À la recherche d’une tension entre la ville et le théâtre Le Berliner Ensemble, “étape reine” du parcours de Claus Peymann

Entretien
Théâtre

À la recherche d’une tension entre la ville et le théâtre Le Berliner Ensemble, “étape reine” du parcours de Claus Peymann

Entretien avec Claus Peymann

Le 25 Juil 2011
Photo Berliner Ensemble

A

rticle réservé aux abonné.es
Photo Berliner Ensemble
Article publié pour le numéro
Couverture du 109 - Le théâtre en sa ville
109

Barbara Engel­hardt : Vous avez été directeur de théâtres munic­i­paux très var­iés : Stuttgart – Bochum – Vienne – Berlin pour n’en citer que les plus impor­tants. Chaque ville et son théâtre fonc­tion­nent d’une façon dif­férente. Deviez-vous éla­bor­er des con­cep­tions dif­férentes ? Aviez-vous une rela­tion très étroite avec chaque ville et chaque sit­u­a­tion sociale ? Com­ment cela se présente-t-il aujourd’hui au Berlin­er Ensem­ble ? Com­ment voyez-vous le rôle et les tâch­es, la chance et les dif­fi­cultés du Berlin­er Ensem­ble dans une ville comme Berlin : suren­det­tée, mais dotée d’une immense offre cul­turelle et d’une den­sité théâ­trale exem­plaire ? 

Claus Pey­mann : Pour moi, le Berlin­er Ensem­ble est un couron­nement après tous les défis précé­dents car c’est prob­a­ble­ment le théâtre de langue alle­mande le plus intéres­sant, riche d’une longue his­toire. C’est une mai­son qui ne com­mence nulle­ment avec Brecht car dans les années trente, ce fut le lieu le plus impor­tant pour la décou­verte de la lit­téra­ture con­tem­po­raine. LES TISSERANDS de Ger­hard Haupt­mann, LE JOYEUX VIGNOBLE de Zuck­may­er, PIONNIERS À INGOLSTADT de Marieluise Fleißer, L’OPÉRA DE QUAT’SOUS de Brecht ou encore LA NUIT ITALIENNE de Horváth y ont été créés.

Le Berlin­er Ensem­ble sera la dernière étape de mon par­cours en tant que directeur. J’ai com­mencé au théâtre uni­ver­si­taire de Ham­bourg, et j’ai été invité avec plusieurs pro­duc­tions par Jack Lang, dans le cadre du légendaire fes­ti­val de Nan­cy, comme Patrice Chéreau et beau­coup d’autres. Après Ham­bourg, j’ai mis en scène au TAT (The­ater am Turm) à Franc­fort, ensuite fondé avec Peter Stein la Schaubühne am Halleschen Ufer à Berlin. La Schaubühne était une ten­ta­tive de pra­ti­quer la prise de déci­sion col­lec­tive au théâtre. Mais j’ai échoué, du fait de dis­sen­sions esthé­tiques et poli­tiques. Durant les dif­férentes étapes de ma car­rière théâ­trale, j’ai fait l’expérience de tous les mod­èles du Stadt- und Staat­sthe­ater, c’est-à-dire le sys­tème théâ­tral dans les pays de langue alle­mande. Durant cinq ans, j’ai été directeur du théâtre de Stuttgart : nous y avons mis en scène les pièces de Thomas Bern­hard, fait sen­sa­tion par notre redé­cou­verte pour la scène des clas­siques tels que LES BRIGANDS de Schiller ou LA PETITE CATHERINE DE HEILBRONN de Kleist, IPHIGÉNIE de Goethe et FAUST I ET II (une mise en scène de dix heures répar­ties sur deux soirées!). Après quelques années couron­nées de suc­cès, j’ai provo­qué le scan­dale : lors de « l’automne alle­mand » de 1977, j’avais ver­sé un don de 350 DM pour les soins den­taires d’Ulrike Main­hof et Gudrun Ensslin, empris­on­nées à Stammheim. L’industriel Hans Mar­tin Schley­er était alors entre les mains de la RAF (Frac­tion armée rouge); plus tard, son cadavre a été décou­vert dans le cof­fre d’une voiture. Il fal­lait donc trou­ver des coupables de sub­sti­tu­tion. Je fus de ceux-là, comme Hein­rich Böll ou Volk­er Schlön­dorff. J’ai quit­té Stuttgart avec tous les comé­di­ens et les col­lab­o­ra­teurs artis­tiques, ain­si que quelques tech­ni­ciens, pour le théâtre munic­i­pal de Bochum. J’y avais le titre pom­peux de « directeur général ». Bochum est une ville indus­trielle de la Ruhr. Ce fut une péri­ode for­mi­da­ble. Nous avons été invités partout en Europe, en Bel­gique et en France notam­ment. Les créa­tions de Thomas Bern­hard, de Hein­er Müller et de Peter Hand­ke, ain­si que quelques clas­siques légendaires tels que LA BATAILLE D’ARMINIUS de Kleist (présen­té au Théâtre de l’Odéon dans le cadre du Fes­ti­val d’Automne 1984) et TORQUATO TASSO de Goethe ont été des « hits », et pas seule­ment dans la Ruhr… Durant sept ans, nous avons été le théâtre munic­i­pal le plus en vogue en Alle­magne.

B. E. : Théâtre munic­i­pal au sens où vous pou­viez dévelop­per avec la troupe per­ma­nente des pro­jets à long terme pour une ville ? Avec des acteurs, auteurs et met­teurs en scène de renom qui étaient liés de manière per­ma­nente à ce théâtre ? 

C. P. : Nous avons établi des rap­ports étroits avec Hein­er Müller et Matthias Lang­hoff par exem­ple. Bochum était – même par rap­port à la sit­u­a­tion en Alle­magne – un théâtre riche­ment doté, un théâtre dont on ne peut, en Bel­gique ou en France, que rêver. La ville de Bochum a réservé l’intégralité de son bud­get cul­turel à la scène du théâtre par­lé – et ne s’est pas payé en plus, comme d’autres villes alle­man­des, un opéra, un bal­let ou un orchestre de taille impor­tante. Et, deux stylites très con­tra­dic­toires ont été les deux antipodes de mon tra­vail à Bochum : d’un côté Hein­er Müller, de l’autre Thomas Bern­hard – tous les deux, dans leur genre, des anar­chistes et des ter­ror­istes du théâtre.

Après cela, j’ai été nom­mé directeur du plus grand théâtre sub­ven­tion­né de langue alle­mande, le Burgth­e­ater de Vienne. En com­para­i­son du Burgth­e­ater, la Comédie- Française est presque une petite entre­prise. Mon tra­vail au théâtre nation­al autrichien a été mon « étape reine ». Treize ans de lutte pour l’art ont divisé le pub­lic vien­nois comme jamais aupar­a­vant dans l’histoire de ce théâtre. Notre arrivée à Vienne a été qual­i­fiée de Tsuna­mi… Plus de la moitié des représen­ta­tions au Burgth­e­ather – pas moins de 1500 places – ont été con­sacrées aux auteurs con­tem­po­rains : Elfriede Jelinek, Thomas Bern­hard, Peter Hand­ke et le grand George Tabori dans la grande salle. La créa­tion de PLACE DES HÉROS de Bern­hard a provo­qué un scan­dale dans tout le pays et trans­for­mé l’Autriche. Le jour de la pre­mière, des opposants ont déver­sé devant le théâtre des camions entiers de purin, j’ai été agressé devant le théâtre, des min­istres ont exigé ma démis­sion, le car­di­nal a voulu inter­dire le spec­ta­cle, dix mille sig­na­tures ont été rassem­blées pour empêch­er la pro­lon­ga­tion de mon con­trat… Avec PLACE DES HÉROS, Thomas Bern­hard a dévoilé l’antisémitisme pro­fond des Autrichiens. Après ce scan­dale, le men­songe con­fort­able qui con­siste à affirmer que l’Autriche a été la pre­mière vic­time des nazis ne pou­vait plus tenir. Le Burgth­e­ater devint un tri­bunal, Vienne et l’Autriche étaient jusqu’alors aux mains des con­ser­va­teurs. Ain­si c’est instau­rée une ten­sion idéale entre notre théâtre, à la fois poli­tique et expéri­men­tal, et la ville.

B. E. : Vienne est une ville excep­tion­nelle­ment pas­sion­née par le théâtre à qui elle réserve un rôle impor­tant. C’est évidem­ment un bon point de départ pour tester la per­ti­nence sociale d’une pièce.

Pho­to Berlin­er Ensem­ble

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Théâtre
Claus Peymann
6
Partager
Barbara Engelhardt
Barbara Engelhardt est critique de théâtre et éditrice. Après avoir dirigé la revue Theater der...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements