Par la rigidité de leur corps, par le travail qu’ils font sur l’immobilité, les comédiens, chez Robert Wilson, empruntent à la marionnette. Comme si les « super- marionnettes » qu’Edward Gordon Craig appelait de ses vœux au début du siècle, étaient nées aujourd’hui et évoluaient sur nos scènes.
Le travail que Robert Wilson effectue sur la décomposition des mouvements, sur le ralentissement de chaque séquence, sur l’étirement infini du moindre geste, donne, en effet, au spectateur l’impression d’être face à des mannequins de chair, des automates évoluant dans un temps et un espace dilatés. Le corps du comédien est soumis à un certain nombre de contraintes. Il doit se plier à une discipline très codifiée et très rigide. C’est elle qui, par ce qu’elle impose de non naturel, permet à Robert Wilson d’échapper à tout naturalisme (écueil et repoussoir absolu à ses yeux). Le traitement des voix participe également à ce processus de déshuma- nisation. Les voix passées au filtre des micros, deviennent métalliques. Les registres de tonalités sont nombreux et les sauts de l’un à l’autre brutaux. On passe, dans une même phrase, de l’aigu au grave. Difficile de dire avec certitude de quelle bouche sort la voix. Grâce au micro, le comédien qui parle, a les lèvres qui bougent à peine. Sa voix peut retentir à l’autre bout du plateau, comme si elle jaillissait de nulle part. Le grain de la voix n’a plus sa spécificité. Les micros permettent de brouiller les repères usuels de reconnaissance. Tout cela fait de la scène wilsonnienne un univers où les corps semblent obéir à une mécanique étrange, extérieure aux comédiens eux-mêmes. Comme si le mouvement était impulsé d’ailleurs.
Plus que partout ailleurs certainement, le comédien qui joue pour Robert Wilson doit prêter son corps au metteur en scène et accepter de se faire marionnette.
La marionnette possède des qualités que le comédien n’a pas. Elle est moins sensible aux tentations, moins sujette aux inconstances. Chez Craig comme chez Robert Wilson, on trouve une même méfiance face à l’incertitude que représente le comédien. Craig reproche à l’acteur d’être tout entier possédé par l’émotion et d’incarner, en cela, l’accidentel. Or pour lui « l’art n’admet pas l’accident ». Il rêve d’un corps lisse, qui n’offrirait aucune prise aux événements extérieurs :
« Les applaudissements éclatent en tonnerre ou se perdent isolés, la marionnette ne s’en émeut point ; ses gestes ne se précipitent et ne se confondent pas ; qu’on la couvre de fleurs et de louanges, l’héroïne conserve un visage impassible. »1
Cette idée du comédien impassible, ce fanstasme de l’automate doit s’entendre avant tout comme une haine du cabotinage, comme une méfiance profonde vis-à-vis du comédien susceptible de tricher, ou de glisser dans un jeu trop facile. On la trouve déjà chez Kleist :
« Et l’avantage que de telles poupées possèderaient sur des danseurs vivants ? L’avantage ? En tout premier lieu un avantage négatif, mon excellent ami, je veux dire celui de ne jamais être affecté. »2