Chronologie du Work in Progress

Chronologie du Work in Progress

Le 23 Avr 2001
Jean-Marie Muyango, Dorcy Rugamba, Augustin Majyambere, Massamba, RWANDA 94. Photo Thilo Beu.
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Jean-Marie Muyango, Dorcy Rugamba, Augustin Majyambere, Massamba, RWANDA 94. Photo Thilo Beu.
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Article publié pour le numéro
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68
Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives ThéâtralesRwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68
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1994 – 1996

PHASE DOCUMENTAIRE : péri­ode d’études, d’analyses, de lec­tures, de ren­con­tres, de recherch­es d’images d’actualité et d’émissions con­sacrées au Rwan­da et au géno­cide.

Con­scients que ce qui nous avait été présen­té comme infor­ma­tion « objec­tive » sur le géno­cide des Tut­si au Rwan­da n’était, au fond, qu’un con­den­sé plus ou moins sub­til d’idées reçues et de men­songes avérés au ser­vice d’intérêts nationaux, nous n’en étions pas moins totale­ment igno­rants : nulle his­toire par­ti­c­ulière ne nous liait à ce petit pays d’Afrique Cen­trale et songer à en par­ler néces­si­tait d’abord un grand tra­vail d’études et d’analyse : le Rwan­da, son his­toire anci­enne, son passé récent, sa cul­ture, son peu­ple, nous étaient large­ment incon­nus.
Menées, au départ, de manière flot­tante, nos recherch­es visent dans un pre­mier temps à combler l’information défi­ciente : nous voulions com­pren­dre, nous sen­tions que ce qui s’était passé au Rwan­da était d’une grav­ité extrême et que cela nous con­cer­nait tous.
Elles devien­dront plus résolues et sys­té­ma­tiques au fur et à mesure que s’affirmera plus claire­ment l’intention de faire du géno­cide des Tut­si le sujet d’une prochaine créa­tion.

Le 14 novem­bre 1994 : une NUIT DU GROUPOV est organ­isée au Théâtre Varia à Brux­elles, en même temps que la présen­ta­tion de LA GRANDE IMPRÉCATION DEVANT LES MURS DE LA VILLE de Tankred Dorst dans une mise en scène de Jacques Del­cu­vel­lerie.
Dans ce cadre, en pro­logue à sa per­for­mance vidéo LA MACHINE DE VISION – OU, BOUGE-TOI UN PEU, ROGER, Marie-France Col­lard pro­pose aux spec­ta­teurs l’article du Monde Diplo­ma­tique Un géno­cide sans images – Blancs fil­ment Noirs, paru en sep­tem­bre 94. L’article est accom­pa­g­né d’un agran­disse­ment de la pho­to La honte de faire ce méti­er (voir page 5).
Jacques Del­cu­vel­lerie insère dans son geste OBSESSION, un volet sur le Rwan­da.

Avril 1995 : créa­tion de LA MÈRE de Brecht, mise en scène de Jacques Del­cu­vel­lerie (reprise à l’automne 1995). C’est pen­dant les représen­ta­tions de LA MÈRE que se pren­dra véri­ta­ble­ment et s’affirmera publique­ment la déci­sion de tra­vailler à une créa­tion sur le Rwan­da.

Jan­vi­er 1996 : un pre­mier scé­nario élaboré sur le sujet du géno­cide des Tut­si est dévelop­pé et présen­té par Jacques Del­cu­vel­lerie et Marie-France Col­lard en Assem­blée Générale du Groupov. Il sera très vite aban­don­né.

Le 28 mars 1996 : vision de presse à la RTBF du film de Luc de Heusch : UNE RÉPUBLIQUE DEVENUE FOLLE (RWANDA 1894 – 1994).

Le 3 mai 1996 : pre­mière ren­con­tre avec Tito Rutare­mara ( mem­bre fon­da­teur du FPR, député ) à Brux­elles.

Sep­tem­bre 1996 : demande d’aide à l’écriture en France, sous forme de rési­dence à la Rose des Vents de Vil­leneuve d’Ascq, pour Marie-France Col­lard et Jean-Paul Fargeau. Cette demande sera refusée.

