« Des événements réels qui appellent les mots »

« Des événements réels qui appellent les mots »

Le 15 Mai 1989

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Howard Barker -Couverture du Numéro 57 d'Alternatives ThéâtralesHoward Barker -Couverture du Numéro 57 d'Alternatives Théâtrales
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SARAH HIRSCHMULLER : Com­ment avez-vous ren­con­tré le théâtre de Howard Bark­er ?

Jerzy Klesyk : Une de mes amies, après avoir vu un de mes spec­ta­cles, m’a vive­ment con­seil­lé de m’in­téress­er à Bark­er. J’ai com­mencé à le lire, en anglais d’abord, puis j’ai recher­ché les tra­duc­tions exis­tantes. LES SEPT LEAR fut une ren­con­tre extraordinaire.J’ai aus­sitôt organ­isé une lec­ture de la pièce avec des amis : j’é­tais pro­fondé­ment séduit par la magie du texte, par la puis­sance du lan­gage sur­cout. J’ai sen­ti dès la pre­mière approche que j’avais affaire à un véri­ta­ble écrivain dra­ma­tique. Trop sou­vent le théâtre esc con­sid­éré comme le porte parole d’autre chose que lui-même : des dis­cours s’y tien­nent qui pour­raient tout aus­si bien être ceous ailleurs, au mépris de coute théâ­tral­ité. C’est ce car­ac­tère extrême­ment direct de la parole qui m’a séduit, celui-là même qui existe chez Shake­speare. Ce n’est pas un théâtre qui vise à expos­er quoique ce soie, une philoso­phie, une esthé­tique…

S. H.: Est-ce un reproche que vous feriez à un cer­tain théâtre con­tem­po­rain ?

J. K.: Oui. Pour le dire très sim­ple­ment, la plu­part des textes que je lis me tombent des mains au bout de deux pages : l’au­teur y exprime ceci ou cela ; mais je n’y trou­ve pas ce que je cherche : non pas des mots, mais des événe­ments réels qui appel­lent les mots. Avec LES SEPT LEAR, je me suis trou­vé devant un matéri­au extrême­ment théâ­tral, une grande qual­ité d’écri­t­ure et un sens de l’hu­mour inouï : un matéri­au immé­di­ate­ment por­teur pour un meneu en scène comme pour des comé­di­ens, et qui sur­cout inter­dit toute sim­pli­fi­ca­tion, toute réduc­tion, en fait coute démarche illus­tra­tive. Je vais peut être trop loin : aucun texte ne peut véri­ta­ble­ment inter­dire que l’on fasse usage de lui, ou qu’on le réduise à une série de signes ; mais le texte de Bark­er a une celle puis­sance, une telle autonomie théâ­trale, qu’il invite son met­teur en scène à suiv­re un chemin qu’il n’a encore jamais emprun­té, à évoluer dans un paysage qui n’est pour lui ni con­nu ni recon­naiss­able.

S. H.: Com­ment l’ac­teur encre-t-il dans ce texte ? Com­ment assumer ces vari­a­tions de tonal­ité, de posi­tions émo­tives, de rôles, au sein de chaque per­son­nage ? Com­ment accéder à ces per­son­nages qui sont à la fois forte­ment indi­vidués et divisés par la con­tra­dic­tion ?

J. K.: C’est un texte qui exige des qual­ités très divers­es, er ce, à cous les niveaux. C’est pourquoi j’ai d’abord pro­posé à mes comé­di­ens des exer­ci­ces à par­tir de ce que je croy­ais percevoir du texte, mais sans expli­quer quoi que ce soit au comé­di­en, sans car­ac­téris­er le per­son­nage, en évi­tant notam­ment d’u­tilis­er des qual­i­fi­cat­ifs. Je pars en général, autant que je le peux, de la sit­u­a­tion. Si la sit­u­a­tion est très ambiguë, j’es­saie de la cern­er, de la décrire sous dif­férents angles, en lais­sant au comé­di­en le soin de répon­dre à mes propo­si­tions. Or aucune sit­u­a­tion n’est réductible à un sché­ma sim­ple chez Bark­er. Mais petit à petit, par un tra­vail d’ap­proche analogique, ryth­mique, on parvient à saisir les ressorts de sa com­plex­ité, er c’est cette com­plex­ité-là qu’il faut restituer, qu’il faut jouer. Bien sûr, à terme, il faut choisir. Il faut bien que le per­son­nage entre par ici ou par là, s’age­nouille ici ou là … Mais c’esr le résul­tat d’un tra­vail très arti­sanal et très inruitif. Out­re les exer­ci­ces, il y a bien sûr la lec­ture de la pièce, la façon que nous avons de nous en racon­ter l’his­toire, de bien la racon­ter, en préser­vant sa com­plex­ité, son inco­hérence peut-être …

S. H.: N’est-ce pas, plutôt que son inco­hérence, son absence de « solu­tion » sur le plan de la sig­ni­fi­ca­tion qui laisse per­plexe.

J. K.: C’est cela. Une absence de solu­tion qui gagne jusqu’aux détails du texte, relies cer­taines phras­es qui aujour­d’hui encore me par­lent sans que je sois par­venu à les épuis­er.

S. H.: Par exem­ple ces phras­es inter­rompues que prononce Holo­pherne juste avant de mourir :

« Tu as men­ti, bien sûr, et moi aus­si j’ai men­ti ( … )

Mais dans le men­songe nous. À tra­vers le men­songe nous.

J. K.: … Sous le men­songe nous. »

Dans ce type de phras­es, par exem­ple, il nous a fal­lu faire le choix d’as­sumer le texte tel qu’il était, c’est-à-dire de ren­dre con­crète­ment cette inter­rup­tion bru­tale, ce point. Nous auri­ons très bien pu choisir de dire cela dans une sus­pen­sion qui aurait lais­sé sup­pos­er un sens caché mais facile­ment déce­lable. Mais non, l’in­ter­rup­tion et le point por­tent un sens. La phrase telle quelle est le sens. C’est une chose qui est acquise dans le roman depuis longtemps, avec le mono­logue intérieur, par exem­ple. On n’as­sume pas encore par­faite­ment cette mise en défaut de la cohérence du dis­cours, ou du moins de sa com­plé­tude, au théâtre. Mais en même temps, tout ce que je viens de dire n’est en rien une apolo­gie du désor­dre, du chaos, de quoique ce soit de tel. Il faut une grande rigueur, un minu­tieux tra­vail de pré­ci­sion, pour présen­ter de l’in­com­plé­tude sur une scène. Rien de tout cela n’est lais­sé au hasard, même si l’in­ter­pré­ta­tion reste ambiguë.

S. H.: Sur cette ques­tion de l’ambi­guïté, que pensez-vous de l’ob­sti­na­tion avec laque­lle Bark­er défend son droit à ne pas pro­duire de sens achevé ? Ce n’est pas un théâtre de l’Ab­surde, ce n’est pas non plus un théâtre à la Beck­ett. Ain­si, dans JUDITH, la pos­si­bil­ité du sens, la piste du sens est forte­ment soulignée, mais chaque fois déçue. Un réseau de sens se des­sine qui nous fait croire que l’on va dans telle direc­tion, mais l’on ira dans une autre.

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