Le jardinier

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Le jardinier

Le 25 Déc 2001
Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.
Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.
Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.
Jacques Delcuvellerie. Photo Lou Hérion.
Article publié pour le numéro
Les penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives ThéâtralesLes penseurs de l'enseignement- Couverture du Numéro 70-71 d'Alternatives Théâtrales
70 – 71
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Laisse le pos­si­ble à ceux qui l’ai­ment.
G. Bataille

CELUI QUI M’A ENSEIGNÉ l’Art d’en­seign­er l’Art du théâtre est bien vieux main­tenant. Lors d’une vis­ite récente, il m’a par­lé plus longue­ment. Comme aux pre­mières années. Par­fois, là où il me sem­blait qu’il pou­vait la prévoir, je posais une ques­tion.
Je sais qu’il ne renierait pas les ter­mes naifs dans lesquels je rap­porte ses pro­pos :

Hier, soirée vide, je regarde la télévi­sion. Face à face Mar­guerite Duras/­Jean-Luc Godard, une ren­con­tre n’a pas lieu. Pour­tant, der­rière les phras­es émues mais tou­jours péremp­toires de Duras, sous les sen­tences hési­tantes, pudiques mais égale­ment « défini­tives » de Godard, je perçois l’u­nité d’un même pou­voir. Ils par­lent d’un lieu sem­blable, d’où jamais l’ac­teur ne par­lera, même l’ac­teur le plus porté à la théori­sa­tion de sa pra­tique. Tu vois, je sen­tais cela pro­fondé­ment, mais pourquoi ? Alors, les vieilles évi­dences me sont rev­enues. Mes « dadas ».

Tu te sou­viens de mon sémi­naire Les hommes racon­tent des his­toires, les acteurs sont des … avec la provo­ca­tion de sa con­clu­sion en para­phrase : « Un acteur est un acteur est un acteur est un acteur … » ou un saint ? Ce n’est pas le car­ac­tère sacré ou non du type de théâtre qu’il pra­tique qui autorise cette com­para­i­son, c’est la simil­i­tude du proces­sus d’ap­pren­tis­sage ça ne s’ap­prend pas. On peut appren­dre les prières et les rites, mais pas la sain­teté. Alors : oui, « les hommes racon­tent des his­toires », et ce n’est pas une mince dif­férence, mais l’ac­teur, même le plus épique, même le can­tas­to­rie, fait encore autre chose. Il met ses pieds et ses mains dans cer­taines posi­tions, il par­le comme on ne par­le jamais dans la vie et, dans cer­tains styles de théâtre, de telle sorte qu’on dise qu’il joue « naturelle­ment », il fait beau­coup de choses très dif­fi­ciles que per­son­ne ne doit voir, et d’autres qu’il mon­tre à tous. Par­fois on dit qu’il est « pos­sédé » mais, même dans le style le plus détaché, dans son corps c’est la voix d’un autre qui se fait enten­dre, et par­fois celle d’une mul­ti­tude … Appren­dre « ça » dif­fère de toutes les autres for­ma­tions.

Un écrivain, par exem­ple, et aujour­d’hui un cinéaste, étu­di­ent, créent, donc par­lent, au sein d’un champ gni, du point de vue d’un mor­tel, a les dimen­sions de l’u­ni­versel. Tout écrivain peut étudi­er ses ancêtres créa­teurs en remon­tant au moins jusqu’à la Bible. Un auteur aus­si mod­erne que Pierre Guy­otat prend évidem­ment en compte l’écri­t­ure biblique aus­si bien qu’il béné­fi­cie des aven­tures de Joyce à tra­vers FINNEGANS WAKE. Il intè­gre ain­si en un geste créa­teur per­son­nel plusieurs mil­liers d’an­nées d’ex­péri­ence. Cette con­nais­sance existe aus­si à tra­vers l’e­space. Tu sais Claudel influ­encé par les Japon­ais, ou Brecht par la « série noire » améri­caine. Et la promesse du retour existe : on peut étudi­er Duras à Tokyo et New-York, les livres y parvi­en­nent. Même pour l’au­teur « mau­dit » la promesse existe, dans l’acte même d’écrire matérielle­ment, que la trace puisse être un jour recon­nue. Ain­si, sous la parole de Duras, con­sub­stantiel à ses phras­es faites de souf­fle et de mou­ve­ments sub­tils de langue et de glotte, quelque chose de dur résonne qui dit : « Par­lant depuis des siè­cles, j’énonce en cet instant pour un vaste prochain et pour les siè­cles des siè­cles ».

