Entre tango et Hira Gasy, esquisse d’un jeu théâtral à Madagascar

Entre tango et Hira Gasy, esquisse d’un jeu théâtral à Madagascar

Le 14 Juin 1995

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Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
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La ques­tion se pose tou­jours de savoir à quelle entité rat­tach­er Mada­gas­car. Éter­nel drame des îles ! Pour­tant, une évi­dence s’impose : on retrou­ve dans le théâtre mal­gache con­tem­po­rain les mêmes thèmes et préoc­cu­pa­tions que sur le con­ti­nent. Si Le théâtre mal­gache a des racines qui lui sont pro­pres, un des­tin con­tem­po­rain com­mun, mar­qué par la coloni­sa­tion, la dic­tature, la mis­ère, a forgé une unité fon­da­men­tale. 

AU DÉBUT des années 1900, à Antana­nari­vo, la cap­i­tale mal­gache, sur la colline d’Ambatovinaky, à mi-chemin entre les hau­teurs de l’ancienne roy­auté et les emplace­ments des nou­veaux gou­ver­nants, au car­refour de l’église des mar­tyrs et du grand chemin menant aux riz­ières, avait été con­stru­it le théâtre munic­i­pal.
Emplace­ment haute­ment sym­bol­ique, il dom­i­nait toute la ville et quand il y avait un spec­ta­cle, la pop­u­la­tion se déplaçait pour voir les beaux habits, les voitures, les colons et leurs épous­es, fiers sous-officiers, qui ain­si voulaient diver­tir leurs dames avant de les men­er danser au bal du gou­verneur, à l’hô­tel Fumaroli, où des pianistes mal­gach­es jouaient du tan­go adap­tant Tino Rossi à la sauce locale, tan­dis que l’aris­to­cratie et la grande bour­geoisie mal­gache, ou du moins ce qui en restait, s’initiaient aux opérettes et aux autres pièces de boule­vard arrivées dans les bagages de la coloni­sa­tion et pro­mues représen­tantes attitrées de la cul­ture française.
La France avait voulu créer un Paris dans l’Océan indi­en. L’en­tre­prise s’avéra ardue, car la mal­gachi­sa­tion du théâtre importé ne se fit pas atten­dre. L’opérette fut jouée à la sauce mal­gache. Près d’un mil­li­er de pièces de théâtre furent écrites, pièces qui reprirent la struc­ture de l’opérette. Mais, stratégie clas­sique chez les peu­ples vain­cus, si la forme importée fut gardée, le fond par­la d’autre chose : Le sujet de prédilec­tion de ces écrits étant le temps ancien, les guer­res per­dues, la roy­auté, la sen­sa­tion de se sen­tir orphe­lin. ; les œuvres par­lent de mort, de tombes, manière élé­gante de dire la dépos­ses­sion et de con­tourn­er la cen­sure. Ces pièces dis­aient le mal de vivre de toute une généra­tion.
Car la coloni­sa­tion a créé une race d’hommes qui ont eu accès à la sco­lar­ité, aux instru­ments intel­lectuels occi­den­taux, mais à qui on a refusé l’é­panouisse­ment néces­saire à leur œuvre. 

Face à une poli­tique d’acculturation des plus vio­lentes, poli­tique qui exigeait l’ou­bli de la mémoire, le théâtre servit, d’abord et avant tout, de prise de parole. Les écrits main­ti­en­nent vivaces les notions de pays et de nation mal­gache. Que ce soit dans les pièces d’un Rodlish1, à qui on doit une.vingtaine de pièces, dont deux clas­siques RaNo Moby et SANGY MAHERY, écrites en 1926 et jouées encore actuelle­ment, ou d’un Dox2, qui out­re ses œuvres per­son­nelles, traduisit entre autres LE Ci, mais aus­si, Mus­set, Baude­laire, Samain.…, les auteurs choisirent de biais­er. Tout pas­sait dans Les décors, les chants, les cos­tumes et Les proverbes. Mais le pub­lic et la pop­u­la­tion ne s’y trompèrent pas, eux qui déco­dent chaque spec­ta­cle. Un pau­vre orphe­lin pleu­rait-il devant la tombe de son père ?Il fal­lait e il suff­i­sait que ce pau­vre garçon arbore les vête­ments et les insignes de l’ancienne roy­auté pour que le mes­sage de résis­tance à la coloni­sa­tion soit recon­nu. Et ce mou­ve­ment de résis­tance à la cen­sure était général, cette analyse étant val­able aus­si pour le roman, les nou­velles ou la poésie dont la pro­duc­tion fut très impor­tante entre 1925 et 1950.
Ce pas­sage de l’His­toire est extrême­ment impor­tant, parce qu’en fait, il sert de fonde­ment à toute la créa­tion lit­téraire actuelle. La force et la faib­lesse de la cul­ture mal­gache rési­dent là. Force parce que face à une puis­sance dom­i­na­trice qui voulait là forg­er dans un moule étranger, elle trou­va une dynamique endogène pour se main­tenir. La langue a per­duré, la créa­tion et la réflex­ion ont existé envers et con­tre tout. Mais, et c’est là que le dan­ger a existé réelle­ment et que des élé­ments d’immobilisme social et cul­turel dont les Mal­gach­es subis­sent les séquelles jusqu’à main­tenant se sont créés, cette cul­ture s’est vécue qua­si­ment unique­ment en force d’op­po­si­tion. La coloni­sa­tion n’apporta qu’elle-même. L’Eu­rope était inex­is­tante, les Améri­cains un mythe, et l’Afrique n’en par­lons pas. Le tête-à-tête se fait entre la France et Mada­gas­car. Duel à mort, dit-on, la bagarre menée à cette époque fut de créer un « homme noir » iden­tique à celui pro­posé par l’idéolo­gie colo­niale, un homme à édu­quer, chargé d’incarner la nature, pour le meilleur ou pour le pire, en sont inno­cence ou sa bar­barie orig­inelle. Au nom de cette idéolo­gie, tous les meurtres intel­lectuels se jus­ti­fièrent.
Bilan cat­a­strophique ? Accul­tur­a­tion com­plète ? Oui et non.
Dans les cam­pagnes, les jeux et l’art tra­di­tion­nel 

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Écrit par Michèle Rakotoson
Née à Mada­gas­car, Michèle Rako­to­son est écrivain et dra­maturge. Depuis plusieurs années, elle vit à Paris où elle...Plus d'info
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