1997

Févri­er, mars, avril 1997 : pre­mières ren­con­tres de Marie-France Col­lard avec dif­férents acteurs de la coopéra­tion avec le Rwan­da, « spé­cial­istes »
de l’Afrique des Grands et Lacs et rescapés du géno­cide, veil­lée de com­mé­mora­tion du géno­cide, le 7 avril, au Cen­tre Cul­turel d’Auderghem.
Écri­t­ure d’un pre­mier texte LES COLLINES DU SILENCE ( voir page 25 ).

26 avril 1997 : Lec­ture par Francine Landrain du texte LES COLLINES DU SILENCE de Marie-France Col­lard avec pro­jec­tion en con­tinu du film LES MORTS NE SONT MORTS de Anna Van der Wée, d’après le livre de Els de Tem­mer­man dans le cadre d’une NUIT D’ÉCRITURE FÉMININE pro­posée par le Cirque Divers à Liège.

Du 4 juil­let au 20 juil­let 1997 : pre­mier voy­age au Rwan­da de Marie-France Col­lard.

Du 21 au 24 juil­let 1997 : lec­ture par Janine Patrick du texte LES COLLINES DU SILENCE au Fes­ti­val d’Avignon, dans le cadre des Folies Bel­gères.
Sep­tem­bre et octo­bre 1997 : rédac­tion par Jacques Del­cu­vel­lerie et Marie-France Col­lard de la note d’intention du pro­jet inti­t­ulé « Rwan­da. La chevauchée furieuse1 » dont nous présen­tons ici le som­maire.

Inten­tions. Jacques Del­cu­vel­lerie.
Il nous fal­lait d’abord savoir et com­pren­dre :
– Le géno­cide est un fait.
– La géno­cide est un fait sin­guli­er.
– La haine au Rwan­da ne résulte pas de la struc­ture
« eth­nique » de la société, mais de l’intervention européenne depuis un siè­cle.
– Les poli­tiques néo-colo­niales de la Bel­gique et de la France, ayant con­duit à un développe­ment de tous les fac­teurs pré­parant le géno­cide, ces États, selon les moments, ont été des com­plices act­ifs, pas­sifs, bien­veil­lants ou aveu­gles, du géno­cide lui-même.
2. De quel point de vue oser par­ler, oser créer ?
3. Quelles dra­matur­gies de référence ?
Quelles dra­matur­gies en ges­ta­tion ?
(voir page 50).
4. Quel Proces­sus, quelles méth­odes.
Car­net de tra­vail. Marie-France Col­lard.
Extraits et notes de voy­age du 4 au 20 juil­let 1997 (voir pages 47 à 49).
Repères chronologiques.
Extrait de HISTOIRE D’UN GÉNOCIDE,
Colette Braeck­man
Pro­logue ou l’épreuve du fan­tôme
Extrait de LE FANTÔME OU LE THÉÂTRE QUI DOUTE,
Monique Borie
Bib­li­ogra­phie, fil­mo­gra­phie.

Décem­bre 1997 : pre­mière ren­con­tre, dans le cadre du fes­ti­val Voix de femmes à Liège, avec Yolande Muk­a­gasana, dont le livre LA MORT NE VEUT PAS DE MOI a été pub­lié dans le courant de l’année.

1998

Péri­ode dite « d’incubation » pour le groupe dra­maturgique réu­nis­sant les artistes, acteurs, écrivains col­lab­o­rant à la créa­tion ain­si que des obser­va­teurs ami­caux (comme des témoins du tra­vail en cours) : ren­con­tre avec des rescapés, exposés de sci­en­tifiques, de jour­nal­istes, « spé­cial­istes » de l’Afrique des Grands Lacs et ayant écrit sur le géno­cide, voy­ages au Rwan­da.

Le 30 jan­vi­er 1998 : pre­mière réu­nion du groupe dra­maturgique.
Résumé des motifs du pro­jet, « ques­tions / répons­es » et dis­cus­sion sur le dossier dis­tribué à tous, « Rwan­da. La Chevauchée Furieuse. Note d’intention », pre­mières
esquiss­es et cro­quis de struc­tures pour le décor, d’après un tra­vail sur Pis­ca­tor.