Ne crois pas que j’ex­agère. S’ils ne pen­saient … Non, s’ils ne sen­taient pas ain­si, vis­cérale­ment, je ne crois même pas que l’acte d’écrire leur serait une ten­ta­tion. La « néces­sité », le besoin irré­press­ible, la voca­tion d’écrire, celui qui s’y con­sacre n’en perçoit que l’oblig­a­tion intérieure à l’in­stant, mais elle ne le saisir­ait pas sans le savoir implicite qu’il a de la con­di­tion d’écrire, qui est pré­cisé­ment celle-là.

Et le cinéaste, c’est pareil ?

Non, évidem­ment, mais cela ils le parta­gent. Tout le ciné­ma, de Mélies à Godard, de Ver­tov à Jar­musch, est con­naiss­able par expéri­ence directe. Les films sont là. Le corol­laire aus­si, toute oeu­vre peut espér­er une recon­nais­sance con­tem­po­raine ou ultérieure, proche ou étrangère. Et donc, tout autrement, si on le force à par­ler (mais c’est déjà très dif­férent de l’écrivain, plus biaisé dans le recours aux mots), le cinéaste par­le dans l’or­dre des Tables de la Loi. Qu’il bégaie n’y change rien.

Alors, une fois de plus, vous ne dif­féren­ciez l’ac­teur que par le car­ac­tère éphémère de son art ?

Pas du tout. Tu as déjà oublié le début de notre con­ver­sa­tion … Mais que son art soit défini­tive­ment situé dans l’ici et le main­tenant, voilà une évi­dence bru­tale dont nous ne sommes pas si nom­breux à éplucher les con­séquences. Retourne au plus sim­ple pense à tous ces jeunes acteurs que tu as for­més. À com­bi­en de généra­tions pou­vaient-ils se référ­er, par expéri­ence directe, pour ten­ter d’in­scrire leur créa­tion pro­pre ? Un acteur de vingt ans peut, au mieux, voir jouer quelqu’un de l’âge de Minet­ti. Marie Mar­quet avait con­nu les grands acteurs du XIXe siè­cle et nous avons vu Marie Mar­quet. La trans­mis­sion au deux­ième degré ne remonte pas au-delà. Ain­si l’art de l’ac­teur dont les racines plon­gent au-delà de l’écrit et peut-être au-delà de la tra­di­tion orale laisse-t-il chaque généra­tion dans la con­nais­sance la plus étroite de son héritage spé­ci­fique. Or, comme tu le sais, aucun autre art n’a davan­tage besoin de l’ex­péri­ence directe. Le texte de Sopho­cle est acces­si­ble tel quel. Rien des acteurs de l’époque ne sub­siste, rien de leur art, sinon ce qu’on croit en pressen­tir au tra­vers des textes, des masques, des bribes de témoignages et des résidus d’ar­chi­tec­ture. Une exas­péra­tion du désir, le meilleur usage qu’un acteur puisse en faire. Et dans cette étude, il com­prend très vite que son art per­son­nel con­naî­tra le même sort. Pas de deux­ième chance, pas de signe dans les siè­cles des siè­cles.

Le ciné­ma a changé les don­nées l’ac­teur fait désor­mais par­tie des arts de la trace, non ?

Lui, oui … mais pas son art ! Réfléchis bien à cela. D’ailleurs, aus­si scan­daleux que cela te paraisse, je dirai que le ciné­ma n’a pas besoin d’ac­teurs. Pas du tout. Que de vrais acteurs s’y soient illus­trés, j’en con­viens, mais je pro­pose de laiss­er tomber la ques­tion du ciné­ma ce soir. Tu ver­ras après si c’est un pur arti­fice ou non …

Le con­fine­ment dans l’e­space est de moins en moins strict ; les troupes voy­a­gent, et d’ailleurs ne l’ont-elles pas tou­jours fait ?

Ah oui ! La belle his­toire, encore à écrire, des malen­ten­dus. Celui d’Ar­taud avec les Bali­nais, inspi­rant, et celui, stérile et réduc­teur, du pub­lic français avec les comé­di­ens ital­iens quand ils sont revenus au XVIIIe siè­cle. Oui, on voy­age, et par­fois cela donne des choses. Gro­tows­ki, Bar­ba, Schech­n­er, ont beau­coup étudié les Ori­en­taux. La fin des Ori­en­taux très exacte­ment puisque même le Kathakali ou l’Opéra de Pékin sont ren­dus minori­taires par la cul­ture urbaine, dont le ciné­ma, et ils en sont sec­oués de l’in­térieur dans leur lan­gage même. Mais si la cir­cu­la­tion d’in­flu­ences est plus grande, la créa­tion d’un acteur n’est tou­jours acces­si­ble qu’à quelques dizaines de mil­liers de per­son­nes répar­ties sur deux ou trois généra­tions et sur quelques con­ti­nents, dans les grands cas. Par con­tre, l’im­age de syn­thèse per­met déjà d’en­vis­ager de nou­veaux films avec Bog­a­rt ou Mar­i­lyn et, pourquoi pas ?, de les faire couch­er ensem­ble ! Que le ciné­ma puisse se pass­er des acteurs et que le théâtre …

Vous ne divaguez pas un peu, non ?

Soit. Alors voici l’essen­tiel si, en Occi­dent, l’art de l’ac­teur, resté le plus archaïque de tous, s’ap­puie sur une con­nais­sance directe très étroite, et une con­nais­sance indi­recte (livres, pho­tos, traces divers­es) indis­pens­able mais insai­siss­able dans ses effets réels, alors, mon fils, le théâtre reste néces­saire­ment le dernier endroit où l’ap­pren­tis­sage pro­fes­sion­nel tran­site par ce très vieux sys­tème la rela­tion Maître-Élève.

Même s’il s’ag­it par­tielle­ment d’un leurre, même si, dans les plus mau­vais cas, c’est d’une util­ité pure­ment sym­bol­ique, le Maître est chargé par l’Élève d’in­car­n­er pour lui cent mille généra­tions d’ac­teurs à jamais incon­naiss­ables.

Face à ce para­doxe con­sti­tu­tif de son art « Rien pour toi d’essen­tiel ne peut être appris d’autrui que par expéri­ence directe ; or, l’art de ceux qui t’ont précédé est mort avec eux », l’ac­teur n’a de ressource qu’à se remet­tre entre lé!s mains d’un Maître qu’il investit de la fonc­tion suiv­ante : « Toi, je puis te ren­con­tr­er vrai­ment, sois pour moi le signe de tous ceux qui nous ont précédés. Apprends-moi ».

Alors, bien sûr, il n’y a pas qu’une manière d’in­ter­préter cette pre­mière fic­tion où s’in­scrivent Maître et Élève, d’où les dif­férentes « méth­odes » … mais retiens bien ceci : si le Maître se dérobe à cette dis­ci­pline, s’il feint — lâche ou pré­ten­tieux — de jouer un autre rôle (copain plus expéri­men­té, par exem­ple, ou inverse­ment exem­ple à copi­er servile­ment), ou si l’Élève est assez sot pour ne pas recon­naître qu’en se con­sti­tu­ant Élève il s’est situé d’emblée dans ce rap­port d’in­vesti­ture d’un Maître, alors rien ne peut s’ap­pren­dre. Rien de vrai, de vivant, rien d’ « artis­tique » comme dis­ait Stanislavs­ki. Il n’y a pas d’ex­cep­tion à cette règle. D’ex­cel­lents spec­ta­cles sont portés par des col­lec­tifs, avec tou­jours cepen­dant une dis­tri­b­u­tion iné­gale du pou­voir, et il s’y apprend des choses. Oui. Mais pas la for­ma­tion de base d’un acteur.
Jamais.

En admet­tant votre point de vue, à quoi se ramène une bonne rela­tion Maître-Élève aujour­d’hui ? Je veux dire qui ne peut rester sem­blable à celle, absolue, des maîtres ori­en­taux, ni même à celle pra­tiquée à l’époque de Jou­vet ?

Pour moi, ce qui ne change pas c’est ceci l’Élève doit se taire, le Maître ne doit pas par­ler.

Mais dans vos cours, nous par­lions beau­cottp, tous !
Et vous encore plus !

Pas tou­jours. Sou­viens-toi …

Oui, il y avait ces grands ate­liers « Hic et Nunc » de plusieurs semaines où nous n’avions pas droit à la parole. Mais vous les annon­ciez juste­ment comme des péri­odes excep­tion­nelles, où cette dic­tautre nous oblig­eait à faire énergie de tout ce qui nous arrivait sans pou­voir nous en débar­rass­er par aucun entre­tient sécurisant. C’é­tait l’ex­cep­tion !

L’ex­cep­tion n’é­tait qu’une forme con­cen­trée de la pra­tique plus quo­ti­di­enne de notre rela­tion. C’est très para­dox­al, mais le fond de l’af­faire c’est que si vous par­liez, j’é­tais extrême­ment atten­tif à vos paroles mais que jamais, en réal­ité, vous n’y aviez « droit » …

Je vois que tu ne com­prends pas. Prenons-le autrement. Le Maître n’en­seigne pas au sens trans­met­tre un savoir acquis. Ça, c’est pour les for­ma­teurs de singes. Son rôle c’est plac­er à chaque moment l’Élève dans une épreuve (au sens très fort, où l’on peut se bris­er), et lui don­ner une chance de s’en sor­tir par lui-même. Je veux dire en étant dans la con­trainte impéra­tive de créer ses pro­pres moyens de s’en sor­tir, donc d’as­sim­i­l­er réelle­ment l’épreuve. Dans ce sens, je te le dis en sachant très bien toutes les ambiguïtés que cela éveille aus­sitôt c’est un proces­sus voisin de l’ini­ti­a­tion.

Ils te l’ont tous répété les rites ini­ti­a­tiques des sociétés non-fos­sil­isées ne sont pas des séries d’actes à repro­duire. C’est une véri­ta­ble épreuve où l’on peut mourir et où, si votre for­ma­tion a été bonne, une chance existe de trou­ver la réponse, c’est-à-dire l’acte juste.
Une iden­tité.

Ce qui dif­féren­cie notre appren­tis­sage de ces ini­ti­a­tions, c’est qu’un rit­uel d’épreuves fix­es, iden­tiques pour tous, n’a aucun sens pour la for­ma­tion de l’ac­teur. Il faut même, au con­traire, créer des sit­u­a­tions où c’est l’ac­teur qui décide du degré de risque auquel il con­sent. Avec un Maître, il sait que le choix d’un risque inférieur à ses capac­ités le dis­qual­i­fierait plus que tout échec.

Le jar­dinier d’ac­teurs sait bien qu’on ne fait pas pouss­er les fleurs en tirant dessus. Il fonde son pari là dessus parce que c’est vrai : « Tu sais plus que tu ne sais. Il y a plus en toi, acteur, et c’est la meilleure part, que ce que tu peux ten­ter d’en dire. « Le prob­lème n’est donc jamais de « dire » mais de bien « chevauch­er le tigre ». C’est-à-dire d’in­ven­ter au fur et à mesure les règles de maîtrise de ce qui nous mène et qu’on ne con­naît pas, qui pour­rait vous détru­ire, qui doit ris­quer de vous détru­ire, et qu’on sur­passe sans cesse.

Je dis : « Il y a dans la mémoire de tes mus­cles et de tes nerfs une part unique, sin­gulière de « l’âme his­torique » présente. C’est cela, non pas le tal­ent, mais ton tal­ent ».

Celui qui n’aide pas l’ac­teur à accouch­er pro­gres­sive­ment, toute sa vie, de cela, ne l’aide pas à le décou­vrir et le dévelop­per ensuite par lui-même (grâce à d’autres tech­niques), celui-là ne forme pas d’ac­teurs.
D’ailleurs …

Excusez-moi, mais je reviens sur quelque chose dont vous avez fait image tan­tôt, je ne sais pas jusqu’à quel point. La for­ma­tion de l’ac­teur n’im­plique pas le dan­ger mor­tel ?

Oh si, bien sûr. Je ne par­le pas de ceux qui se tuent, il y en a, mais je trou­ve mor­tel, pour un vrai tal­ent, le risque d’a­ban­don­ner ou de pren­dre la voie du trich­er tou­jours. Entre son désir con­sti­tu­tif de recon­nais­sance publique et l’amour du théâtre, la voie étroite et sou­vent obscure, l’ac­teur qui n’ap­prend pas bien peut devenir fou, ou aigri, ce qui est aus­si une « mort ».

C’est pourquoi vous com­men­ciez tous vos dis­cours d’ac­cueil aux nou­veaux élèves par le fameux : « Il est encore temps de par­tir » ?

Hmm … Une ficelle un peu grosse, je le recon­nais. Mais enfin, déjà une petite « épreuve ». Au reste, j’au­rais mieux fait de ne rien dire. À quoi sert d’an­non­cer à un débu­tant que sta­tis­tique­ment, le plus prob­a­ble, c’est le chô­mage ? C’est vain. Il le sait, mais il ne le croit pas. Tu vois, dès que le Maître doit par­ler, c’est qu’il y a une insuff­i­sance dans son art d’en­seign­er.

Bon. Allons‑y. Le maître ne par­le pas. Que fait-il, alors ?

Il fait en sorte que, pour la vie entière, tout, pour l’ac­teur, soit tou­jours « comme si » c’é­tait la pre­mière fois.

« Comme si » … Le tra­vail sur la mémoire intérieure de Stanislavs­ki ? Revivre les émo­tions les plus orig­inelles pos­si­bles ?

Non. Ou plutôt, pas seule­ment… Mon pro­pre Maître dis­ait sou­vent : « Stanislavs­ki n’a pas tout dit, tout exploré, mais il a tout si tué ».
Son idée était qu’il nous arrive bien de décou­vrir et d’ex­plor­er quelque chose de nou­veau, mais tou­jours à l’in­térieur de la géo­gra­phie insti­tuée par Stanislavs­ki. C’é­tait très restric­tif, mais générale­ment vrai à cet endroit du monde. Sim­ple­ment, à mon usage, je me suis fixé deux tâch­es.

