Pas de deux et grand écart

Pas de deux et grand écart

— Rencontre avec Elsa Wolliaston et Koffi Kôkô — 

Le 20 Juin 1995

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Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
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AMÉRICAINE d’o­rig­ine africaine, Elsa Wol­lias­ton est choré­graphe et danseuse depuis une trentaine d’an­nées. Férue de péd­a­gogie, elle a été la pre­mière à pro­pos­er, en France, une approche de la danse qui prenne en compte le « con­tem­po­rain » et « l’expression africaine ». Depuis plusieurs années, elle donne à Paris un cours de danse con­tem­po­raine d’ex­pres­sion africaine. Même si la cri­tique d’art occi­den­tale (et par­ti­c­ulière­ment française) con­sid­ère tou­jours la danse africaine comme une expres­sion folk­lorique, reprenant paresseuse­ment à son compte des caté­gories eth­nologiques qui la figent dans un vocab­u­laire volon­taire­ment anti­créatif — transe, raphia, prim­i­tif, tam-tam, etc. —, l’enseignement d’Elsa Wol­lias­ton est devenu incon­tourn­able. Les plus grands et « futurs grands » de la danse s’y bous­cu­lent, et l’artiste compte ses élèves au cœur même des grands théâtres européens. Mais le flirt d’Elsa avec le théâtre ne s’ar­rête pas seule­ment à la péd­a­gogie : elle monte aus­si sur les planch­es, et on la retrou­ve, comme actrice, avec les met­teurs en scène Luc Bondy, Philippe Adrien, Peter Stein, Yoshi Oïda, etc.
D’o­rig­ine béni­noise, Kof­fi Kôkô est, lui aus­si, choré­graphe et danseur, par­tic­i­pant surtout à des créa­tions choré­graphiques con­tem­po­raines. Il tra­vaille régulière­ment avec le choré­graphe Pierre Dous­saint.
Kof­fi et Elsa se con­nais­sent bien. Ils ont tra­vail­lé plusieurs fois ensem­ble, et leurs avis sur la danse africaine con­ver­gent. Loin d’être anesthésiés par les lau­ri­ers de la gloire, ces deux pio­nniers ne décolèrent pas con­tre l’image qui est (toute) faite de la danse africaine. Avec, bien sou­vent, le con­cours des danseurs africains eux-mêmes.
Danse et théâtre ? Pour Elsa Wol­lias­ton et Kof­fi Kokô, cette ques­tion n’en est pas une car dis­soci­er les deux gen­res n’est pas for­cé­ment per­ti­nent dans le cadre de la danse africaine. 

Elsa Wol­lias­ton : Con­traire­ment à ce qui se fait en France, le danseur en Afrique danse d’abord, bien sûr, mais ne se con­tente pas de ça ; il joue aus­si, fait tire, pleur­er. Tous ces élé­ments sont présents dans la danse africaine. Mais lorsqu’il s’ag­it de faire appel à des danseurs africains dans les spec­ta­cles en France, c’est tou­jours pour le folk­lore ; on exhibe ce qui sem­ble flat­ter le pub­lic sans lui mon­tr­er que la danse africaine, c’est autre chose. 

Kof­fi Kôkô : La danse africaine met effec­tive­ment en con­nex­ion tous les élé­ments dont tu par­les. Pour ma part, j’ai tou­jours traité la danse comme du théâtre. L’im­por­tant est de penser au thème, écrit par le théâtre par exem­ple, et de le dévelop­per par le corps. La réflex­ion est essen­tielle dans cette démarche et elle mon­tre bien que la danse n’est pas une sim­ple repro­duc­tion mécanique de gestes ou encore une sim­ple exci­ta­tion du corps. Il faut dire que la dis­tinc­tion entre danse et théâtre est de plus en plus ténue en Europe où on voit des choré­graphes faire de la mise en scène et, plus rarement, des met­teurs en scène faire de la choré­gra­phie. Mais pour la danse africaine, on est tou­jours à la con­sid­ér­er comme quelque chose de pure­ment exo­tique, qui serait tout ce qu’on veut sauf de l’art. 

E. W.: Le prob­lème est de savoir si on veut effec­tive­ment regarder une cul­ture avec ses pro­pres critères et non pas avec ceux d’une per­son­ne extérieure qui la regarde et qui la juge. Par exem­ple, à une époque au Con­go, les colons avaient inter­dit aux femmes âgées de danser Les seins nus car ils esti­maient que leurs poitrines étaient desséchées et étaient donc inesthé­tiques.. Comme si la danse était syn­onyme de jeune et de beau ! Sans compter les curés qui avaient décrété que ces dans­es exé­cutées à moitié nu étaient des dans­es « de débauche » ! Ne me dites pas qu’ils sont allés chercher ça chez les Africains qui dan­saient, ça ne leur serait même pas venu à l’e­sprit ! 

Corinne Mon­cel : Pourquoi ne peu­ton pas citer de noms de choré­graphes africains alors qu’on peut aisé­ment le faire pour des hommes de théâtre africains ? 

E. W.: C’est une ques­tion qui est biaisée dès le départ, car les gens ici ne recon­nais­sent pas la danse africaine comme un art choré­graphique. Dans cescon­di­tions, com­ment voulez-vous qu’ils recon­nais­sent un choré­graphe africain ! Le fait est qu’ils exis­tent, mais qu’on leur refuse ce nom. 

K. K.: Il y a beau­coup de choré­graphes africains, en Afrique et ailleurs ! Par con­tre, il y a des prob­lèmes économiques, des prob­lèmes d’ur­gence, qu’on fait pass­er avant les prob­lèmes de cul­ture. La danse africaine reste une ques­tion d’in­di­vidus qui « fon­cent », elle n’a jamais été encour­agée par des poli­tiques d’État. Si vous avez de l’ar­gent, vous pou­vez tout faire, y com­pris sans tal­ent. L’in­verse est loin d’être vrai car bien sou­vent, vous pou­vez avoir un vrai tal­ent, mais sans un min­i­mum d’ar­gent… À Paris dans les années 80 par exem­ple, la danse japon­aise, jusqu’alors incon­nue, voire « folk­lorisée », ou seule­ment con­nue par des ini­tiés, a fait une offen­sive très remar­quée grâce à un effort financier con­sid­érable. On ne peut dis­soci­er la danse de son con­texte de marché. On oublie cela par rap­port à la danse africaine, alors que le prob­lème économique est une véri­ta­ble jambe de bois pour un danseur africain et se faire recon­naître avec un tel hand­i­cap est qua­si insur­montable. 

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