Réciprocité du risque

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Réciprocité du risque

Le 26 Jan 2012
Stéphane Braunschweig avec les étudiants de l’école du TNS, décembre 2007. Photo Élisabeth Carrechio.
Stéphane Braunschweig avec les étudiants de l’école du TNS, décembre 2007. Photo Élisabeth Carrechio.

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Stéphane Braunschweig avec les étudiants de l’école du TNS, décembre 2007. Photo Élisabeth Carrechio.
Stéphane Braunschweig avec les étudiants de l’école du TNS, décembre 2007. Photo Élisabeth Carrechio.

ÉCRIRE sur l’École du Théâtre Nation­al de Stras­bourg, née en 1953, c’est se pos­er d’emblée la ques­tion qui est au cœur de sa richesse et de son iden­tité : faut-il en par­ler diachronique­ment, comme d’une insti­tu­tion dont la longue his­toire par­ti­c­ulière­ment sig­ni­fica­tive donne sens à chaque nou­veau chapitre qu’on y écrit ? Ou syn­chronique­ment, dans le rap­port com­plexe qu’elle entre­tient à un pro­jet artis­tique don­né (en l’occurrence celui de Stéphane Braun­schweig auquel j’ai par­ticipé de 2000 à 2008)? Doit-on l’envisager du point de vue de la tra­di­tion et de la mémoire qui incon­testable­ment s’y per­pétuent, ou du point de vue de sa réac­tiv­ité artis­tique aux change­ments qui affectent le théâtre qui l’abrite ? Une école comme celle-ci a la par­tic­u­lar­ité d’être à la fois pérenne dans ses struc­tures (ses fon­da­tions solides et pen­sées en ont fait une des trois écoles nationales français­es, la seule à être implan­tée dans un théâtre), et tran­si­toire dans ses ori­en­ta­tions suc­ces­sives, liées au pro­jet du met­teur en scène directeur du TNS, qui, statu­taire­ment, est aus­si directeur de l’École. Para­doxale­ment, sa capac­ité à muer est un élé­ment essen­tiel de sa forte iden­tité – du moins est-ce ain­si que nous la perce­vions lorsque nous y sommes arrivés en 2000, Stéphane Braun­schweig et moi, lui comme directeur, et moi comme con­seil­lère artis­tique et péd­a­gogique, respon­s­able de la nou­velle sec­tion Dra­maturgie — mise en scène qu’il avait décidé d’y créer.
L’idée que nous nous fai­sions de cette École était donc avant tout celle d’un endroit où la for­ma­tion pou­vait être forte­ment en lien avec un pro­jet artis­tique et dia­loguer avec lui. Comme je m’en aperçus bien plus tard, lorsque je réal­i­sai le numéro d’Out­reScènecon­sacré à l’histoire de l’École, cela n’était pas une évi­dence : son fon­da­teur Michel Saint-Denis, neveu de Jacques Copeau, n’avait accep­té d’assumer la direc­tion du Cen­tre Dra­ma­tique de l’Est que parce que c’était la con­di­tion pour y créer et diriger l’École. Il s’intéressait beau­coup plus à la for­ma­tion qu’à la mise en scène et, dans la droite ligne du rig­orisme de son oncle, cher­cha à instau­r­er à Stras­bourg un enseigne­ment qui pro­tège les élèves de tout con­tact trop pré­coce avec le méti­er, cloi­son­nant donc forte­ment l’École et le théâtre. Hubert Gig­noux, qui dirigea le Cen­tre Dra­ma­tique de l’Est de 1957 à 1971 (et le fit trans­former en Théâtre nation­al de Stras­bourg), fut plus prag­ma­tique : l’École ayant selon lui pour mis­sion pre­mière de for­mer des artistes pour la Décen­tral­i­sa­tion, il con­sid­érait les échanges et les rap­ports avec la troupe comme posi­tifs, et les favorisa. Sa per­son­nal­ité, mar­quante sur ce point comme sur tant d’autres, ame­na donc un infléchisse­ment majeur. Mais ce qu’il s’agissait alors de partager entre théâtre et école, c’étaient plutôt une déon­tolo­gie, un posi­tion­nement, des final­ités, qu’une ori­en­ta­tion artis­tique. Ce n’est qu’au tour­nant des années soix­ante-dix – une époque de pro­fonde muta­tion pour la Décen­tral­i­sa­tion, où les ani­ma­teurs de l’ancienne généra­tion cédèrent pro­gres­sive­ment la place aux met­teurs en scène-artistes – que l’École du TNS se mit à se regarder elle-même comme un lab­o­ra­toire de formes nou­velles : à la fin de son man­dat, Hubert Gig­noux avait com­mencé à y faire entr­er comme pro­fesseurs, non plus des péd­a­gogues, mais des met­teurs en scène en pleine recherche, ini­tiant ce qui devait devenir une des plus remar­quables car­ac­téris­tiques de l’École.
Sans que nous nous en ren­dions bien compte, c’était donc en bonne part pour des raisons généra­tionnelles que s’était implan­tée en nous l’idée de l’École du TNS comme un foy­er artis­tique : lorsque nous avions com­mencé le théâtre dans les années qua­tre-vingt, les jeunes acteurs issus de cette École que nous ren­con­tri­ons avaient tra­ver­sé l’expérience du TNS dirigé par Jean-Pierre Vin­cent (1975 – 1983), une expéri­ence très par­ti­c­ulière mais qui pour nous définis­sait « le TNS ». Nous savions par eux que la rad­i­cal­ité de cette péri­ode avait entière­ment saisi l’École, que celle-ci avait pleine­ment par­ticipé à cette aven­ture intel­lectuelle aus­si bien qu’artistique et poli­tique, que le col­lec­tif de dra­maturges, de met­teurs en scène et d’acteurs réu­ni par Jean-Pierre Vin­cent y avaient œuvré, que cer­tains des jeunes comé­di­ens qui y avaient été for­més avaient été engagés dans la troupe (à salaire égal avec les anciens) à leur sor­tie. Peut-être ce moment d’osmose par­ti­c­uli­er con­sti­tu­ait-il dans nos esprits la norme de cette École, ou une ver­sion con­crète de l’utopie qui s’attache à la présence d’une école dans un théâtre.
Nous étions bien enten­du ren­for­cés dans l’idée qu’une École de théâtre n’est per­ti­nente que si elle a une « ligne artis­tique » par le paysage qu’avaient con­sti­tué, dans nos années de for­ma­tion, l’École de Chail­lot (où Stéphane Braun­schweig avait été élève) et celle des Amandiers, créée par Chéreau, alors que le Con­ser­va­toire, dirigé par Jean-Pierre Miquel depuis 1983, ne fai­sait plus guère par­ler de lui depuis le départ d’Antoine Vitez. Et l’empreinte de ces deux écoles était si forte, si écla­tante, que nous avons été sur­pris, lorsque nous avons par­ticipé aux pre­mières réu­nions organ­isées au Min­istère de la Cul­ture pour la mise en place de la « plate-forme de l’enseignement supérieur d’art dra­ma­tique », de con­stater que nos inter­locu­teurs de la DMDTS con­sid­éraient, tout au con­traire, qu’une école de théâtre doit for­mer des comé­di­ens en les out­il­lant d’une panoplie de savoir-faire les plus var­iés pos­si­ble, les ren­dant aptes à toute esthé­tique, dans une neu­tral­ité de bon aloi, con­forme selon eux aux mis­sions éduca­tives de la République.
Ce que fai­saient appa­raître ces dis­cus­sions, de manière intéres­sante, c’était la spé­ci­ficité du cas de l’École du TNS. En tant qu’elle est une des deux écoles nationales dépen­dant du Min­istère de la Cul­ture, dont les élèves sont par la suite aidés par un dis­posi­tif d’insertion bien doté, elle ne peut certes se revendi­quer d’un pro­jet exclu­sive­ment lié à une aven­ture artis­tique sin­gulière, comme l’était celui de l’École de Chail­lot (dont le bud­get mod­este fut pris sur celui du bud­get du théâtre) ou celui de Nan­terre. En même temps – et bien que la péd­a­gogie de la plu­part des écoles soit désor­mais alignée sur celle, alors nova­trice, mise en place par Michel Saint-Denis (cours tech­niques le matin, tra­vail col­lec­tif sur la durée d’un stage l’après-midi) – on ne peut ignor­er qu’à la base, cette école n’avait rien de neu­tre. Sa fon­da­tion est par­tie prenante d’une réno­va­tion esthé­tique rad­i­cale (la fil­i­a­tion de Copeau) et d’un posi­tion­nement citoyen voire poli- tique (la Décen­tral­i­sa­tion). Tan­dis que le Con­ser­va­toire per­pé­tu­ait une tra­di­tion dra­ma­tique, l’École du TNS for­mait avant tout à une éthique théâ­trale indis­so­cia­ble de ce qui y était enseigné comme art du théâtre, un théâtre nou­veau adressé à un pub­lic nou­veau.

Stéphane Braunschweig avec les étudiants de l’école du TNS, décembre 2007. Photo Élisabeth Carrechio.
Stéphane Braun­schweig avec les étu­di­ants de l’école du TNS, décem­bre 2007.
Pho­to Élis­a­beth Car­re­chio.

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Anne-Françoise Benhamou
Anne-Françoise Benhamou est professeure en Études théâtrales à l’ENS-PSL et dramaturge.Plus d'info
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