À jamais la pre­mière fois, j’y reviens. C’est le grand tra­vail sur les émo­tions.
Ne te méprends pas, j’y inclus tout ce qui con­cerne l’ob­ser­va­tion, la repro­duc­tion-trans­po­si­tion du réel. Si tu prends les exer­ci­ces de Bertolt Brecht sur le jeu nar­ratif, ils ont d’o­rig­i­nal le priv­ilège qu’ils accor­dent à la repro­duc­tion styl­isée du « réel ». Mais ce qui fait qu’un acteur te touchera suff­isam­ment en pro­fondeur pour que cela t’ « étonne » jusqu’à te faire réfléchir, pour que l’effet‑V fonc­tionne, cela passe néces­saire­ment par la qual­ité émo­tion­nelle de ce qu’il a ressen­ti en obser­vant, d’abord, en le rejouant dans son corps et sa voix, ensuite. Si cette fraîcheur dis­paraît, il reste la démon­stra­tion laborieuse, pas le théâtre. Bertolt Brecht était un sen­suel de l’in­tel­li­gence. Que les choses restent vivaces en toi « comme si » c’é­tait la pre­mière fois, cela passe par la plongée de l’Élève dans des expéri­ences très douloureuses.
Prin­ci­pale­ment.

Dans vos cours, vous par­liez sou­vent du plaisir …

Y a‑t-il un plus grand plaisir que les alexan­drins de Phè­dre, pour­tant expi­rante ? Y a‑t-il rien de plus douloureux que les pitreries de Sganarelle ten­tant de con­jur­er l’impiété de Don Juan ? Que l’art, c’est-à-dire la maîtrise incer­taine, tran­scende tou­jours une grande souf­france, c’est une banal­ité. Mais dans la péd­a­gogie, ce n’est pas vrai­ment admis. Dis­ons même de moins en moins.

Et la deux­ième grande tâche du Maître, c’est quoi ?

D’abord je voudrais que tu com­prennes bien le pre­mier point. Tout ce que cela implique de physique. Quel intérêt de veiller à la relax­ation, par exem­ple, si ce n’est pas pour favoris­er cette éter­nelle fraîcheur de la pre­mière fois ? Les corps blo­qués n’ex­posent que leur pro­pre tra­vail. Pense à tous ces acteurs qui se dépensent sur scène et dont le pre­mier mes­sage, avant les vraies larmes qu’ils versent ou les cris qu’ils poussent, tient sim­ple­ment à ceci : « J’es­saie de faire le mieux pos­si­ble ». Rien n’est plus insup­port­able.

Mais juste­ment, dans le moment où les choses advi­en­nent « pour la pre­mière fois », on ne les maîtrise pas. La joie, la souf­france ou la sur­prise vous empor­tent. Il n’y a pas d’in­tel­li­gence de l’ex­péri­ence. Un théâtre des « pre­mières fois », n’est-ce pas une suc­ces­sion d’ag­i­ta­tions stériles ?

Bien sûr. Nous savons qu’il s’ag­it d’une fausse pre­mière fois mais « comme vraie ». Toute pro­por­tion gardée, mais je n’iro­nise pas, il faut enten­dre l’ap­pel de celui qui dis­ait : « Si vous ne devenez sem­blables à ces petits enfants … » Dans l’en­fance, sans avoir la maîtrise de ce qui arrive, l’être doit sur­vivre. L’en­fant n’est jamais prêt. Le gosse de qua­tre ans bat­tu par un par­ent sadique n’est pas « prêt ». Celui qui perd sa mère très jeune n’est pas « prêt ». Celui qui tombe à dix ans amoureux d’un pro­fesseur dont les ori­en­ta­tions per­son­nelles vont peutêtre con­di­tion­ner toute sa vie non plus … Vont-ils en mourir ou inté­gr­er l’épreuve ? Rien n’est plus ennuyeux que ces spec­ta­cles où tout le monde est « prêt ». Ils ne sont évidem­ment « prêts » à rien puisque rien d’in­con­nu n’est à affron­ter. Tout est der­rière eux. Ce qui est à pleur­er c’est qu’en ce cas pré­cisé­ment on ose dire qu’ils ont du « méti­er ».

Ce que vous venez d’ex­pli­quer, ça s’ap­plique vrai­ment à toute la for­ma­tion de l’ac­teur ? N’y a‑t-il pas des par­ties pure­ment tech­niques ?

Aucune. Je vais te don­ner un exem­ple qui a une impor­tance con­sid­érable dans la for­ma­tion dite « tra­di­tion­nelle » : la dic­tion. Le but de l’ap­pren­tis­sage de la dic­tion n’est pas du tout de par­ler expres­sive­ment une langue pure, mais de faire en sorte que la langue à jamais soit neuve dans la bouche de l’ac­teur. À jamais la langue « comme pour la pre­mière fois », voilà le but. Pour cela, il faut une « pre­mière-fois-de-la-langue » dans la bouche de l’ac­teur. Une révéla­tion éton­née des pou­voirs du verbe, par sa bouche à lui. Alors, bien sûr, ce ne peut être celle de sa nais­sance, de son enfance, de l’habi­tude. Pour qu’une « pre­mière fois » existe, il faut défaire dans l’art de jouer la langue acquise et trou­ver cette autre langue, arti­fi­cielle mais si proche, qu’on par­le sur la scène.

En défaisant les impuretés, les lim­ites res­pi­ra­toires, les con­trac­tions, en élar­gis­sant la tes­si­ture, etc., on crée des chances pour une autre vérité de la langue dans les organes de l’Élève. Dans les tra­di­tions ori­en­tales, c’est plus clair — comme pour les chanteurs. En Europe, une part impor­tante du méti­er con­siste à par­ler « comme si » c’é­tait dans la vie quo­ti­di­enne, alors la créa­tion d’une « pre­mière fois de la langue » est plus déli­cate. Mais sans elle, pas d’art, pas d’ac­teur. Les voix de Sarah Bern­hardt, de Jou­vet, de Cuny, de Blin ou de Bou­quet sont d’éter­nelles « pre­mières fois », comme le masque lorsqu’il est réus­si, c’est-à-dire tran­scendé par l’ac­teur qui l’ac­cepte.

La capac­ité de recréer la « pre­mière fois » était pour vous une des deux grandes tâch­es du maître, la …

Cela s’ap­plique à lui aus­si, évidem­ment !
Méfie-toi de tout ce que je dis ce soir. Rien de tout cela ne peut te servir directe­ment. Bien sûr, tu as avan­tage à imiter d’abord. La vieille pra­tique des pein­tres qui con­sis­tait à faire copi­er les élèves n’est pas sans per­ti­nence. Copi­er c’est non seule­ment imiter, mais c’est surtout mesur­er sa dif­férence. Tu peux copi­er, c’est utile. Mais tu ne peux rien repren­dre. Main­tenant que tu enseignes à ton tour, je te le dis tu n’en­seign­eras jamais rien mieux que ce que tu décou­vres en même temps que ton élève.

Et la sec­onde grande tâche ?

C’est faciliter l’in­tel­li­gence his­torique. Oui.
N’ayons pas peur.

Au sens marx­iste, comme Bertolt Brecht ?

Si tu veux, mais il ne faut pas le déranger pour ça. Il y a des acteurs très pop­u­laires qui sont de bons acteurs, ils illus­trent générale­ment des types soci­aux assez pré­cis et leur suc­cès vient de la recon­nais­sance de cette typolo­gie par le pub­lic.

Met­tons Bourvil, par exem­ple. S’il n’y a pas d’in­tel­li­gence his­torique de leur art, s’ils lais­sent donc l’outil expres­sif dans l’é­tat où ils l’ont trou­vé, leur « oeu­vre » ne peut inspir­er. Leurs per­son­nages meurent avec eux, et c’est très bien ain­si.

Qui, par exem­ple, n’a pas fait cela ?

Tous ceux qui ont lié leur créa­tion à celle d’une nou­velle aven­ture du théâtre. On peut admir­er Bourvil, on ne s’en inspire pas. L’ac­teur avant ou après lui, c’est pareil. Pour s’en­gager dans la même voie que lui, il n’y a pas besoin de lui. Un acteur de ce type dira qu’il aimait Bourvil ou Fer­nan­del, mais s’il repre­nait leur « oeu­vre » le suc­cès pop­u­laire ne serait même pas au ren­dez-vous. Il n’en va pas de même pour Karl Valentin, pas entière­ment. L’in­tel­li­gence his­torique … Et il n’en va pas de même pour Dario Fo, Julian Beck, Hélène Weigel, ou Richard Cies­lak.

Que l’in­tel­li­gence his­torique d’un acteur passe par la réflex­ion sur les con­di­tions générales de pro­duc­tion de son art, cela ne lui est pas pro­pre. Mais plus que pour les « artistes de la trace » cela implique sa par­tic­i­pa­tion à une aven­ture fon­da­trice.

Est-ce qu’il n’y a pas un grave dan­ger à un enseigne­ment qui pre­scrive aux acteurs une telle ambi­tion ? Après avoir suivi vos cours, plusieurs se sont lancés dans la fon­da­tion de petits théâtres « créa­teurs ». La plu­part ont dis­paru très vite et sans laiss­er, non plus, de traces.

Qui peut dire avec cer­ti­tude où resur­gi­ra la « trace » ou l’ « ombre » dont par­le Euge­nio Bar­ba ? 1
Si ceux-là devaient ne pas laiss­er de trace dans une pra­tique autonome, je doute qu’ils eussent été plus doués pour le théâtre « tra­di­tion­nel » … J’ai for­mé aus­si quelques acteurs qui s’ac­com­mod­ent par­faite­ment du sys­tème dom­i­nant. J’en con­nais qui jouent presque unique­ment du vaude­ville, et très bien. Je ne crois pas qu’ils aient à se plain­dre des jours où je leur ai jeté dans les pattes Hein­er Müller ou Peter Brook. Les meilleurs sont restés assez mali­cieux.

Alors, vrai­ment, vom n’avez jamais tué per­son­ne ? ( Ici, le vieux fit une longue pause. Pen­dant cette minute, je ne sus pas exacte­ment s’il ménageait un effet ou si, réelle­ment, il se recueil­lait pour une réponse méditée. Il avait tou­jours su préserv­er une part de caboti­nage séduisant, mais c’est quand on croy­ait le pren­dre sur le fait que l’at­taque la plus vive sur­gis­sait au milieu de toutes vos défens­es. Aus­si, jouant mon rôle, je me tus. Finale­ment, il dit : )

Il n’y a rien dans la morale que je me suis bricolée durant toutes ces années qui puisse me préserv­er de tout soupçon. À dire vrai, si l’on prou­vait ma respon­s­abil­ité dans l’échec de ceux qui sont restés sur le car­reau, je ne l’ad­met­trais pas. Mais il me serait tout aus­si dif­fi­cile de la nier. Car, plus grave que tout, m’ap­pa­raî­trait la faute de l’in­dif­férence de notre ren­con­tre, à eux et à moi. Aus­si, sans doute parce que je ne suis pas encore aus­si vieux que tu le crois, c’est-à-dire parce que j’ai encore des pro­jets, je préfère ne pas y penser. Oui, tout sim­ple­ment ce n’est pas impor­tant !

Plis­sant les yeux, il dis­ait cela si grave­ment que je ne pud m’empêcher de rire aux pro­pos de l’e­spiè­gle vieil­lard. Et comme je le ser­mon­nais sur la flex­i­bil­ité exces­sive de sa morale, il voulut répli­quer et brandir un livre.
Non ! dis-je, non ! Vous êtes cuit ! Votts avez avoué ;
Vae vic­tis ! Et toute cette sorte de choses …

Mais je voulais juste te lire une his­toire, dit-il. Elle devrait tem­pér­er ton ent­hou­si­asme. Écoute dans ce petit livre devenu rare, con­sacré à Stanislavs­ki, Nina Gourfinkel rap­porte un sou­venir de Mm, Lioubov Gourévitch venue vis­iter le maître à Moscou en 1920 : « Nous par­lâmes longue­ment de choses et d’autres. Mais lorsque je lui demandai sur quel rôle il se pro­po­sait de tra­vailler, son vis­age s’as­sombrit soudain : « Je ne peux plus abor­der aucun nou­veau rôle … artic­u­la-t-il. Mais vous l’ig­norez encore … » Et il se mit à racon­ter, par sac­cades, qu’en 1917, pen­dant la pré­pa­ra­tion du VILLAGE STEPANTCHIKOVO où il jouait l’on­cle Ros­taniev, tout en tra­vail­lant à la mise en scène avec Némi­tovitch-Dantchenko, ce dernier lui fit une réflex­ion, pen­dant une répéti­tion, après quoi il lui fût impos­si­ble de con­tin­uer à pré­par­er son rôle, et il fut rem­placé par un autre acteur : « Vous com­prenez, je n’ai pas accouché du rôle. Depuis, je ne peux plus jouer » — Je l’en­tends encore pronon­cer ces mots extra­or­di­naires « Pas accouché du rôle ». Sa voix était sourde, ses lèvres trem­blaient. Même alors, il ne proféra aucun mot dur, aucune plainte à l’adresse de Vladimir Ivanovitch, mais il était impos­si­ble de ne pas éprou­ver son mal, de ne pas sen­tir que son âme avait reçu une blessure inguériss­able. Ni à ce moment, ni plus tard, je n’o­sai le ques­tion­ner … »

Comme tu sais, Némirovitch-Dantchenko et Stanislavs­ki avaient jeté ensem­ble les bases du Théâtre d’Art lors d’une nuit légendaire, le 22 juin 1897. Depuis vingt ans ils tra­vail­laient côte à côte. C’é­tait Stanislavs­ki qui avait crée en 1891 le VILLAGE STEPANTCHIKOVO dans sa pro­pre et excel­lente adap­ta­tion du roman de Dos­toïevs­ki. Le rôle du colonel Ros­taniev était, dis­ait-on, le rôle qu’il préférait de toute sa car­rière d’ac­teur, avec celui du Dr Stock­mann, et il y avait rem­porté un suc­cès con­sid­érable … Or, en 1917, Némirovitch-Dantchenko voulut impos­er à Stanislavs­ki une con­cep­tion rad­i­cale­ment dif­férente du rôle. Au lieu d’un homme pur, noble et bon, il en fit un vieux butor de sol­dat en retraite. Stanislavs­ki en fut pro­fondé­ment blessé mais fit l’im­pos­si­ble, de tout son tal­ent, pour y par­venir. En vain. À la veille de la pre­mière, Némirovitch-Dantchenko le fit rem­plac­er. L’ac­teur Ver­bit­s­ki racon­te : « Lorsque, après la générale du VILLAGE STEPANTCHIKOVO, Némirovitch-Dantchenko reprit à Stanislavs­ki le rôle du colonel Ros­taniev pour le con­fi­er à Mas­sal­iti­nov, les acteurs, hor­ri­fiés, ret­inrent leur souf­fle dans l’at­tente de ce qui allait se pass­er… Et bien, il ne se pas­sa rien. Sans profér­er un mot, Stanislavs­ki se soumit à l’au­torité du met­teur en scène, bien qu’il con­sid­érât le per­son­nage du colonel comme son meilleur rôle … Nous n’en­tendîmes de lui ni mur­mure ni protes­ta­tion ».

Et une autre actrice, Madame Bir­man, com­plète ain­si l’his­toire : « Un sou­venir encore, le prin­ci­pal Con­stan­tin Ser­gueïévitch, com­plète­ment maquil­lé, répé­tait le rôle du colonel Ros­taniev. Quelque chose pesait lour­de­ment sur son tra­vail. Au cours des générales, il fai­sait retarder le lever du rideau il pleu­rait. Impos­si­ble d’ou­bli­er ces larmes. Bien qu’il eût paru dans plusieurs générales, ce n’est pas lui qui joua ce rôle ».

Est-ce que tu sais le plus beau ? Aucun des deux hommes ne souf­fle un mot de cet inci­dent dans ses sou­venirs et tous les témoins attes­tent qu’ex­térieure­ment, en 1920, leurs rap­ports sem­blaient inchangés. Pour­tant, durant ces trois années, Stanislavs­ki avait refusé de créer tout nou­veau rôle, et sa voix trem­blait encore en racon­tant l’in­ci­dent à sa vis­i­teuse …

Je n’ai jamais pu lire cet épisode sans que les larmes ne me vien­nent, de manière incon­trôlable. Non pas, tu t’en doutes, dans un api­toiement quel­conque sur les mal­heurs de la créa­tion stanislavski­enne, mais dans le trem­ble­ment qui nous saisit à l’ap­proche de quelque chose de véri­ta­ble­ment grand. Comme si, dans cette his­toire, l’essen­tiel, indi­ci­ble, se dis­ait sur l’art de l’ac­teur, que rien ni per­son­ne ne pour­rait for­muler mieux qu’en rap­por­tant cette fable, d’un échec.

Il n’y avait plus rien à écouter et je pris rapi­de­ment con­gé. Filant par le jardin, je glis­sai encore un oeil dans la bib­lio­thèque le vieux avait ral­lumé la télévi­sion … Dans la nuit froide et belle, une fois de plus, je n’avais rien à faire. Absol­u­ment rien. Je con­nais­sais par coeur la fin de l’his­toire :

Le 7 août 1938, jour de sa mort, Stanislavs­ki, à demi­con­scient, deman­da soudain : « Mais qui donc s’oc­cupe de Némirovitch-Dantchenko ? Il est main­tenant comme une voile blanche soli­taire 2 … N’est-il pas malade … Ne manque-t-il pas d’ar­gent ? ».

  1. Euge­nio Bar­ba, LOMBRE D’ANTIGONE, in L’Art du théâtre, n” 7, 1987. ↩︎
  2. Vers de Ler­mon­tov. ↩︎
Ce texte est paru une pre­mière fois en ver­sion réduite dans la revue L’Art du Théâtre n° 8 « Le met­teur en scène en péd­a­gogue » sous le titre LE JARDINIER, Actes Sud, Paris 1988.

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Jacques Delcuvellerie
Jacques Delcuvellerie a fondé le Groupov en 1980. Metteur en scène et théoricien, il enseigne...Plus d'info
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