Le piccolo de Milan : teatro stabile et politiques instables

Entretien
Théâtre

Le piccolo de Milan : teatro stabile et politiques instables

Entretien avec Luca Ronconi

Le 26 Juil 2011
Piccolo Teatro, entrée. Photo Attilio Marasco, Piccolo Teatro di Milano.

A

rticle réservé aux abonné.es
Piccolo Teatro, entrée. Photo Attilio Marasco, Piccolo Teatro di Milano.
Article publié pour le numéro
Couverture du 109 - Le théâtre en sa ville
109

Depuis un an env­i­ron, pour des raisons de san­té, Luca Ron­coni a aban­don­né la direc­tion à temps plein du Pic­co­lo Teatro de Milan, mais il reste lié au Pic­co­lo du directeur Ser­gio Esco­bar, et pas seule­ment par un con­trat de con­sul­tant artis­tique. Le grand met­teur en scène noue avec le pre­mier, le plus impor­tant et le plus pres­tigieux théâtre pub­lic ital­ien la rela­tion la plus longue et la plus sta­ble de toute sa car­rière : il y tra­vaille depuis douze ans, il y a signé cer­tains de ses chefs‑d’œuvre, de l’audacieux INFINITIES qui trans­portait dans une anci­enne usine les élu­cubra­tions math­é­mati­co-philosophique de l’essayiste John Bar­row, au par­fait PROFESSEUR BERNHARDI de Schnit­zler en 2005, jusqu’aux récents IL SOGNO de Shake­speare en 2008 et LA COMPAGNIA DEGLI UOMINI d’Edward Bond, sa dernière mise en scène au Pic­co­lo qui a obtenu un suc­cès reten­tis­sant. Soix­ante-quinze ans, dont presque soix­ante de théâtre, Luca Ron­coni a passé plus de vingt ans de sa car­rière dans les théâtres publics ital­iens, à Turin de 89 à 94, à Rome de 94 à 98, avant d’accoster au Pic­co­lo. Il y est arrivé en 99 quand il prit en main la direc­tion artis­tique dans la phase très déli­cate de l’immédiat après-Strehler, avec un cahi­er des charges ardu : con­duire l’avenir d’un théâtre jusque-là lié entière­ment à l’identité artis­tique, humaine et pro­fes­sion­nelle de son fon­da­teur, Gior­gio Strehler, qui, avec Pao­lo Gras­si et Nina Vinchi, a été non seule­ment le directeur unique du Pic­co­lo jusqu’à sa mort le 25 décem­bre 97, mais aus­si l’inventeur dans l’immédiat après-guerre du « théâtre pub­lic » en Ital­ie et d’un mod­èle qui résiste encore aujourd’hui.

Anna Ban­det­ti­ni : Par­tons des orig­ines. D’où vient le Pic­co­lo Teatro et, en même temps que lui, le théâtre pub­lic en Ital­ie ? 

Luca Ron­coni : Par rap­port aux autres pays européens, l’Italie a tou­jours été une anom­alie : il n’y a pas eu de cap­i­tale pen­dant des siè­cles, et le pays a été longtemps partagé en divers États. D’un point de vue cul­turel, la langue n’a jamais été un élé­ment unifi­ant. Le théâtre a tou­jours été chez nous un théâtre dialec­tal, qui s’est beau­coup dévelop­pé dans les dif­férentes régions. Le théâtre de langue ital­i­enne était un « teatro di giro » (un théâtre de tournées) : des com­pag­nies qui tour­naient de ville en ville, et qui mon­traient un réper­toire adap­té à dif­férents publics. Cela sig­ni­fie que le teatrosta­bile, qui a été à la base du développe­ment de tant de théâtres à l’étranger, a man­qué chez nous.