Le 17 févri­er 1998 : réu­nion d’information et d’organisation du voy­age d’avril 98 avec Sol­i­dar­ité Inter­na­tionale.

Le 21 févri­er 1998 : groupe dra­maturgique :
vision­nement du film de Luc de Heusch sur les pro­lé­gomènes du géno­cide, UNE RÉPUBLIQUE DEVENUE FOLLE. (RWANDA 1894 – 1994) et du doc­u­men­taire
de Anna Van Der­Wée : LES MORTS NE SONT PAS MORTS.
Ren­con­tre avec deux rescapés : Yolande Muk­a­gasana, auteur du livre : LA MORT NE VEUT PAS DE MOI et Paci­fique Kabal­isa, ancien respon­s­able à Kigali du bureau d’African Rights, ren­con­tré à ce titre par Marie-France lors de son séjour au Rwan­da.

Le 11 mars 1998 : groupe dra­maturgique :
– Ren­con­tre avec Colette Braeck­man, grand reporter au jour­nal Le Soir, cor­re­spon­dante pour le Monde Diplo­ma­tique, auteur du livre RWANDA. HISTOIRE D’UN GÉNOCIDE. Ques­tions rel­a­tives à l’implication des États français et belge dans les péri­odes de pré­pa­ra­tion, d’exécution et d’après géno­cide. Inter­ro­ga­tions sur les affron­te­ments géos­tratégiques dans la région et sur la sit­u­a­tion actuelle.
– Présen­ta­tion par Jacques Del­cu­vel­lerie de la pre­mière struc­ture du spec­ta­cle qui com­prend une descrip­tion des dif­férents dis­posi­tifs : scénique, tech­nique, musi­cal.

Le premier projet de structure du spectacle :

Une ouver­ture musi­cale précède la pre­mière scène.

1. La sur­vivante et les morts.
Le mono­logue de la rescapée est tel qu’il est présen­té dans la notre d’intention d’octobre 1997, avec, vers la fin de son réc­it, le Chœur, représen­tant les morts du géno­cide, dis­per­sés dans le pub­lic : ils chu­chotent à leur tour des frag­ments de leur his­toire, ampli­fi­ant ain­si un mil­lion de fois le réc­it de la sur­vivante.
La suite du spec­ta­cle épousera la forme du plateau d’une grande émis­sion télévisée du genre « La Marche du Siè­cle » avec présen­ta­trice-vedette, pan­el d’invités, spec­ta­teurs faisant par­tie du dis­posi­tif, caméras, pro­jecteurs, écrans T.V. et grand écran. L’émission
se déroule en direct, en deux temps.

2. Mwara­mutse.
Pre­mière par­tie de l’émission en direct. Elle expose les événe­ments majeurs qui ont trou­blé la vie quo­ti­di­enne, économique et poli­tique, de mil­liard d’individus depuis plusieurs semaines et dont la man­i­fes­ta­tion la plus uni­verselle­ment tan­gi­ble est l’apparition de « fan­tômes » élec­tron­iques per­tur­bant régulière­ment les émis­sions télévisées de toute la planète. Ces fan­tômes élec­tron­iques ont été iden­ti­fiés comme étant Rwandais, et, presque avec cer­ti­tude, tous sont des vic­times du géno­cide de 1994.
À tra­vers l’évolution des mes­sages, d’abord énig­ma­tiques, factuels, puis, pour cer­tains, net­te­ment plus reven­di­cat­ifs, bien qu’encore métaphoriques, il appa­raît que ces morts ne trou­vent pas la paix. Cer­tains voient dans ces mes­sages une demande, par­fois for­mulée plus claire­ment par l’un des « fan­tômes élec­tron­iques », d’une infor­ma­tion com­plète sur les caus­es et le proces­sus du géno­cide : pourquoi ? pourquoi est-ce arrivé ?

