­séquent, si la poli­tique Gor­batchev sem­ble actuelle­ment de 18 nature à déten­dre les rap­ports Est-Ouest, à moyen terme ses effets sont inéluctable­ment d’en­gen­dr­er des ten­sions accrues dans le partage du monde, c’est-à-dire des con­tra­dic­tions de même nature qu’à l’origine des deux con­flits mon­di­aux. 

Je n’exclus évidem­ment pas, Notre-Dame de Fati­ma aidant, qu’une soudaine Pen­tecôte affecte simul­tané­ment les dif­férents chefs des prin­ci­paux Etats, et que — com­prenant à quel point leur sort et celui des peu­ples qu’ils chéris­sent sont indis­sol­uble­ment liés à un développe­ment équili­bré des deux hémis­phères d’un globe décidé­ment trop exigu — ils n’adoptent d’un com­mun accord les mesures courageuses néces­saires à la sat­is­fac­tion glob­ale, bien que très pro­gres­sive, des besoins de l’hu­man­ité dans la préser­va­tion de son envi­ron­nement vital. Amen.15

— En atten­dant, au niveau mon­di­al, la reli­gion — au sens le plus réac­tion­naire — fait un retour dévo­rant.16
 — En atten­dant, le néolibéral­isme impu­dent sodomise la social-démoc­ra­tie sur le lit des « Droits de l’Homme » — achetés dans le sang de mil­lions de bipèdes à car­ac­téris­tiques humanoïdes.
— En atten­dant, on a lobot­o­misé 360 mil­lions d’Européens qui décer­nent des bons points de démoc­ra­tie et des gages pour dic­tature, en aug­men­ta­tion ou sup­pres­sion de crédits, aux peu­ples bar­bares qu’ils exploitent ou espèrent con­trôler, dans l’amnésie totale des 70 MILLIONS DE MORTS QU’EN MOINS DE 30 ANS, en deux mon­strueuses fournées, LEUR SYSTÈME SOCIAL IDÉAL À DÉVORÉ. (« Le moins mau­vais de tous », Churchill, ha ! ha!) 

Lobot­o­mie ! Men­songes ! 

C’est la DÉ-MO-CRA-TIE cap­i­tal­iste, oui, elle-même, qui a généré cette hor­reur inouïe en 14 – 18 et en 40- 45. Elle seule. La société dont 360 mil­lions d’Européens de bonne foi revendiquent l’im­po­si­tion au monde, a généré seule ce charnier dont les dimen­sions mêmes frap­pent encore de stu­peur, d’incrédulité, et provo­quent le refus de cul­pa­bil­ité et, après l’autoamnésie général­isée, l’amnésie des caus­es et même des faits.17
Aujourd’hui, rien ne sem­ble chang­er dans les con­di­tions fon­da­men­tales qui pour­raient con­duire les peu­ples à cau­tion­ner à nou­veau quelque hécatombe (Madame Mar­garet Thatch­er s’est offert une sale petite guerre sans le moin­dre prob­lème intérieur sérieux). Du reste, désor­mais les dirigeants peu­vent se pass­er de leur adhé­sion.
Dans ce sen­ti­ment européen mas­sive­ment partagé « FAITES QUE ÇA DURE » , notre petit exa­m­en d’évidence matéri­al­iste s’avère tout aus­si inutile, dérisoire, et frap­pé de ridicule que les prophéties inspirées de la Cas­san­dre antique. Tout aus­si incon­gru :le rap­pel du prix que le monde paie pour ce con­fort relatif de la plus petite par­tie de l’hu­man­ité et du prix que celle-ci a req­uis pour l’im­po­si­tion de son sys­tème « démoc­ra­tique » : des mil­liers de guil­lot­inés de la « Ter­reur » aux mil­lions de mas­sacrés des guer­res colo­niales. De manière exem­plaire, la France inau­gure les fêtes du bicen­te­naire de sa Révo­lu­tion par un vote télévi­suel du « peu­ple » qui acquitte Louis XVI et tente d’ef­fac­er sym­bol­ique­ment la rétri­bu­tion sanglante de son acces­sion à la République. Quand les jour­nal­istes du démon s’écrient tri­om­phale­ment sur les écrans : « Aujourd’hui les Français épargn­eraient le Roi ! » , la jubi­la­tion vient avant tout de la néga­tion écras­ante de toute approche his­torique.
L’idéolo­gie dom­i­nante vend l’image sulpici­enne de la démoc­ra­tie pais­i­ble, idéale­ment implan­tée chez nous, et à laque­lle devraient ten­dre les peu­ples du monde entier (« Ils y arriveront avec le temps, si on les aide un peu »). Tout cela en douceur, sans révolte, sans insur­rec­tion, sans con­flits irra­tionnels, et surtout : SANS QUE PERSONNE N’Y PERDE RIEN.18
Cette vision idyllique du pro­grès ne con­vient évidem­ment qu’à ceux qui bouf­fent du pain blanc tous les jours.19