A. B. : Vous con­sid­érez cela comme un hand­i­cap de base ? 

L. R. : Bien sûr, ce fut dom­mage, parce que la séden­tar­ité, le rap­port au ter­ri­toire, est un élé­ment fon­da­men­tal du théâtre même, c’est la con­di­tion néces­saire pour porter le réc­it de ce ter­ri­toire sur scène. Quand le Pic­co­lo est né en 1947, il était le pre­mier théâtre pub­lic en Ital­ie à s’être posé ce prob­lème. Le Pic­co­lo est même né de cette per­spec­tive : porter sur scène le réc­it du ter­ri­toire, d’une ville, Milan, qui, surtout en ce temps-là, rassem­blait les insti­tu­tions sociales, poli­tiques, les espoirs les plus vifs du pays. Le Pic­co­lo l’a fait en obtenant même un finance­ment pub­lic, donc en imposant pour la pre­mière fois l’idée que le théâtre soit soutenu par l’État et par les admin­is­tra­tions locales comme un bien pub­lic. Pen­dant de nom­breuses années le Pic­co­lo a servi de mod­èle à bien d’autres théâtres publics en Ital­ie. On y compte actuelle­ment qua­torze théâtres « sta­bles », financés par l’État – mais pro­gres­sive­ment de moins en moins – et par les organ­ismes locaux, régionaux et munic­i­paux. En con­trepar­tie ces théâtres effectuent un tra­vail de pro­mo­tion cul­turelle pour dif­férentes couch­es de la pop­u­la­tion.

A. B. : Quelle est selon vous la dif­férence entre théâtre pub­lic et théâtre privé en Ital­ie ? 

L. R. : Le théâtre est une forme de diver­tisse­ment. Le prob­lème est d’identifier ce diver­tisse­ment comme un but ou comme un moyen. Per­son­nelle­ment je crois que c’est un moyen, une néces­sité. Mais bien sûr, il existe des formes et des des­ti­na­tions dif­férentes, des pos­si­bil­ités de diver­tisse­ment dif­férentes. C’est à cela que se mesure la dif­férence.

A. B. : Quel est alors le rôle d’un théâtre pub­lic ? 

L. R. : Comme je le dis­ais, un théâtre pub­lic doit être lié à un ter­ri­toire. L’histoire du théâtre ital­ien nous enseigne que le meilleur moyen d’établir ce rap­port est l’usage du dialecte. Je pense à Naples, par exem­ple, où il existe un théâtre napoli­tain très dévelop­pé lié à la langue et aux con­di­tions par­ti­c­ulières de la ville. Pour moi, le rap­port entre théâtre et ter­ri­toire ne doit pas être exclu­sive­ment le priv­ilège local ou le respect des tra­di­tions locales, mais plutôt l’attention, l’observation et la cri­tique des développe­ments soci­aux, cul­turels et poli­tiques de ce ter­ri­toire. Le Milan d’aujourd’hui n’est pas le même que celui d’il y a deux mille ans ni celui d’il y a quinze ans. Quand j’ai pris les rênes du Pic­co­lo en 1999, Milan était une ville com­plète­ment dif­férente de celle de 1947, quand le Pic­co­lo est né. Et je crois que le Pic­co­lo ne peut pas ne pas être en rap­port avec ces change­ments. Dans ce scé­nario, le rôle et la fonc­tion du théâtre, et de celui qui le dirige, con­siste, selon moi, à choisir, à décider si le rap­port avec les muta­tions et les dif­fi­cultés liées aux change­ments soci­aux doit être val­orisant, illus­tratif ou cri­tique et dialec­tique. Per­son­nelle­ment je con­sid­ère que ce dernier est le rap­port le plus juste, parce qu’il stim­ule le pub­lic, c’est-à-dire la citoyen­neté, à des dia­logues et des points de vue divers.

Plateau du Teatro Sudio. Pho­to Lui­gi Cim­i­naghi, Pic­co­lo Teatro di Milano.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Théâtre
Luca Ronconi
5
Partager
Anna Bandettini
Anna Bandettini est née à Portici (Naples). Diplômée en Philosophie à l’Università Statale de Milan,...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements