Alternatives Théâtrales : Longtemps considéré comme un art pour les enfants et même quasi mineur, on assiste aujourd’hui à une réhabilitation de la marionnette dans le monde du théâtre.
Ici même, au théâtre de l’Odéon on a pu découvrir dans la programmation des spectacles comme ceux d’Émilie Valantin, d’Ézéchiel Garcia-Romeu et au printemps sera présenté le travail des Chiliens de la Troppa.
Comment expliquer ce retour et cet engouement et quel regard portes-tu sur ces spectacles ?
Georges Lavaudant : Je connais peu l’univers de la marionnette et ne suis pas spécialiste de cette question ; est-ce que ces spectacles se retrouvent dans la programmation parce qu’il s’agit de marionnettes ou est-ce parce que les textes qu’ils mettaient en jeu ou la sensibilité qu’ils mettaient en œuvre sur le plateau nous a plu ? En tout cas, il n’y a pas eu de volonté pédagogique, dans le bon sens du terme, de montrer ce renouveau.
A. T. : Il s’agit donc d’une présence tout à fait conjoncturelle ?
G. L. : Pour moi les arts de la scène, je l’ai toujours dit et je ne peux qu’être fidèle à cette position, et si j’ai fait du théâtre, dès l’origine, c’est peut-être aussi pour cette raison-là, les arts de la scène ne sont pas aussi scindés, différenciés, découpés que l’on veux bien le dire. Dans mes spectacles, il y a toujours eu de la musique, de la danse, et même dans les GÉANTS DE LA MONTAGNE des marionnettes. Cela m’a toujours paru normal que quelqu’un qui dirige un théâtre puisse faire accéder sur la scène des gens, des enfants, des animaux, des objets de bois, des gens qui sautent, qui dansent, d’autres qui crachent du feu. Je n’ai jamais considéré que la scène devait être un espace pur, simplement limité à la bonne diction ; plus personne ne le pense d’ailleurs, et avec raison.
Mais en même temps, il est vrai que la marionnette a acquis ces derniers temps une plus grande visibilité, grâce notamment au Festival d’Automne, mais aussi déjà auparavant, grâce à Jean-Louis Barrault, on a pu voir des arts qui venaient d’autres pays, qui eux étaient spécialistes de cette chose-là et découvrir des artistes indonésiens, chinois, japonnais,… pratiquant un art élevé de la marionnette.
A. T. : Émilie Valantin, que tu as invitée ici, prend une position radicale et va jusqu’à dire que le théâtre du XXIe siècleseralamarionnette !
G. L. : Qui peut le dire ? C’est comme toujours, bien malin celui qui tire ainsi des plans sur la comète. Non, chaque fois qu’on essaye de mettre en avant une des formes du théâtre, on est sûr de se faire déborder par l’autre côté ; alors, est-ce que ce sera la marionnette virtuelle, est-ce que ce sera la marionnette de glace, est-ce que ce sera l’homme greffé, est-ce que ce sera l’acteur électronique ? Je ne le sais pas. On est devant toutes ces questions-là. J’imagine encore une fois que le théâtre sera le dernier endroit ou le naturel de l’homme ne sera plus
en action …
Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas la place pour cette démarche et, de son point de vue, je pense qu’elle a raison de secouer le cocotier. Mais, dans le fond, la marionnette est régie par quelqu’un, dissimulé, caché ou à vue. Ce n’est pas une machine, des électrons, c’est encore une sensibilité humaine qui est en train de lui donner souffle. C’est pour ça d’ailleurs, que ça demeure émouvant, l’erreur est toujours possible, c’est un humain qui la manipule et la fait bouger.
A. T. : N’y‑a-t-il pas une accointance entre l’art de la mise en scène de théâtre et la marionnette, celle-ci prenant sa « source dans les jeux secrets de l’enfance » comme disait Antoine Vitez ?
G. L. : C’est vrai que je n’arrive pas à démêler les fils, car j’ai commencé effectivement à faire des marionnettes avec mon frère, dans un grenier, avec des pommes de terre, des morceaux de plâtre, de la mie de pain c’est sûr qu’on démarre par ça et qu’on a l’impression d’être un démiurge, d’être le maître du monde. On invente des gens, on les fait apparaître, et on les abandonne, on les fait bouger à notre gré. Il y a toujours derrière un metteur en scène, probablement, ce rêve machiavélique…
A. T.: d’être le marionnettiste…
G. L. : Oui, d’être le dieu, celui qui meut absolument l’ensemble, à qui on obéit le doigt sur la couture et puis en même temps après et avec bonheur, on s’est rendu compte au contraire que les acteurs, dès qu’ils accèdent à la représentation, sont là pour déjouer, agrandir, et échapper à un certain contrôle qu’ils ont subi dans la phase d’élaboration.
A. T. : En tant que metteur en scène, comment vois-tu les rapports qui naissent lorsque l’acteur manipule lui-même la marionnette ou joue avec elle ? Cela ouvre-t-il des voies nouvelles à explorer ?
G. L. : J’ignorais absolument tout des manipulations et je me suis fié, dans le bon sens, à ce que commençaient à produire les acteurs. Je me suis rendu compte qu’on était obligé de respecter deux ou trois lois fondamentales de la manipulation ; il y a des choses qui fonctionnent, d’autres qui ne fonctionnent pas.
C’était une sorte de réinvention un peu naïve et sommaire, il faut bien le reconnaître, et l’expérience n’a pas été poussée plus loin dans le sens d’une grande virtuosité, c’était plutôt l’idée de faire exister une espèce d’état sensible où la fragilité de la marionnette, son opacité étaient respectées. Je pense qu’il faut faire très attention à ces objets qu’on commence à animer, on ne peut pas les violenter quand ça commence à ressembler à de l’humain.
Propos recueillis par Bernard Debroux.