Le corol­laire artis­tique de l’égocentrisme aveu­gle de cet impéri­al­isme dimin­ué c’est la régres­sion des formes, c’est-à-dire, dans tous les sens du terme, de l’ex­péri­ence. 

La lit­téra­ture retrou­ve la nar­ra­tiv­ité la plus mince (Sollers donne des con­férences sur Bataille et Dante, mais fait des romans parisiens « à clef » écrits dans un style à peine équiv­a­lent au jour­nal­isme Marie-Claire.20 La pein­ture appar­tient à ceux qui dis­posent leurs œuvres aus­si bien aux cimais­es qu’aux murs des dis­cothèques de New York et de Bangkok. Le théâtre se vautre dans le réper­toire. Le ciné­ma aligne Mozart, des remake et des pla­giats, les west­erns hale­tants de l’adultère ménag­er et si un bébé traîne dans un coin du scé­nario, c’est encore mieux.

C’est bien l’idéolo­gie impéri­al­iste dimin­uée, l’idéolo­gie « impéri­al­iste cen­triste sécu­ri­taire » , qui habite ce champ morne de la réitéra­tion futile.21 Les artistes qui ambi­tion­naient de par­ticiper au boule­verse­ment du monde, des dadaïstes à la Beat gen­er­a­tion, des marx­istes à Fluxus, sont rangés avec déférence au musée des illu­sions per­dues. Il peut même arriv­er qu’on accuse cer­tains d’entre eux des atroc­ités engen­drées par les sys­tèmes où ils se sont révoltés.22 La pen­sée inter­venante est une illu­sion meur­trière, le monde n’est pas à trans­former, Les formes héritées suff­isent donc ample­ment à la jouis­sance d’un peu­ple qu’on n’envisage plus autrement que, au mieux, comme un pub­lic, et le plus sou­vent comme une clien­tèle.
Notons que l’idéolo­gie impéri­al­iste cen­triste sécu­ri­taire n’ex­clut pas, ou plutôt ne per­sé­cute pas les extrémistes. Ceux du présent (ceux qui « restent »), elle les ignore (nég­lige­ables, un tan­ti­net ridicules), ceux du passé elle les annexe (exem­ple déjà cité du Musée d’Or­say, et Artaud, voire même Sade). Puisque je cite beau­coup Brecht en ce moment, encore celle-ci : 

« Il y a pire, en effet, que l’état où l’on n’a que la médi­ocrité à se met­tre sous la dent ; c’est celui où l’on avale absol­u­ment tout. » 

L’idéolo­gie I.C.S. (impéri­al­iste cen­triste sécu­ri­taire) élar­git donc très loin le champ morne de la réitéra­tion futile.23

C. « On a rai­son de se révolter !» 

Et d’abord : tou­jours. 

Car il faut com­pléter cette cita­tion par une autre for­mule lap­idaire de Mao Tsé-Toung : « Nag­er à con­tre-courant ». Oui, la vérité, c’est tou­jours à con­tre­courant du bon sens et des idées reçues, c’est Galilée.
Le 22 juin 1633, à Rome, Galilée abju­rait solen­nelle­ment devant l’inquisition sa doc­trine sur les corps célestes et con­fes­sait, con­tre sa con­vic­tion pro­fonde, que le soleil tourne autour de la terre. Cette défaite momen­tanée de l’e­sprit avait des raisons puis­santes, religieuses mais aus­si sociales et, générale­ment : humaines. L’une de ces raisons con­cerne directe­ment un des fonde­ments de nos démoc­ra­ties, en quoi elles furent un « pro­grès » — bien frag­ile — c’est ce qui j’ap­pellerais : le sus­pens civil­isa­teur

La doc­trine de Galilée heur­tait vio­lem­ment l’év­i­dence immé­di­ate. Depuis que la terre existe et porte des êtres vivants, tous ces êtres, ani­maux et plantes, ont perçu le soleil comme tour­nant autour de la terre. Bien après, pen­dant des dizaines de mil­liers d’an­nées, les humanoïdes puis les hommes vécurent de même. Et chaque jour encore, nous-mêmes — quoique nous en sachions — nous percevons cette réal­ité en accord avec l’év­i­dence :le soleil tourne autour de la terre. Pour accepter, non seule­ment de com­pren­dre qu’il n’en va pas ain­si, mais tout sim­ple­ment d’é­couter de pareilles expli­ca­tions, il faut sus­pendre un instant la croy­ance que nous avons, la foi de tous les jours que nous prê­tons à ce que nous cri­ent nos yeux et notre peau et, dans ce sus­pens con­sen­ti, faire un long détour par la démon­stra­tion sci­en­tifique.
Ce moment de sus­pens de l’év­i­dence, c’est la con­di­tion de la civil­i­sa­tion en général et de la démoc­ra­tie tout par­ti­c­ulière­ment. Incul­quer cette atti­tude dès l’en­fance à tous les citoyens, c’est une des con­di­tions de sa survie tem­po­raire.
Le sus­pens civil­isa­teur est à l’œu­vre dans le geste du paysan pau­vre qui, au lieu de manger lui-même quelques céréales, les porte à l’er­mite sur la mon­tagne, lequel, apparem­ment, ne sert à rien du tout. Beau­coup plus tard, il se sig­nale dans les sociétés qui ordon­nent qu’un crim­inel, fût-il un assas­sin d’en­fants ou un agent de géno­cide, ait droit à un procès, à un avo­cat, et non qu’il soit lynché par la foule ou « exé­cuté » par la famille des vic­times.
Aujourd’hui, par exem­ple, le sus­pens civil­isa­teur voudrait qu’un homme dont le fils est au chô­mage alors que son voisin immi­gré tra­vaille, n’en déduise pas que la « solu­tion » con­sis­tant à chas­s­er tous les étrangers dégagera un vol­ume égal d’emploi, mais accepte d’entrer dans la démon­stra­tion économique que cette évi­dence est fal­lac­i­euse. Naturellement,ce détour ne le prive pas d’un bouc émis­saire sans lui ouvrir en même temps les voies d’une action nou­velle.
On con­vien­dra que nos sociétés — si elles sont très attachées à la préser­va­tion des apparences de la démoc­ra­tie (tout le monde se déclare anti-raciste, y com­pris Le Pen) — nég­li­gent chaque jour davan­tage la for­ma­tion du sus­pens civil­isa­teur et l’enseignement de ce qui le fonde. On les com­prend, il s’agit d’un superbe cas de « dou­ble bind » : l’en­traîne­ment de chaque citoyen à cette atti­tude ne garan­tit pas seule­ment la démoc­ra­tie d’une régres­sion à des total­i­tarismes divers ou à la bar­barie, elle jette aus­si les prémiss­es de son dépasse­ment. 

IL Y A DES ÉVÉNEMENTS TELLEMENT BIEN PROGRAMMÉS QU'ILS SONT INOUBLIABLES AVANT MÊME D'AVOIR EU LIEU. Ans, octobre 81.
IL Y A DES ÉVÉNEMENTS TELLEMENT BIEN PROGRAMMÉS QU’ILS SONT INOUBLIABLES AVANT MÊME D’AVOIR EU LIEU. Ans, octo­bre 81.