3. L’agora du démon.
Cette par­tie représente le sec­ond temps de télévi­sion où l’émission sur le Rwan­da (his­toire, struc­ture sociale, évangéli­sa­tion, coloni­sa­tion, indépen­dance, république, guerre, géno­cide…) com­mence véri­ta­ble­ment. Ni le con­tenu, ni les formes n’en sont encore détail­lés.
Tout au plus, en sont évo­qués les matéri­aux et les parte­naires : le plateau T.V., le stu­dio-off, le Chœur des Morts, la Scène de l’imaginaire, l’orchestre et les chanteurs, les « fan­tômes élec­tron­iques », le pub­lic. Où l’on se rend compte que la forme cita­tion­nelle
« hyper­réal­iste » de l’émission T.V. con­naî­tra de nom­breuses per­tur­ba­tions.

4. Épi­logue.
Plusieurs hypothès­es sont en dis­cus­sion, de l’épisode raciste dans une dis­cothèque tech­no en Europe à la liste de por­traits de respon­s­ables étrangers ou rwandais tou­jours en lib­erté, ou non jugés actuelle­ment…

Le 18 mars 1998 : groupe dra­maturgique : ren­con­tre avec Tite Mugrefyia, psy­cho­logue, qui a tra­vail­lé, après le géno­cide, avec le Cen­tre Nation­al du Trau­ma­tisme au Rwan­da. Exposé sur les con­séquences psy­chiques du géno­cide et les divers­es formes de trau­ma­tismes ren­con­trées aujourd’hui, chez les enfants ou les adultes, dont une forme « d’errance » qui con­duit cer­taines per­son­nes à tra­vers le pays, quit­tant leur mai­son un matin, en dis­ant : « Je vais chez Tante…» puis oubliant qui elles sont et où elles vont…

Le 20 mars 1998 : Marie-France Col­lard ren­con­tre Gasana N’doba2, qui devien­dra un col­lab­o­ra­teur et con­seiller du pro­jet. Il attire notre atten­tion sur le titre, qui, n’est peut-être pas judi­cieux, car, fait-il remar­quer, le mou­ve­ment extrémiste hutu a tou­jours cher­ché à par­er ses plus sor­dides entre­pris­es de désig­na­tions lyriques.
Ain­si, en 1959, les pre­miers pogroms ont été appelés le « Muya­ga », ce qui sig­ni­fie un vent ter­ri­ble, une tem­pête. De notre côté, nous trou­vions égale­ment que le terme
« chevauchée » pour un pays qui n’a jamais con­nu le cheval n’était pas non plus très adap­té. Nous déci­dons de chang­er le titre.

Le 21 mars 1998 : groupe dra­maturgique : ren­con­tre avec Jean-Pierre Chré­tien, directeur de recherche au CNRS : présen­ta­tion de sa posi­tion dévelop­pée dans le livre LE DÉFI DE L’ETHNISME, écoute de dif­férents doc­u­ments de la radio géno­cidaire RTLM – dont les mes­sages en français du lié­geois Georges Rug­giu, dis­cus­sion autour du livre LES MEDIAS DU GÉNOCIDE.

Le 26 mars 1998 : groupe dra­maturgique :
Luc de Heusch – eth­no­logue et cinéaste – présente le film 16 mm RWANDA, aujourd’hui introu­vable, sur l’ancienne société rwandaise, illus­trant l’ouvrage clas­sique de Jean-Jacques Maquet LE SYSTÈME DES RELATIONS SOCIALES DANS LE RWANDA ANCIEN. Com­men­taires et débats sur l’organisation de l’état et de l’économie dans les régions cen­trales du Roy­aume, mise en lumière de cer­taines lim­ites et sim­pli­fi­ca­tions dan­gereuses de l’anthropologie fonc­tion­nal­iste de cette époque (les années cinquante).

Du 3 au 19 avril 1998 : voy­age du pre­mier groupe au Rwan­da, Jacques Del­cu­vel­lerie, Gre­ta Goiris, Francine Landrain, Gar­rett List, François Sikivie, sous la con­duite de Marie-France Col­lard et la col­lab­o­ra­tion de Mar­tine Ray­mack­ers, de Médecine pour le Tiers-Monde à Kigali. (Lau­rence Gay les rejoint un peu plus tard).
Chaque voy­age sera organ­isé de façon à ren­dre sen­si­ble le géno­cide et à approcher sa genèse à tra­vers la ren­con­tre de témoins qui, cha­cun à sa manière, l’éclaire par son par­cours et sa spé­ci­ficité : his­toire, mise en place de l’ethnisme, 1959, rôle de l’Église, de la Bel­gique et de la France, les deux républiques, les réfugiés, la pré­pa­ra­tion du géno­cide, la guerre de 1990, etc.
Le pro­gramme com­prend, en vrac : vis­ite de sites géno­cidaires : N’tarama, Nya­ma­ta, Muram­bi ou Bis­esero, le Musée Nation­al de Butare, l’Université Nationale, l’IRST et ses chercheurs, les enquê­teurs d’African Rights, Avo­cats sans fron­tières, les procès des géno­cidaires, des mem­bres du FPR et de l’APR, un député MDR, les habi­tants et rescapés des collines de Run­da, le pro­jet de par­rainage de Médecine pour le Tiers-Monde, l’école et les élèves de Kigese, l’Asoferwa, Ibu­ka, le Cen­tre Nation­al du Trau­ma­tisme, un camp de sol­i­dar­ité ou le camp pour enfants géno­cidaires. À chaque fois, nous ren­con­trerons : Tito Rutare­mara, Frère Jean Dam­ascène, Pri­vat Rutaz­ib­wa, Gamaliel Mbon­i­mana, Denis Polisi ou Charles Muri­g­ande, Antoine Muge­sera, le Doc­teur Karang­wa, Bernadette Kan­za­hire, Casilde, Mod­este, Marie, François, Bertin, Mar­tine, Émmanuel.

Extraits du compte-rendu de voyage

« Le 5 avril 1998 : vis­ite de la com­mune de Run­da ( pré­fec­ture de Gitara­ma), où notre hôtesse, Mar­tine, dirige un pro­jet de coopéra­tion avec les femmes.
Ren­con­tre pen­dant près de 3 heures avec une trentaine de veuves et quelques vieil­lards, sur­vivants du géno­cide. Sans doute le choc prin­ci­pal de tout notre voy­age.
Plus de la moitié de l’entretien, con­siste à essay­er de faire com­pren­dre que nous ne sommes pas nos grand-par­ents et que nous dés­ap­prou­vons la poli­tique de l’État belge avant, pen­dant, après le géno­cide… Après 2 heures tout va déjà mieux, mais au moment de se sépar­er une femme nous lance : Quand vous aurez fait votre spec­ta­cle, envoyez-nous une cas­sette, que nous voyions si vous avez tenu vos promess­es…
Nous assis­tons à la bous­cu­lade quo­ti­di­enne devant la prison (800 per­son­nes) où les familles doivent nour­rir les détenus (par­fois plusieurs heures de marche pour y arriv­er). L’ancien cachot com­mu­nal (ivresse, rix­es) pou­vait con­tenir à peine deux ou trois indi­vidus… Le crime excep­tion­nel a tout boulever­sé. (…)

Le 6 avril 1998 : décou­verte de la nou­velle brochure d’African Rights sur le mas­sacre et la résis­tance dans les collines de Bis­esero (plus ou moins 50 000 morts).
C’est cet endroit qui a été choisi pour la journée offi­cielle de com­mé­mora­tion cette année. Le texte est boulever­sant. Jacques Del­cu­vel­lerie pro­pose à Gar­rett List d’en faire une com­posante éventuelle du spec­ta­cle.

Le 7 avril 1998 : journée de com­mé­mora­tion Nationale à Bis­esero (pré­fec­ture de Kibuye) au bord du lac Kivu. La route tra­verse des régions dan­gereuses où les infil­trés assas­si­nent chaque semaine, mais elle est évidem­ment très bien gardée en ce jour d’exception.
Notre bus a un moment suivi la voiture prési­den­tielle et son escorte avec blind­és. La colline choisie recevra un mon­u­ment, une sorte de chemin de croix abrupt avec plusieurs énormes ossuaires, cer­tains cadavres ne sont pas encore com­plète­ment décom­posés, on ramas­sait encore des crânes le matin même, odeur effroy­able, chaleur de plomb. Dis­cours offi­ciels… Divers­es inter­ven­tions plus ou moins lam­en­ta­bles de la « com­mu­nauté inter­na­tionale », le prési­dent Biz­imungu leur met sous le nez quelques rescapés mutilés… Atmo­sphère ultra-ten­due dans le bus de retour, on se moque de nous en kin­yarwan­da…
Sous la pluie tor­ren­tielle, dans la nuit, la route, déra­pages, embourbe­ments et précipices font com­plète­ment oubli­er les rebelles. (…)

Le 10 avril 1998 : vis­ite du site géno­cidaire de Muram­bi (plus ou moins 30 000 morts, là, en une journée). Tous n’ont pas encore été retrou­vés, la plu­part sont dans des fos­s­es com­munes. Le site lui-même tient en plusieurs cen­taines de corps blanchâtres ( la chaux), décharnés mais aux gestes et expres­sions par­faite­ment lis­i­bles, étalés sur le sol ou sur des claies de bois : hommes, femmes, bébés pêle-mêle. Nous pas­sons de salle en salle de cette école non ter­minée… Il n’y a rien à dire. Rien. C’était en zone Turquoise, on nous mon­tre l’endroit entre deux bâti­ments où était plan­té le dra­peau français, les traces de leur feu de joie, c’est là qu’ils arro­saient de bière le suc­cès de leurs opéra­tions.
Retour, la nuit est tombée. Plus tard nous appren­drons qu’une heure après notre pas­sage les rebelles ont mitrail­lé un bus sur cette route et la voiture du préfet (chauf­feur tué)».
Jacques Del­cu­vel­lerie.

Le 14 mai 1998 : Le groupe dra­maturgique se réu­nit une dizaine d’heures pour écouter et ques­tion­ner ceux qui revi­en­nent du Rwan­da. Un plan de tra­vail est mis
au point, il com­prend dif­férentes étapes où l’évolution du tra­vail sera pro­posé à un pub­lic choisi. Nous l’appelons « Plan Mille Collines ». Des groupes de tra­vail sont con­sti­tués en vue d’un pre­mier moment : « La journée 200 collines » du 30 juin.

Le 12 juin 1998 : un nou­veau doc­u­ment « Descrip­tion suc­cincte du dis­posi­tif dra­ma­tique du pro­jet Rwan­da » est disponible. Il reprend et détaille des élé­ments con­nus du futur spec­ta­cle à cette date : de la com­po­si­tion de l’orchestre à la struc­ture du pro­logue, de l’émission T.V., etc. ( doc­u­ment écrit détail­lant le pre­mier pro­jet de struc­ture du spec­ta­cle tel qu’il a été présen­té au groupe dra­maturgique le 11 mars 1998 ).

Mai, juin 1998 : durant cette péri­ode, les groupes : écri­t­ure (Marie-France Col­lard, Francine Landrain, Jean-Marie Piemme), scéno­gra­phie, cos­tumes (Johan Dae­nen, Gre­ta Goiris), musique (Gar­rett List), image (Marie-France Col­lard), se réu­nis­sent seuls, puis avec Jacques Del­cu­vel­lerie et Math­ias Simons.

Photo Jenny Matthews, African Rights.
Pho­to Jen­ny Matthews, African Rights.
  1. La note d’intention peut être obtenue sur demande au Groupov. ↩︎
  2. Ren­tré depuis au Rwan­da, Gasana N’doba y exerce la fonc­tion de Prési­dent de la Com­mis­sion des Droits de l’Homme, créée par le gou­verne­ment Rwandais. ↩︎
  3. Le géno­cide tue tou­jours : des rescapés sont aujourd’hui encore tués au Rwan­da et des femmes meurent main­tenant du sida après avoir été vio­lées pen­dant le géno­cide. ↩︎
  4. « Le secret de Dieu » devien­dra plus tard « Sur les pentes du Gol­go­tha », voir inter­view de Jean- Marie Piemme page 66. ↩︎
  5. Bien que le titre nous parut dis­qual­i­fié, ces trois soirées étaient déjà pro­gram­mées sous cet inti­t­ulé. Et nous n’en avions pas encore d’autre. ↩︎
  6. Source : MAUDITS SOIENT LES YEUX FERMÉS de Frédéric Laf­font. ↩︎

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Marie-France Collard
Écrit par Marie-France Collard, après une période de confrontation avec la réalité du génocide et...Plus d'info
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