Matériaux pour le théâtre

Théâtre
Parole d’artiste
Réflexion

Matériaux pour le théâtre

Le 12 Déc 2009
PHILOSOPHIE DE LA NAISSANCE, Collage de Pauline Louis, droits réservés, 2009.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 102-103 - Côté Sciences
102 – 103
Propos sur un plateau

En fait, les straté­gies évo­lu­tives exis­tent, et elles exis­taient bien avant le cerveau. Il y a une intel­li­gence évo­lu­tive dont le cerveau est le pro­duit. C’est d’ailleurs pour ça que le cerveau a évolué. Mais l’homme demeure obsédé par le cerveau, par son ego… Obsédé, oui, alors que le sys­tème qui règle tout ça cor­re­spond à celui de la Reine Rouge qui se définit en fait par la survie : « Pour rester sur place, il faut courir aus­si vite que pos­si­ble ». La survie, par exem­ple, du par­a­site qui se nour­rit d’organismes plus grands lesquels sont une source de nour­ri­t­ure. Ou la survie de l’hôte infec­té grâce au sys­tème immu­ni­taire que Jean-Claude Weill étudie. La sélec­tion se fera donc à par­tir de là et mal­gré ce que l’on peut imag­in­er, mal­gré la sophis­ti­ca­tion que l’on peut imag­in­er, la sélec­tion peut se rap­porter à ce que les Anglais appel­lent « the only game in town ». C’est-à-dire « le seul jeu dans la ville » — le jeu de la survie. C’est le seul jeu impor­tant dans la vie. Aus­si, dans l’histoire de l’évolution des dif­férentes méthodolo­gies et straté­gies pour sur­vivre, les par­a­sites et l’hôte infec­té ont aug­men­té la pres­sion sélec­tive l’in sur l’autre. Exacte­ment comme à l’époque de la guerre froide, pen­dant la course aux arme­ments, entre sovié­tiques et améri­cains. Cette escalade, cette accéléra­tion est pré­cisé­ment le mod­èle qui per­met de penser l’évolution, sa rapid­ité. Ce que je veux dire, donc, c’est que sans dan­ger et sans enne­mis, sans les par­a­sites par exem­ple, il n’y aurait pas eu d’évolution rapi­de. L’évolution tient donc au défi que représente le dan­ger biologique ou physique. Et dans cette his­toire-là, et c’est une provo­ca­tion adressée à Alain Prochi­antz, le cerveau compte pour peu.

Com­ment faire face à un futur incer­tain ?

Cette ques­tion-là est fon­da­men­tale et elle induit un ques­tion­nement sur les straté­gies devant l’inconnu. Stratégie qui est la même pour le virus, le par­a­site ou le sys­tème immu­ni­taire. Stratégie qui ressem­ble étrange­ment à la recherche quand elle s’inquiète de trou­ver une solu­tion. Et bien, la stratégie retenue, quand on ne sait pas com­ment faire, quand on cherche, c’est de génér­er la diver­sité en imag­i­nant beau­coup de choses bizarres. C’est-à-dire que lorsqu’on est igno­rant, on gaspille. Le sys­tème immu­ni­taire gaspille. Par exem­ple, on va pro­duire un mil­liard d’anticorps alors qu’une infime par­tie sera util­isée et donc, est utile. Mais voilà, il aura fal­lu en pro­duire beau­coup plus. Pourquoi ? Tout sim­ple­ment parce qu’on ne sait pas, on ne sait pas lequel de ces anti­corps sera le bon. Donc, on fab­rique énor­mé­ment d’anticorps en espérant qu’il y en ait au moins un qui soit bon. C’est extrême­ment sim­ple non ? C’est exacte­ment comme si vouliez gag­n­er le gros lot à la loterie. Pour gag­n­er, il faudrait acheter tous les bil­lets.

Main­tenant vous com­prenez aus­si que ce type de stratégie ne cor­re­spond pas à la men­tal­ité humaine. L’humain n’aime pas gaspiller. Les ban­quiers et les écon­o­mistes non plus. Mais il faut le dire, et il faut faire l’éloge du gaspillage pour résoudre cer­tains prob­lèmes. Si les ban­quiers et les écon­o­mistes géraient le sys­tème immu­ni­taire, ils ne per­me­t­traient pas un tel gaspillage. Et, vous le com­prenez main­tenant, sans gaspillage, il n’y aurait pas de survie. On serait mort.

Aus­si, ce qui est sous-jacent à notre dis­cus­sion a à voir, peut-être, avec la vie en société, la vie des bêtes… Et ça con­cerne le mécan­isme essen­tiel de l’évolution qui n’est pas étranger à ce que nous faisons ici, avec Jean-François Peyret, quand on par­le de créa­tion artis­tique. J’ai par­lé tout à l’heure de survie. La survie de nos sociétés et plus générale­ment de l’humanité. On voit que cette survie, liée à la diver­sité, passe par le sys­tème immu­ni­taire, par les bac­téries entre autres. Si l’on conçoit les choses de manière plus large, on dira aus­si que la survie passe par la cul­ture. Cette manière que cer­tains ont de faire des petits change­ments sur des choses qui exis­tent. Cette façon dont, par exem­ple ici avec les artistes, on pro­duit des muta­tions ponctuelles qui font que les choses devi­en­nent aptes à sur­vivre à la sélec­tion naturelle ou à la sélec­tion par le goût des clients.

Alors, on doit le répéter, en recherche comme en art, on s’écarte des choses utiles immé­di­ate­ment. Et tout le monde com­prend que si l’on ne fai­sait que des choses utiles immé­di­ate­ment, il n’y aurait pas d’innovations, pas d’évolution. Notre tra­vail à nous, aux artistes aus­si, c’est donc de génér­er et de gér­er l’évolution et la diver­sité, et de l’entretenir. Dar­win a observé tout cela dans la nature. Nous, aujourd’hui, dans nos lab­o­ra­toires, on est capa­ble de génér­er une nou­velle bio­di­ver­sité. On sait le faire. Laiss­er la nature s’occuper de la sélec­tion, de la survie, c’est laiss­er faire la bru­tal­ité de la vie. C’est laiss­er le monde en l’état sans morale, sans éthique et sans esthé­tique. Alors que nous, dans la sélec­tion, on arrive main­tenant à isol­er la solu­tion « gag­nante ». Mais ce qu’il faut préserv­er, c’est le mécan­isme qui crée la diver­sité, et ce mécan­isme du sys­tème immu­ni­taire. Et aucun cerveau ne peut prévoir le futur, aucun cerveau n’est capa­ble de pro­duire ce qu’il faut.

En con­séquence, le gaspillage est un investisse­ment, une assur­ance vie. C’est une manière d’aller à la ren­con­tre de l’imprévisible. Et le tra­vail des chercheurs, c’est de décou­vrir l’impensable. Pas de le décréter ou de faire un pro­jet sur une inno­va­tion impens­able, ça serait idiot. Mais de tra­vailler, comme Curie, Ein­stein, Bec­quer­el… Et savoir que dans ce tra­vail, il n’y a aucun déter­min­isme, aucune Intel­li­gence supérieure. Et être con­scient que ce n’est pas la per­fec­tion que l’on recherche, mais l’efficacité qui saura nous sauver. Car rien dans la nature n’est per­fec­tion, mais tout ce qui survit à la sélec­tion est effi­cace.

Miroslav Rad­man

Pro­pos tenus au cours de la ses­sion « Ani­mal / Pas ani­mal ? » de Ce soir on impro­vise mais c’est cet après-midi, ren­con­tres organ­isées à la Boulan­gerie de la Char­treuse de Vil­leneuve-les Avi­gnon en juil­let 2005. Tran­scrits par Yan­nick Butel.

Miro, Miro, Miro… Sois raisonnable. Le cerveau c’est aus­si une machine à oubli­er. C’est une machine à effac­er. Si on appre­nait tout et que tout était con­servé, on serait idiot. On saurait par exem­ple où on a mis les clés de sa voiture il y a quinze ans. Et savoir ça est totale­ment inutile. Ce que l’on veut savoir c’est où sont les clés main­tenant. Donc, le cerveau est une machine à appren­dre, à oubli­er, à s’adapter. Et on n’oublie pas en élim­i­nant des cel­lules, pas seule­ment. On n’oublie pas en élim­i­nant des réper­toires géné­tiques.

Il faudrait revenir à ce que l’on a pu observ­er là, dans la Boulan­gerie. (Alain Prochi­antz compte les acteurs). On avait com­bi­en de neu­rones ? Six ! On ne peut pas dire qu’ils ont créé telle­ment de réper­toires. Pour­tant ils se sont adap­tés. Peut-être, alors, qu’il y a une autre façon de créer de la diver­sité qui est de fab­ri­quer de l’indéterminé, dès le départ. C’est comme ça que fonc­tionne le cerveau à la dif­férence du sys­tème immu­ni­taire. Car on ne peut créer des neu­rones nou­veaux que dans des endroits lim­ités. Le cerveau, a un côté néoténique. C’est-à-dire que le cerveau est inachevé, ce qui lui per­met de s’adapter en per­ma­nence. Et tout en changeant, il garde la trace de son his­toire, sauf ce qu’il oublie pour de bon. C’est donc un peu dif­férent du sys­tème immu­ni­taire et de la stratégie de gâchis. Peu de neu­rones sont gâchés. On a cru un temps que ça fonc­tion­nait pareil et que les synaps­es ressem­blaient aux anti­corps. On a aus­si cher­ché des enzymes, des neu­rones ter­mi­nales qui recom­bin­eraient les pro­téines des synaps­es. Mais on ne les a jamais trou­vées. Le cerveau fonc­tionne donc autrement, plutôt sur un mode d’adaptation qui repose davan­tage sur sa plas­tic­ité. C’est un organe qui se développe tou­jours et cherche sans arrêt à s’adapter aux sit­u­a­tions nou­velles, en adop­tant des formes nou­velles. D’ailleurs on aurait pu le véri­fi­er avec les six acteurs, « les six neu­rones ». En leur don­nant un autre texte, ils auraient sans doute don­né d’autres formes. Des formes nou­velles sans être for­cé­ment et intrin­sèque­ment très dif­férentes de celles que l’on vient de voir. Ce que je veux imager par-là, c’est que les acteurs ressem­blent davan­tage au cerveau qu’au sys­tème immu­ni­taire. À côté de l’ADN, il y a de l’ADSL. Il y a de la con­nex­ion. Le cerveau, en cela, est une machine très plas­tique et son car­ac­tère non fini, donc indéter­miné, fait que l’on peut appren­dre, retenir ou oubli­er. Et par­fois, alors que l’on croit que tout est effacé, des choses revi­en­nent… Des rêves?.

Les bac­téries pensent. Les plantes pensent. Tout ce qui s’adapte pense d’une cer­taine façon. L’adaptation, en défini­tive, est le rap­port que la pen­sée entre­tient avec le milieu. Main­tenant, les organ­ismes s’adaptent dif­férem­ment. C’est-à-dire que l’on doit dis­tinguer entre les bac­téries, un singe ou un sapi­ens. Prenons le cas d’un ver. S’il fait trop chaud, il va mourir.

Et tous les vers mour­ront. À moins qu’il y ait eu une muta­tion géné­tique. Quelques-uns sur­vivront qui repe­u­pleront le monde des vers, adap­ta­tion, pen­sée col­lec­tive et clonale. Mais dans ce cas-là, il faut qu’il y ait beau­coup de vers pro­duits à chaque généra­tion. Pour l’homme, c’est dif­férent. L’adaptation passe par l’individu, son indi­vid­u­a­tion, l’inventivité tech­nologique aidant. Le futur de l’évolution est du côté de la tech­nique. Il faut réalis­er que les dix mille crétins que nous étions en Afrique, il y a quelques cent mille ans sont aujourd’hui sept mil­liards, alors qu’ils étaient vrai­ment dému­nis, il y a cent vingt mille ans, face aux autres besti­oles, pas ten­dres for­cé­ment. Sans la tech­nique : les lances, le feu, on ne serait pas là. Or ce qui fait que nous sommes-là, c’est que le cerveau a joué un rôle. Je ne veux pas dire que le sys­tème immu­ni­taire n’est pas impor­tant et fon­da­men­tal. Mais ce n’est pas une loi générale de la nature de fonc­tion­ner sur le mode du sys­tème immu­ni­taire et du gâchis.

Et c’est vrai que nous n’avons pas réponse à toutes ces ques­tions. Pas à toutes. Mais pour le cerveau, en l’occurrence, les modal­ités sont prob­a­ble­ment très dif­férentes. Par exem­ple, pour engranger des traces, les modal­ités sont d’ordre synap­tique. Elles procè­dent de l’expérience et de la mémoire que l’on en a. Et puis, il y a des choses aus­si qui sont, face à la nou­veauté, de l’ordre du change­ment de réseau et là le développe­ment a lieu. C’est une sorte d’embryogenèse silen­cieuse, champs mor­phogéné­tiques etc.

Heu… Je ne voudrais pas don­ner l’idée que ça échappe au géné­tique. Cette modal­ité d’adaptation, qui est très spé­ci­fique de l’embranchement des vertébrés et s’est dévelop­pée au max­i­mum chez les vertébrés, reste le résul­tat de la sélec­tion naturelle. C’est-à-dire qu’on a sélec­tion­né des gènes qui nous don­nent des straté­gies de développe­ment qui nous per­me­t­tent de nous adapter sur le plan cérébral. Ces straté­gies sont dites épigéné­tiques. Et tout cela a pris du temps, le temps de l’évolution et prend du temps, celui du développe­ment, pour­suivi chez l’adulte. Mais l’on voit bien que le cerveau, qui ren­con­tre des prob­lèmes d’adaptation comme le sys­tème immu­ni­taire, a dévelop­pé ses pro­pres straté­gies face à la recon­nais­sance du nou­veau et l’adaptation au nou­veau. Et si l’on peut dire que ça repose sur les gènes, on peut aus­si accepter (non?) que la cul­ture, par exem­ple, est une façon de garder et de pass­er les choses de généra­tion en généra­tion. Et alors que le sys­tème immu­ni­taire recom­mence tou­jours tout à zéro, avec la cul­ture, avec le cerveau, on voit bien que ça n’est pas le même mou­ve­ment. Et ça c’est la spé­cial­ité du cerveau, humain par dessus tout.

Alain Prochi­antz

J’ai enten­du ce que l’on dis­ait ce matin, ce qu’il faut com­pren­dre. On peut con­tin­uer de compter les cel­lules, les gènes, étudi­er les séquences ADN afin de voir com­ment ça fonc­tionne tout ça. Mais je crois aus­si qu’il va fal­loir com­pren­dre pourquoi un indi­vidu tombe malade alors que son voisin, sem­blable à lui, résiste à la bac­térie qui l’assaille. Autrement dit pourquoi un indi­vidu fait une tumeur alors que l’autre n’en fait pas. Et peut-être s’inquiéter de ce qui se passe dans le cerveau. Entre le cerveau et le corps, entre le sys­tème immu­ni­taire et l’inconscient ou l’affect. C’est peut-être ça la biolo­gie théâ­trale du XXIe siè­cle.

Ce matin, dans le train avec Miro, on dis­cu­tait de ça comme deux com­mères qui par­lent tri­cot. Et devant nous, sans qu’on y prenne garde, il y avait une dame qui lisait un livre. J’avais l’impression que nous la déran­gions. Soudain, elle nous a dit : « Je voudrais vous deman­der con­seil parce que j’ai une leucémie myéloïde ». En fait, elle voulait savoir pourquoi elle avait cette leucémie. Pourquoi elle, et pas plutôt sa voi­sine. Elle voulait savoir ce qui s’était passé… Cette his­toire me fait penser à ce qui arrive dans le sys­tème immu­ni­taire et c’est de ça dont je veux par­ler.

Le sys­tème immu­ni­taire choisit de faire des struc­tures à l’infini avec les vingt ou trente mille gènes que l’on pos­sède. Pen­dant le développe­ment de chaque cel­lule du sys­tème immu­ni­taire, il y a ce que l’on nomme des remaniements chro­mo­somiques. C’est-à-dire que de façon pro­gram­mée, les cel­lules lym­phoïdes qui sont pro­duites tous les jours par la moelle osseuse – et il faut savoir que 75 % de ces cel­lules sont élim­inées tout de suite parce que les struc­tures ne sont pas adéquates ou qu’elles attaque­nt le corps qui les élim­ine –, donc ces cinq mil­liards de cel­lules, pour qu’elles appa­rais­sent, voient leur ADN cassé, recom­posé, réar­rangé de façon très pré­cise. Très pré­cise, car elles doivent présen­ter à la sur­face une « pince » : une struc­ture de recon­nais­sance qui est capa­ble d’identifier quelque chose de dif­férent. Donc, dans notre moelle osseuse, tous les jours, on fab­rique cinq mil­liards de cel­lules (la terre compte seule­ment six mil­liards et demi d’habitants). Cinq mil­liards de cel­lules donc, tous les jours, avec des pinces dif­férentes. Et chaque cel­lule brise l’ADN, et le rec­olle. Et par­fois, évidem­ment, comme lorsque l’on fait le ménage ou la cui­sine, lorsqu’un verre est cassé ou un pot, par­fois donc, il y a un acci­dent. Alors, et on ne sait pas pourquoi, dans une cel­lule – et c’est le cas de la dame – deux chro­mo­somes se rec­ol­lent ensem­ble de façon atyp­ique, hors pro­gramme. Là, en l’occurrence le chro­mo­some 22 va se met­tre avec un morceau du chro­mo­some 19. On a alors une translo­ca­tion nou­velle qui fait que cette cel­lule va se met­tre à pro­lifér­er, à per­dre com­plète­ment la rai­son, à croire qu’elle est toute seule et ain­si à pou­voir être la cible d’autres événe­ments qui pour­ront l’engager vers la trans­for­ma­tion maligne.

Elle est alors méga­lo­mane en quelque sorte et elle envahit tout le corps. Et c’est là qu’apparaît la leucémie. Voilà, main­tenant vous savez à peu près tout ou vous êtes aus­si igno­rant que moi. Le sys­tème immu­ni­taire ne fait face qu’à l’extérieur, aux men­aces extérieures. C’est le seul sys­tème phys­i­ologique qu’on con­naisse aujourd’hui qui prend des risques énormes en com­bi­nant, recas­sant les chro­mo­somes et en faisant con­stam­ment des struc­tures nou­velles. Et par­fois, le prix que l’on paie pour ça s’appelle une leucémie, une tumeur du sys­tème hématopoïé­tique. Une cel­lule sur mille mil­liards, ça arrive. Et c’est assez peu au regard du peu de nom­bre de cas de leucémie myéloïde, du nom­bre de cel­lules et du nom­bre d’individus. (un cas sur cent mille indi­vidus). Et ça se passe dans le silence de l’activité lym­phopoïe­tique, sans qu’on le sache.

Et per­son­ne ne sait encore pourquoi ça se pro­duit chez l’un plutôt que chez l’autre. Ce que l’on sait en revanche, c’est que le sys­tème immu­ni­taire ne recon­naît que les agresseurs extérieurs. Pas ceux qui vien­nent de l’intérieur. Le but du Sys­tème immu­ni­taire c’est de sur­veiller l’extérieur et non de s’attaquer à l’intérieur. Il y a donc 75 % des cel­lules qui dis­parais­sent et 25 % qui se baladent dans l’organisme, vivent quelques jours ou semaines. Et ces 25 % fonc­tion­nent comme des patrouilles de CRS nou­velle­ment for­mées qui assurent la sur­veil­lance et obser­vent s’il n’y a pas un intrus : une bac­térie, un virus.

Et il faut imag­in­er que les virus et les bac­téries sont malins et très intel­li­gents. Ils évolu­ent. C’est assez incroy­able, mais dès qu’ils entrent dans l’organisme et qu’ils se divisent, ils inven­tent des tas de mécan­ismes molécu­laires au niveau de leur ADN. Si vous voulez, à par­tir d’un microbe intro­duit à l’intérieur, ils fab­riquent des microbes dif­férents. Ce qui fait que le sys­tème immu­ni­taire con­tre-attaque mais que sans arrêt l’ennemi mute, se trans­forme, fuit et lui échappe. Et vous savez qu’il suf­fit d’un virus ou d’une bac­térie pour que l’organisme soit attaqué et men­acé. Alors, je crois que Miro a peut-être rai­son quand il par­le du cerveau. Mais le cerveau, c’est aus­si celui qui vient en aide à un sys­tème immu­ni­taire par­fois pas assez pré­paré pour les com­bats. Et le cerveau se présente sous la forme des antibi­o­tiques et des médica­ments que l’homme fab­rique pour faire face aux agresseurs. Le cerveau ou le David du com­bat…

Enfin, et je n’oublie pas la dame du train, mais la mal­adie la plus grande, la plus infec­tieuse, ce n’est pas le can­cer, ça n’est pas alzeimer, c’est l’ennui. C’est la mal­adie la plus cru­elle et elle frappe une majorité de la pop­u­la­tion qui est touchée de manière irrémé­di­a­ble. Et aucune phar­ma­cie ne peut rien con­tre ça. Peut-être alors, quand la fan­taisie a dis­paru, il reste le théâtre.

Jean-Claude Weill

Pour finir encore

Ce numéro s’achève ; on me demande de le con­clure. Si le mot d’ouverture ne s’était gal­vaudé en poli­tique, j’aimerais l’employer pour finir (« finir encore ») parce qu’il qual­i­fie l’attitude qui a été la nôtre, côté théâtre et côté sci­ence, pen­dant toutes ces années : ouver­ture du théâtre sur autre chose que ce qu’il est réputé être par tra­di­tion, sur autre chose que son réper­toire et les affaires humaines qu’il a l’habitude de traiter sur sa scène. Ouver­ture parce que nous avons ouvert notre porte à des gens, – on a par­lé ici prin­ci­pale­ment des sci­en­tifiques –, qui ne l’auraient peut-être pas poussée d’eux-mêmes, pour les intéress­er active­ment (pour les « met­tre dedans », inter­esse) à ce qui s’y passe. C’est ma per­ver­sité comme une autre et pas trop méchante de vouloir attir­er au théâtre ceux qui l’ignorent (sens français et sens anglais) pour redonner du vif à nos sujets (les biol­o­gistes évidem­ment s’y enten­dent), de la même manière que j’aime m’adresser, plutôt qu’à la grande famille de ceux qui vont au théâtre, à ceux qui n’y vont pas. Ça fait du monde.

Georges Banu voy­ait dans TOURNANT AUTOUR DE GALILÉE, je l’ai rap­pelé, un spec­ta­cle tes­ta­men­taire. Ce qui me reste de vie se mobilise, on peut le com­pren­dre, pour lui apporter un ami­cal démen­ti. Stend­hal dessi­nait des petits pis­to­lets en marge du man­u­scrit de la VIE DE HENRI BRULARD, seule sa curiosité pour ce qui allait advenir poli­tique­ment le retenant de se sup­primer. Dans mon cas, et sans paraître trop ridicule, c’est sans aucun doute la curiosité pour ce qui va advenir de notre espèce qui me per­suade de compter encore par­mi ses mem­bres. D’où s’ensuivent deux pro­jets ; le pre­mier, RE : WALDEN qui nous con­duira dans les bois et dans la cabane de Thore­au pour nous deman­der com­ment on peut encore habiter notre planète, et pourquoi après avoir ardem­ment désiré domin­er et être maître de la nature, nous sommes désor­mais enjoints de la sauver. Le sec­ond, NAÎTRE OU NE PAS NAÎTRE s’attaquera aux énigmes anthro­pologiques, para­dox­es exis­ten­tiels, apor­ies juridiques de la pro­créa­tion et de la fil­i­a­tion à l’heure où la tech­nique relaie et com­plique la nature. La fil­i­a­tion ne hante-t-elle pas le théâtre occi­den­tal depuis ses com­mence­ments ? Sou­venons-nous d’Œdipe, médi­tons encore le fameux « mieux vaudrait n’être pas né» ; suiv­ons le fil jusqu’à Strind­berg qui a beau­coup souf­fert de ne pas con­naître les tests ADN (lesquels ne résol­vent pas mais embrouil­lent davan­tage la ques­tion de la pater­nité); arrê­tons-nous à Beck­ett :

Le fils : Pourquoi tu m’as fait ?

Le père : Je ne pou­vais pas savoir que ce serait toi.

On pressent qu’on n’en restera pas là.

Il faut savoir ter­min­er un numéro de revue. Il a été beau­coup par­lé de la ren­con­tre avec les sci­en­tifiques. Qu’ils aient sinon le dernier mot, du moins encore une fois la parole. Et lais­sons-là aux sci­ences humaines. J’ai dit que le dia­logue était plus aisé avec les chercheurs des sci­ences dites dures qu’avec les philosophes, les anthro­po­logues, les soci­o­logues et autres penseurs des sci­ences dites, bizarrement, molles. Les textes qui suiv­ent don­nent un petit aperçu des dif­férentes formes que leur inter­ven­tion peut pren­dre : Jean Lassègue envoie une note après un « salon » (nous appelons ça comme ça) tenu à l’Odéon pour pré­par­er le spec­ta­cle sur Galilée ; Philippe Descamps accepte d’écrire une petite fic­tion, com­mandée sous le coup de la lec­ture de son SACREDE L’ESPECE HUMAINE. Enfin, une con­ver­sa­tion de tra­vail peut s’engager, comme avec Philippe Desco­la, après la décou­verte, hasardeuse et néces­saire, d’un texte dans la bib­lio­thèque mais dont on sait qu’il servi­ra sur un plateau. Il me plaît d’en citer ici la fin pour la pro­fondeur de champ his­torique qu’il ouvre, appelant à la rescousse le vieil Héphaïs­tos pour par­ler de demain. Une ouver­ture en effet.

Jean-François Peyret

Jean-François Peyret, Tournant autour de Galilée

À bâtons rom­pus et hors du plan de l’écliptique, quelques remar­ques à la volée tour­nant autour de Galilée :

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Miroslav Radman est professeur de biologie cellulaire à l’université Paris Descartes et directeur de l’unité...Plus d'info
Jean-François Peyret
Jean-François Peyret est auteur, metteur en scène et traducteur. Il a codirigé avec Jean Jourdheuil...Plus d'info
Philippe Descamps
Docteur en philosophie, poursuivant actuellement ses recherches au Centre de Recherche Sens Éthique Société (CNRS),...Plus d'info
Philippe Descola
Philippe Descola est professeur d’anthropologie au Collège de France et directeur du Laboratoire d’Anthropologie Sociale...Plus d'info
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