Rêveries d’un homme de théître africain

Rêveries d’un homme de théître africain

Le 25 Juin 1995

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Théâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre d'Afrique Noire-Couverture du Numéro 48 d'Alternatives Théâtrales
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THÉÂTRE, mon théâtre, notre théâtre ! Qu’y suis-je ? Comé­di­en ou acteur ?
À nav­iguer entre deux eaux, moi, inter­prète de rôle au théâtre, dans cette ville d’Afrique noire fran­coph­o­ne, je ne sais plus vers quel cap je rame. Galère de chauve-souris. Ni mam­mifère, ni oiseau. Une hybrid­ité qui me sus­pend entre un rôle que j’assume sur scène un soir et qui me colle à la peau et un statut de comé­di­en que je n’ai pas puisqu’of­fi­cielle­ment l’on ne recon­naît pas la valeur de méti­er au tra­vail mon­stre que j’abats. « Je ne vis pas de mon art. » Ce n’est pas moi qui le dis. L’on veut qu’il en soit ain­si !
Acteur ! Le pub­lic, mon pub­lic se prend les orteils dans le piège. Pour avoir joué un rôle, je suis le rôle. « Jouer ergo sum ». Bin­tou avait rai­son de man­i­fester tant de réti­cence à inter­préter un rôle de pros­ti­tuée. Elle se serait fait pren­dre pour une vraie au quo­ti­di­en et… son fiancé lui aurait dit « adieu » après le ban­nisse­ment de ses par­ents. 

On racon­te qu’un « white » ayant inter­prété avec brio le rôle d’un raciste dans L’ÉTUDIANT DE SOWÉTO1 dans une bour­gade sahéli­enne, à sa grande sur­prise, s’est retrou­vé assail­li par des souliers et san­dales et autres pro­jec­tiles bien placés par des spec­ta­teurs un peu trop ran­cu­niers. Il était le raciste. Et « si ce n’est lui c’est donc un de ses frères. sans doute l’un des siens ». Il était l’a­partheid à abat­tre ! 

Comé­di­en ! L’ère des troupes nationales est révolue. Fonc­tion­nar­isées, sclérosées, à court d’in­spi­ra­tion puisque créer n’était pas une néces­sité pour faire bouil­lir la mar­mite. Mon min­istre de la cul­ture se tait lorsque son homo­logue de la jeunesse et du sport réclame à coup de sif­flet les jetons du bud­get nation­al pour les foot­balleurs ! Ne par­lez pas de sub­ven­tions à octroy­er à des com­pag­nies d’in­quié­teurs publics que sont les gens de théâtre. Il y a une échelle des besoins et creuser des puits est pri­or­i­taire. Et puis d’où vien­nent-ils ces enfants nour­ris aux poubelles des nan­tis ou rebuts du sys­tème sco­laire absurde qui secrète plus de mélasse que de jus. D’ailleurs nous y sommes venus. au théâtre en dilet­tantes, ama­teurs puisque nom­bre d’entre nous ont un autre job pour nour­rir leur famille. Évidem­ment le met­teur en scène ne peut trop exiger d’eux. Ils sont mutés par-ci, envoyés en recy­clage par là…, men­acés de divorce par leur parte­naire con­ju­gal qui estime faire les frais d’un art trop accaparant…Moi j’y suis venu par voca­tion. et je me suis bien usé les fonds de culotte sur les bancs de l’In­sti­tut nation­al des Arts pen­dant qua­tre années. et pour­tant. 

Le gri­ot des temps mod­ernes

J’ai l’intime con­vic­tion que je joue dans la société actuelle le rôle du gri­ot d’hi­er. J’ai le sen­ti­ment de cristallis­er les arts de la parole que je profère et ceux du mou­ve­ment de ce corps que mon génie ani­me. His­to­rien, poète, héraut, danseur, musi­cien, je me sens porter le verbe qui détend, amuse, inter­pelle, con­va­inc, dénonce, prédit. « Porte-gourde » d’une parole vraie dis­simulée dans le fouil­lis des con­ve­nances, je n’hésite pas à cass­er la gourde sur la place publique pour en répan­dre la vérité… devant le regard de tous. N’en déplaise aux roitelets et aux autres tyran­neaux aux pieds d’argile.
En plus de cela, j’ap­porte un sacré coup de main aux agents soci­aux­cul­turels qui se la coulent douce dans les bureaux cli­ma­tisés. Pour eux, je vais dans les vil­lages, les bidonvilles, afin de faire de la sen­si­bil­i­sa­tion. Fier je suis, parce que je crois que mon théâtre peut être utile aux miens. J’en ai fait mon cre­do. Longues ran­don­nées sur les pistes à mille nids de poules à faire du koté­ba, du théâtre forum pour appren­dre aux femmes à con­quérir leur droit de parole, à soign­er leur enfant mal nour­ri, et pour met­tre mon pub­lic en garde con­tre le SIDA… J’en reviens exténué comme ce soir. mais heureux d’avoir retrou­vé les miens avec qui j’ai partagé une cale­basse de dolo, une aile de pin­tade gril­lée.
Fan­ta, elle, est for­mée à l’école du théâtre de la vie. Mais une vraie dyna­mite sur scène. Cette fille qui a bravé les inter­dits de sa lignée noble pour faire la,saltimbanque. For­ma­tion ou pas, nous sommes tous habités par la même énergie lorsque nos pieds effleurent le car­ré sacré, le même ent­hou­si­asme, la folie de don­ner tout ce que nous pos­sé­dons au pub­lic. Le met­teur en scène aura beau nous dire : « Mets ici ton pied, relève, là, le bout de ton nez », nous sommes ani­més par cette folie de créer notre per­son­nage, séance ten­ante.. là sur scène comme le pub­lic le souhaite, puisque le pub­lic, ce cher pub­lic dia­logue avec nous, rigole, applau­dit, pleure, chahute, men­ace, com­mente pen­dant que nous jouons. Com­ment voulez-vous que l’on se prive de lui répon­dre, de jouer avec lui puisqu’il est présent, vivant et exige de faire par­tie de la pièce à créer ensem­ble, « in situ » ? Nous serons tou­jours des gri­ots, des con­teurs con­damnés à impro­vis­er. En plus, nous faisons tout : régie, décors, manu­ten­tion, instal­la­tion. C’est sûr, le pub­lic qui nous salue dans la rue nous recon­naît bien ce rôle de gri­ot.. mais il a oublié que les gri­ots des temps mod­ernes ne sont pas pris en charge par le roi. Quand je pense que mon grand­père a reçu sa femme, ma grand-mère, en échange d’une mémorable presta­tion ! Il avait bat­tu le tam-tam pen­dant vingtqua­tre heures sans répit lors des funérailles d’un chef de terre. Il en avait les paumes des mains toutes déchi­rail­lées. L’on déci­da de lui don­ner en mariage la plus belle fille du vil­lage. ma grand-mère !

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Écrit par Koulsy Lamko
Koul­sy Lamko est né au Tchad et réside au Burk­i­na Faso depuis 1983. Comé­di­en et auteur, il a...Plus d'info
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24 Juin 1995 — « Une idée devient fausse à partir du moment où l’on s’en contente. »Alain De l’underground à l’establishment  AU DÉBUT…

« Une idée devient fausse à par­tir du moment où l’on s’en con­tente. »Alain De l’underground à l’establishment  AU DÉBUT de ce siè­cle, quand le théâtre ivoirien d’ex­pres­sion française n’ex­is­tait pas encore, il était facile…

Par Koffi Kwahulé
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