Marionnettes à bâtons rompus

Marionnettes à bâtons rompus

Entretien avec Laurie Anderson

Le 18 Nov 2000
SONGS AND STORY FROM MOBY DICK, mise en scène Laurie Anderson, 1999. Photo Ramon Serena.
SONGS AND STORY FROM MOBY DICK, mise en scène Laurie Anderson, 1999. Photo Ramon Serena.

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SONGS AND STORY FROM MOBY DICK, mise en scène Laurie Anderson, 1999. Photo Ramon Serena.
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Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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Richard Squires : Roman Pas­ka voulait avoir votre point de vue sur la mar­i­on­nette et sur le théâtre en général. Il lui sem­blait que vous aviez dit des per­son­nages de Bob Wil­son qu’ils évolu­aient un peu comme des mar­i­on­nettes.

Lau­rie Ander­son : Je suis assez d’accord avec cette idée, mais je ne me rap­pelle pas avoir dit ça. Les per­son­nages de Wil­son m’évoquent d’ailleurs plutôt l’automate que la mar­i­on­nette. Ils font des mou­ve­ments en boucle, des choses répéti­tives, par oppo­si­tion aux gestes de la vie réelle.

D’ailleurs, il y a un mou­ve­ment en boucle que j’ai beau­coup aimé dans un spec­ta­cle de Bob Wil­son. Un Anglais et une Indi­enne, aux deux extrémités de la scène, s’avancent lente­ment l’un vers l’autre. Lui porte un cha­peau mel­on et un para­pluie. Quand ils se croisent, elle tombe. Il la relève très cour­toise­ment, l’aide à se remet­tre debout. Puis ils s’en vont cha­cun de leur côté. À nou­veau, ils avan­cent l’un vers l’autre et elle tombe encore. Il la relève un peu plus vite cette fois. Le même scé­nario se repro­duit cinquante fois. Au bout de vingt-cinq fois, il s’énerve. À la cinquan­tième fois, il la frappe. Cette scène donne une image des rela­tions qu’entretiennent les Bri­tan­niques et les Indi­ens, les hommes et les femmes. Une image très élé­gante… Com­ment la galanterie se trans­forme en bru­tal­ité…

RS.: …quand on doit refaire indéfin­i­ment la même chose.

LA. : Étaient-ils des mar­i­on­nettes ? Je crois que oui, d’une cer­taine façon. En même temps, je trou­ve ces mou­ve­ments super­styl­isés. Mais j’adore les mar­i­on- nettes parce qu’elles font peur à voir. J’en ai beau­coup fab­riqué quand j’étais petite. J’ai com­mencé à m’y intéress­er vrai­ment vers l’âge de douze ans, lors d’un stage de musique. Je fab­ri­quais des mar­i­on­nettes avec des mar­rons, avec des pommes pour les têtes…

Je fai­sais aus­si des petits objets avec la nour­ri­t­ure pour pass­er le temps à table. Encore aujourd’hui, je fab­rique des mar­i­on­nettes avec des boulettes de pain quand je m’ennuie dans les dîn­ers.

RS. : Vous avez mon­té des spec­ta­cles avec ces mar­i­on­nettes ?

LA. : Pen­dant le stage de musique, je me rap­pelle avoir fait une mar­i­on­nette du doc­teur Vadi, le directeur du stage. Elle lui ressem­blait à la per­fec­tion. J’ai mon­té quelques spec­ta­cles de mar­i­on­nettes assez imper­ti­nents. On m’a accusée de man­quer de respect pour le doc­teur Vadi et je me suis fait con­fis­quer la mar­i­on­nette.

RS. : En quoi était-elle ?

LA. : Une pomme pour la tête et le reste sculp­té dans du bois de pin. Je lui avais con­fec­tion­né des vête­ments. C’était une mar­i­on­nette à fils.

RS. : Donc vous tiriez les ficelles.

LA. : Surtout celles du chef d’or- chestre. Parce qu’il était chef d’orchestre. En fait, c’est du dessin ani­mé dans l’espace à trois dimen­sions.

Je vais vous en mon­tr­er une qui n’est pas mal. (Bruits divers.) Il me faut deux ou trois bricoles. Pour celle-là, on prend juste un rouge à lèvres et une servi­ette de table … Voilà. L’horreur ! Une petite créa­ture laide comme un gnome.

RS. : Elle a l’air triste, cette petite dame.

LA. : Je ne sais pas pourquoi elle ressem­ble à une petite dame. Sans doute à cause du cha­peau et du foulard. Et peut-être aus­si à cause de la vilaine petite bouche en cul de poule.

RS. : Vous avez déjà eu envie de mon­ter un spec­ta­cle de mar­i­on­nettes pour un vrai pub­lic ?

LA. : Je n’ai jamais eu de vrai pub­lic. Non, je n’y ai pas pen­sé, quoique… Ce doit être à cause des dimen­sions. En fait, j’ai util­isé des mar­i­on­nettes, ou plus exacte­ment de petits man­nequins. J’avais un man­nequin créé à mon image.

RS. : Celui de la vidéo ?

LA. : Non, un man­nequin dans l’espace à trois dimen­sions. C’était très agréable. Je m’en suis servie pour des per­for­mances à Philadel­phie.

RS. : Pour lui laiss­er faire le tra­vail à votre place ?

LA. : Si on veut, oui. Et puis j’aimais bien le décalage des dimen­sions. Je tra­vail­lais avec un con­tre­bassiste qui était très grand. Quel duo ! Les lumières s’allumaient brusque­ment. On avait ce grand gail­lard de plus d’un mètre qua­tre-vingts qui jouait de la con­tre­basse et cette petite per­son­ne de soix­ante cen­timètres qui jouait du vio­lon, avec des accords dif­férents. (Elle imite un grince­ment de vio­lon.) Seule­ment, je ne suis pas vrai­ment ven­tril­oque. Ce n’était pas trop grave parce que je me cachais der­rière le man­nequin pour le faire par­ler. Il lisait les cri­tiques de la per­for- mance de la veille, blaguait un peu et se met­tait à jouer du vio­lon. Je ne voy­ais pas bien sa bouche, puisque j’étais der­rière. Elle se blo­quait tout le temps en posi­tion ouverte pen­dant que la voix con­tin­u­ait. Comme un grand cri muet : Âââââ !

RS. : Pen­dant ce temps, vous disiez le texte.

LA. : Ces mar­i­on­nettes sont démo­ni­aques, hor­ri­bles, atro­ces.

RS. : Moi, ce que j’aime, c’est qu’au bout d’un quart d’heure, devant un bon spec­ta­cle, on finit par oubli­er que ce sont des mar­i­on­nettes.

LA. : Cela ne m’est jamais arrivé, de voir un spec­ta­cle de mar­i­on­nettes où j’oubliais que j’avais affaire à des mar­i­on­nettes. Je n’ai jamais vu non plus aucune pièce de théâtre où j’oubliais que j’avais affaire à des acteurs.

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Richard Squires
Richard Squires est compositeur et journaliste à Washington.Plus d'info
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