Au théâtre l’erreur est toujours possible

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Au théâtre l’erreur est toujours possible

Entretien avec Georges Lavaudant

Le 20 Nov 2000
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
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Alter­na­tives Théâ­trales : Longtemps con­sid­éré comme un art pour les enfants et même qua­si mineur, on assiste aujourd’hui à une réha­bil­i­ta­tion de la mar­i­on­nette dans le monde du théâtre.

Ici même, au théâtre de l’Odéon on a pu décou­vrir dans la pro­gram­ma­tion des spec­ta­cles comme ceux d’Émilie Valan­tin, d’Ézéchiel Gar­cia-Romeu et au print­emps sera présen­té le tra­vail des Chiliens de la Trop­pa.

Com­ment expli­quer ce retour et cet engoue­ment et quel regard portes-tu sur ces spec­ta­cles ?

Georges Lavau­dant : Je con­nais peu l’univers de la mar­i­on­nette et ne suis pas spé­cial­iste de cette ques­tion ; est-ce que ces spec­ta­cles se retrou­vent dans la pro­gram­ma­tion parce qu’il s’agit de mar­i­on­nettes ou est-ce parce que les textes qu’ils met­taient en jeu ou la sen­si­bil­ité qu’ils met­taient en œuvre sur le plateau nous a plu ? En tout cas, il n’y a pas eu de volon­té péd­a­gogique, dans le bon sens du terme, de mon­tr­er ce renou­veau.

AT. : Il s’agit donc d’une présence tout à fait con­jonc­turelle ?

GL. : Pour moi les arts de la scène, je l’ai tou­jours dit et je ne peux qu’être fidèle à cette posi­tion, et si j’ai fait du théâtre, dès l’origine, c’est peut-être aus­si pour cette rai­son-là, les arts de la scène ne sont pas aus­si scindés, dif­féren­ciés, découpés que l’on veux bien le dire. Dans mes spec­ta­cles, il y a tou­jours eu de la musique, de la danse, et même dans les GÉANTS DE LA MONTAGNE des mar­i­on­nettes. Cela m’a tou­jours paru nor­mal que quelqu’un qui dirige un théâtre puisse faire accéder sur la scène des gens, des enfants, des ani­maux, des objets de bois, des gens qui saut­ent, qui dansent, d’autres qui crachent du feu. Je n’ai jamais con­sid­éré que la scène devait être un espace pur, sim­ple­ment lim­ité à la bonne dic­tion ; plus per­son­ne ne le pense d’ailleurs, et avec rai­son.

Mais en même temps, il est vrai que la mar­i­on­nette a acquis ces derniers temps une plus grande vis­i­bil­ité, grâce notam­ment au Fes­ti­val d’Automne, mais aus­si déjà aupar­a­vant, grâce à Jean-Louis Bar­rault, on a pu voir des arts qui venaient d’autres pays, qui eux étaient spé­cial­istes de cette chose-là et décou­vrir des artistes indonésiens, chi­nois, japon­nais,… pra­ti­quant un art élevé de la mar­i­on­nette.

AT. : Émi­lie Valan­tin, que tu as invitée ici, prend une posi­tion rad­i­cale et va jusqu’à dire que le théâtre du XXIe siè­cle­ser­ala­mar­i­on­nette !

GL. : Qui peut le dire ? C’est comme tou­jours, bien malin celui qui tire ain­si des plans sur la comète. Non, chaque fois qu’on essaye de met­tre en avant une des formes du théâtre, on est sûr de se faire débor­der par l’autre côté ; alors, est-ce que ce sera la mar­i­on­nette virtuelle, est-ce que ce sera la mar­i­on­nette de glace, est-ce que ce sera l’homme gref­fé, est-ce que ce sera l’acteur élec­tron­ique ? Je ne le sais pas. On est devant toutes ces ques­tions-là. J’imagine encore une fois que le théâtre sera le dernier endroit ou le naturel de l’homme ne sera plus
en action …

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas la place pour cette démarche et, de son point de vue, je pense qu’elle a rai­son de sec­ouer le cocoti­er. Mais, dans le fond, la mar­i­on­nette est régie par quelqu’un, dis­simulé, caché ou à vue. Ce n’est pas une machine, des élec­trons, c’est encore une sen­si­bil­ité humaine qui est en train de lui don­ner souf­fle. C’est pour ça d’ailleurs, que ça demeure émou­vant, l’erreur est tou­jours pos­si­ble, c’est un humain qui la manip­ule et la fait bouger.

AT. : N’y‑a-t-il pas une accoin­tance entre l’art de la mise en scène de théâtre et la mar­i­on­nette, celle-ci prenant sa « source dans les jeux secrets de l’enfance » comme dis­ait Antoine Vitez ?

GL. : C’est vrai que je n’arrive pas à démêler les fils, car j’ai com­mencé effec­tive­ment à faire des mar­i­on­nettes avec mon frère, dans un gre­nier, avec des pommes de terre, des morceaux de plâtre, de la mie de pain c’est sûr qu’on démarre par ça et qu’on a l’impression d’être un démi­urge, d’être le maître du monde. On invente des gens, on les fait appa­raître, et on les aban­donne, on les fait bouger à notre gré. Il y a tou­jours der­rière un met­teur en scène, prob­a­ble­ment, ce rêve machi­avélique…

AT.: d’être le mar­i­on­net­tiste…

GL. : Oui, d’être le dieu, celui qui meut absol­u­ment l’ensemble, à qui on obéit le doigt sur la cou­ture et puis en même temps après et avec bon­heur, on s’est ren­du compte au con­traire que les acteurs, dès qu’ils accè­dent à la représen­ta­tion, sont là pour déjouer, agrandir, et échap­per à un cer­tain con­trôle qu’ils ont subi dans la phase d’élaboration.

LES GÉANTS DE LA MONTAGNE de Luigi Pirandello, mise en scène Georges Lavaudant, 1999. Photo Teresa Miro.
LES GÉANTS DE LA MONTAGNE de Lui­gi Piran­del­lo, mise en scène Georges Lavau­dant, 1999. Pho­to Tere­sa Miro.

AT. : En tant que met­teur en scène, com­ment vois-tu les rap­ports qui nais­sent lorsque l’acteur manip­ule lui-même la mar­i­on­nette ou joue avec elle ? Cela ouvre-t-il des voies nou­velles à explor­er ?

GL. : J’ignorais absol­u­ment tout des manip­u­la­tions et je me suis fié, dans le bon sens, à ce que com­mençaient à pro­duire les acteurs. Je me suis ren­du compte qu’on était obligé de respecter deux ou trois lois fon­da­men­tales de la manip­u­la­tion ; il y a des choses qui fonc­tion­nent, d’autres qui ne fonc­tion­nent pas.

C’était une sorte de réin­ven­tion un peu naïve et som­maire, il faut bien le recon­naître, et l’expérience n’a pas été poussée plus loin dans le sens d’une grande vir­tu­osité, c’était plutôt l’idée de faire exis­ter une espèce d’état sen­si­ble où la fragilité de la mar­i­on­nette, son opac­ité étaient respec­tées. Je pense qu’il faut faire très atten­tion à ces objets qu’on com­mence à ani­mer, on ne peut pas les vio­len­ter quand ça com­mence à ressem­bler à de l’humain.

Pro­pos recueil­lis par Bernard Debroux.

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Georges Lavaudant
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Bernard Debroux
Bernard Debroux
Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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