« On a rai­son de se révolter !» ren­voie donc, pour moi, à l’intel­li­gence de la Fidél­ité. On a RAISON de le faire.24
À ce stade, Brecht a cru pou­voir recruter le tra­vail artis­tique pour la grande armée de la rai­son.
Si son tra­vail, parce que pré­cisé­ment c’é­tait un artiste, a pu dévi­er par­fois sub­lime­ment de ce « cre­do », toute son expres­sion théorique en revanche s’y réfère con­stam­ment. On sait que cette con­cep­tu­al­i­sa­tion a de plus en plus com­mandé sa créa­tion. La nature du tra­vail artis­tique, ce sur quoi nous opérons, le champ et les objets, tout comme ses résul­tats, en tous cas :ses effets, qu’en savons-nous exacte­ment aujourd’hui encore ? Pas grand chose, et encore moins dans le cas très par­ti­c­uli­er du théâtre, sans par­ler de l’art de l’ac­teur.
Je ne peux pas suiv­re Brecht dans son artic­u­la­tion directe de la sci­ence et de l’art.25
Et, dans mon enten­de­ment, cela n’entraîne pas de con­tra­dic­tion avec cette admirable pre­scrip­tion de Brecht, reprise pat Godard : « Il ne s’agit pas de mon­tr­er des choses vraies, mais de mon­tr­er com­ment sont vrai­ment les choses. » Où l’on rejoint Galilée, oui, mais aus­si William Blake ou Van Gogh ou Sade.
Si l’on a TOUJOURS rai­son de se révolter, toutes les révoltes ne s’en trou­vent pas jus­ti­fiées, nous le savons. Qu’à cette énergie vitale se soient ali­men­tées les aber­ra­tions régres­sives les plus démo­ni­aques doit aigu­is­er la vig­i­lance.
Cepen­dant, à mon sens, aucune des caus­es qui provo­quèrent la révolte de notre ado­les­cence et de notre jeune matu­rité n’est caduque. Aucun des men­songes petits-bour­geois d’an­tan n’a retrou­vé, par mir­a­cle, un éclat vir­ginal. Et si la polémique n’of­fre guère de sec­ours pour l’in­stant, le choix de la révolte suf­fit tou­jours à divis­er. Ce choix qui n’est jamais « une fois pour toutes », qu’il nous faut net­toy­er féro­ce­ment, viv­i­fi­er au tra­vail, éprou­ver dans l’ex­péri­ence.26
La ques­tion n’est donc pas dans la « foi » en une « évo­lu­tion » , rude­ment assim­ilée à la « marche du pro­grès ». La nature est trans­for­ma­tion per­pétuelle et acquitte tou­jours un prix très élevé pour chaque change­ment. L’in­di­vidu sem­ble y tenir une part infra-dérisoire. Avec l’ap­pari­tion dans l’histoire de la vie de la « con­science réflex­ive » (donc de « l’histoire »), une sit­u­a­tion nou­velle s’est créée jusqu’à ce point où c’est l’espèce en qui elle se con­stitue qui tient en ses mains le sort de la vie, de la survie de toutes les espèces, du vivant tout entier, et jusqu’au sort du lieu même de la vie : notre monde.
Puisque nous en sommes arrivés à, de l’amibe à Hiroshi­ma, il est sans doute aus­si au pou­voir des hommes de réduire le prix de la prochaine muta­tion. Mais l’idéolo­gie I.C.S. en niant la réal­ité même aggrave le divorce entre l’état des sci­ences et des arts et la con­science des peu­ples. Par con­séquent, elle aggrave le prix req­uis tôt ou tard. 

François Sikivie. IL Y A DES ÉVÉNEMENTS TELLEMENT BIEN PROGRAMMÉS QU'ILS SONT INOUBLIABLES AVANT MÊME D'AVOIR EU LIEU. Ans, octobre 81.
François Sikivie. IL Y A DES ÉVÉNEMENTS TELLEMENT BIEN PROGRAMMÉS QU’ILS SONT INOUBLIABLES AVANT MÊME D’AVOIR EU LIEU. Ans, octo­bre 81.
Valérie Lemaître, Claude Etienne, Frédéric Neige, François Sikivie.
LULU-LOVE-LIFE. Bruxelles, Atelier Ste Anne, 1991.
Valérie Lemaître, Claude Eti­enne, Frédéric Neige, François Sikivie. LULU-LOVE-LIFE. Brux­elles, Ate­lier Ste Anne, 1991.

Nour­rir sans cesse l’in­tel­li­gence de notre FIDÉLITÉ à la révolte, voilà ma pre­mière con­di­tion. 

2. TRAGIQUE (Morale du):

ou : « Un jour nous aurons à ren­dre compte de notre mort pré­maturée. »
Antonin Artaud

On dit par­fois de Kaf­ka que c’est un auteur drôle.
Niet­zsche écrivait : « Voir som­br­er les natures trag­iques et pou­voir en rire, mal­gré la pro­fonde com­préhen­sion, l’é­mo­tion et la sym­pa­thie que l’on ressent, cela est divin. »27
Dans ce sens, le Mar­quis est bien, comme le veut le mot de la tra­di­tion, divin. Et, puisque la phrase de Niet­zsche sem­ble sous-enten­dre des excep­tions, nous ne voyons pas — au con­traire — quelle espèce de « nature » pour­rait bien échap­per au trag­ique dès lors qu’il s’agit du vivant, à plus forte rai­son : de con­science.
De même, après le deux­ième exer­ci­ce-repas et le week-end per­tur­bé qui s’en­suiv­it, j’écrivais au Groupov : « Nous ne voulons pas nous tuer. Nous voulons RIRE. » (5 mars 80)
RIRE n’est pas une mau­vaise atti­tude, enten­du comme ça. Mais tout le monde ne peut pas. Pas tout le temps. Pas sur tout. L’idéal du SAINT-RIEUR s’avère net­te­ment au-dessus de la moyenne des capac­ités humaines. Pour moi, par exem­ple, et parce que je n’é­tais pas à l’époque dans le champ artis­tique adéquat, la mort vio­lente de mes par­ents ne fut pas source de rire ni même d’ex­pres­sion, mais un fac­teur d’amnésie par­tielle.
Si l’on peut rire avec pro­fonde com­préhen­sion, émo­tion et sym­pa­thie, on ne doit pas être loin de ce qui se fait de mieux dans l’humain.…
Bataille l’a si bien perçu, qui n’ar­rive pas à être drôle, chez qui le rire est tou­jours un déchire­ment. Mais Sade est plein d’hu­mour, et pas seule­ment d’un HUMOUR NOIR où le ressort trag­ique est plus sen­si­ble, mais par­fois d’un humour espiè­gle.28 Artaud même fait enten­dre un rire pro­fond dans sa détresse sou­veraine d’acteur-du-XXè siè­cle se débat­tant dans l’écri­t­ure.29
Je voudrais d’ailleurs en rester à la phrase d’Artaud qui ouvre ce chapitre : « Un jour nous aurons à ren­dre compte de notre mort pré­maturée. »30
Il va de soi que je n’entends pas dire un seul mot du Trag­ique. C’est bien l’aspect de notre nature le mieux partagé entre toutes les philoso­phies. Athéismes, reli­gions, sys­tèmes total­isants, nul ne nous en dis­pense, tous s’ac­cor­dent sur sa dimen­sion fon­da­men­tale — que ce soit pour nous définir ou pour nous pro­pos­er les voies de sa tran­scen­dance.31
Ne par­lant pas du trag­ique, il s’agit donc de sa morale.
Je ne suis pas philosophe. Je suis inca­pable d’énoncer les principes d’une atti­tude fondée en rai­son pour les indi­vidus ou la société. J’ai seule­ment quelques intu­itions sur la fonc­tion d’un artiste, en général, et sur ses devoirs, à cer­tains moments. À mes amis-col­lègues et aux cama­rades-col­lègues, ceux du camp de la Fidél­ité, et à eux seule­ment, je con­fierai prudem­ment mon rêve d’artiste d’une morale du trag­ique. La morale impli­quant des « devoirs » , j’en pro­poserais trois : 

Rire.
Trans­gress­er.
Ren­dre compte. 

Ici, les développe­ments m’échap­pent. Et jy renonce volon­tiers. C’est telle­ment le domaine du « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trou­vé » ou, plus mod­este­ment comme Fats Waller à qui voulait savoir ce qu’est le swing : « If you got­ta ask, you ain’t got it ». 

Ain­si du RIRE. Nous avons évo­qué Kaf­ka, Niet­zsche, Bataille, Sade. C’est assez, c’est trop. Il y a de quoi irrit­er ceux qui ont le swing, sans se rap­procher d’un pouce des autres.
Pour le RENDRE COMPTE, nous y sommes, puisque ce texte tente d’en fix­er les con­di­tions de mon usage et, j’e­spère, celui de quelques amis. Cha­cune des cinq con­di­tions touche à ce devoir. Ce qui s’y pre­scrit, s’en déduit ou se devine, et voilà tout.

Quant à TRANSGRESSER… 

A. Réminis­cences

Le Groupov naquit dans un temps où déjà, selon l’ex­pres­sion de Georges Bataille : « L’érotisme, per­dant son car­ac­tère sacré, devint immonde…». La trans­gres­sion éro­tique, enten­due comme sex­uelle, ne fit JAMAIS la moin­dre appari­tion dans notre tra­vail.32 Comme le brico­lage que nous fîmes des autres restes, il y eut bien des corps nus et LA CITATION de quelques agi­ta­tions, mais la trans­gres­sion s’é­tait déjà déplacée vers le meurtre (épisode de la nuit dans la voiture arrêtée rue de Ser­bie, ou con­signe-métaphore du deux­ième repas : « Tuez tout !»). Il était naturel alors que la merde fit son appari­tion (maquil­lage). Dans tous les cas, un bout de chemin du côté de la mort, plutôt.33
Chez Bataille, sacré et inter­dit ont peut-être exces­sive­ment ten­dance à se recou­vrir. D’où nous étions issus, le sacré ne pou­vait nous laiss­er indif­férents. Mais toutes ses formes con­nues nous étaient déval­uées au point qu’il fut même inimag­in­able de s’en souci­er. La notion même de sacré nous était étrangère, inutile, dans l’ap­proche résol­u­ment expéri­men­tale, voire prag­ma­tique, de nos débuts. Et juste­ment, pour des con­t­a­m­inés du sacré de cette trempe, la voie de l’inter­dit a tou­jours sem­blé beau­coup plus sûre.
Cepen­dant cela se pas­sait de manière sournoise.

C’est qu’à l’époque l’inter­dit et la trans­gres­sion nous parais­saient aus­si inutil­is­ables que le respectable sacré. Tout sem­blait impos­si­ble : Gro­tows­ki (le blas­phème sacré), le Liv­ing The­atre (la libéra­tion), ou les A.A.A. d’Ot­to Muehle (l’ac­cep­ta­tion et le dépasse­ment de toutes les pul­sions dans la vie expres­sive com­mu­nau­taire). Donc, très curieuse­ment, le Groupov com­mença par « les écri­t­ures automa­tiques d’ac­teur » , dans un refus de tout objec­tif. Par la suite, c’est sur le ter­rain formel et par la voie de la sen­si­bil­ité, autrement dit : de préserv­er vivant et d’aiguiser ce qui adve­nait entre nous sur le plateau, que le tra­vail se dévelop­pa inten­sé­ment.
Que les choses se soient pro­duites ain­si, par cette stim­u­la­tion et dans cette direc­tion, a cer­taine­ment une grande sig­ni­fi­ca­tion.
J’au­rais ten­dance encore aujourd’hui à faire con­fi­ance à cette atti­tude expéri­men­tale d’entrer par effrac­tion en soi-même, à chaque moment impor­tant. Mais il y avait là aus­si une part de ruse avec nous-mêmes. Les « écri­t­ures automa­tiques d’ac­teur » qui, de quelque manière que ce soit, ne serait-ce que par le plus léger indice, évo­quaient un traite­ment formel déjà con­nu, ou sem­blaient se dérober à l’af­fron­te­ment non seule­ment de l’in­con­nu mais de quelque tabou inven­torié que ce soit, étaient cri­tiquées impi­toy­able­ment. Ain­si les acteurs étaient placés dans une sit­u­a­tion de con­trainte extrême : ils ne pou­vaient éviter, naturelle­ment, d’af­fron­ter l’héritage des formes précé­dentes dans leur tra­vail, mais c’é­tait défendu. Ils ne pou­vaient se livr­er à l’af­fron­te­ment explicite d’un tabou, c’é­tait vu comme réduc­teur et ridicule, mais ils ne pou­vaient se trou­ver pris­on­niers d’au­cun, etc. De cette bru­tal­ité, sur­girent quelques moments éton­nants. Je crois que nous ne sommes pas encore sor­tis de ce qui s’y cher­chait : Inter­dit / Sacré / Trans­gres­sion / Aujourd’hui. Et quoi — mais encore ?
Autour de nous, en 80 : déjà l’I.C.S. et la con­for­mité dom­i­nante ; ou la trans­gres­sion dérisoire (les Punks crachant et jetant des bouteilles de bière au pub­lic) ou inutil­is­able (Sid Vicious assas­si­nant sa petite amie). Rien à faire.
Et main­tenant ?
Je ne sais pas. En tout cas il n’est plus de raisons aux pudeurs d’antan. Certes, le sacré, ça n’aide pas plus. L’in­ter­dit, ça fatigue d’avance. La trans­gres­sion, de quoi ? pour quoi ? Tout comme hier, c’est davan­tage par le désir de l’im­pos­si­ble, de l’inouï, que s’ou­vre le ter­ri­toire incon­nu. Mais savoir que d’autres, en d’autres temps, l’indiquèrent autrement, n’est pas pure­ment formel. Cela peut nous aider à admet­tre qu’une ten­ta­tion nous guette alen­tour de la trinité sacré-inter­dit-trans­gres­sion, depuis tou­jours, et que nous pour­rions dès lors en faire un usage plus intel­li­gent, ou plus adap­té. 

B. Trans­gres­sion-Fon­da­tion

C’est de ce côté.
Ça, c’est sûr. Enfin, plutôt par là.

Je veux dire qu’en tra­vail­lant « de ce côté » la trans­gres­sion, on a des chances de tra­vailler dans la vérité. Il se peut qu’on s’y perde, qu’on en meure, ou qu’on se trompe, il se peut qu’une œuvre sin­gulière mais non pas fon­da­trice en résulte, mais les autres côtés n’offrant que redon­dances-pléonasmes-fari­boles… 

A

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Écrit par Jacques Decuvellerie
Fon­da­teur en 1980 du Groupov, col­lec­tif d’artistes qui alterne expéri­men­ta­tion pure et spec­ta­cle pub­lic, Jacques Del­cu­vel­lerie partage son...Plus d'info
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Théâtre et vérité-Couverture du Numéro 44 d'Alternatives Théâtrales
#44
mai 2025

Théâtre et vérité

19 Juil 1993 — Depuis dix ans, Alternatives théâtrales fait régulièrement écho aux expériences, réflexions et spectacles du Groupov. Cependant, ce numéro est différent,…

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17 Juil 1993 — L'invention du Groupov à Ans Palace.  C'est en janvier 1980 que Jacques Delcuvellerie propose à certains de ses étudiants en…

L’in­ven­tion du Groupov à Ans Palace.  C’est en jan­vi­er 1980 que Jacques Del­cu­vel­lerie pro­pose à cer­tains de ses étu­di­ants en art dra­ma­tique et à quelques amis de se retrou­ver dans l’ancien ciné­ma de ban­lieue « Ans…

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