MILAN est un des chefs‑d’œuvre du cinéma néo-réaliste d’après-guerre, réalisé par Vittorio de Sica et écrit par Zavattini (fruit d’une collaboration régulière, avec LE VOLEUR DE BICYCLETTE, UMBERTO D.) Le film obtint, entre autres, la Palme d’Or à Cannes en 1951. Il raconte l’étrange histoire de Toto (d’après TOTO IL BUONO de Zavattini) qui naquit dans un champ de choux. Il y fut trouvé par la vieille Lolotta, qui mourut bientôt, en laissant à l’enfant un capital confiance extraordinaire en cette période peu prospère… Placé à l’orphelinat, Toto n’en ressort qu’à vingt ans et va habiter dans les taudis de la banlieue de Milan. Il salue d’un « bonjour » naïf tous les habitants de son bidonville, les incite à le reconstruire après la tempête, par le miracle de la volonté (le premier). Il y aura ensuite des vrais miracles, permis par le fantôme de Lolotta, qui lui envoie du ciel une colombe blanche… Le pétrole jaillira sur le sol des pauvres. Ils résisteront à Mobbi, l’effroyable propriétaire du terrain qui veut les en chasser. Ils finissent même par s’envoler sur des balais, comme de gentilles sorcières, pour échapper à leurs persécuteurs…
Inutile de préciser que le ton de la fable, qui finalement raconte l’histoire d’une victoire des pauvres sur les méchants, étonna ses spectateurs d’après-guerre, (à gauche comme à droite), habitués à un cinéma qui disait le réalisme quotidien. L’intérêt de cette métaphore du pouvoir réside notamment dans l’association délicate de plans austères de Milan en pleine reconstruction, avec des scènes totalement fantaisistes. Par moments, des scènes graves montrent l’immense misère de l’Italie d’après-guerre, à d’autres, des séquences improbables, féeriques, magiques… sont propres à redonner l’espoir. L’écriture de Zavattini a su conjuguer ces deux axes opposés, et De Sica les restituer avec poésie, en maintenant l’équilibre entre les acteurs professionnels et les amateurs, entre des moments de pure fantaisie (apparition d’anges, du fantôme de Lolotta et autres événements surnaturels) et des inventions formelles innovantes dans le néo-réalisme (surimpositions, montage rapide, mouvement inverse).
La Cie Gioco Vita, qui œuvre à Piacenza (près de Milan) a créé MIRACLE À MILAN sur scène, au moyen du théâtre d’ombres. Ce spectacle associe le jeu des acteurs avec celui des silhouettes, qui défilent, ici, devant ou derrière un astucieux décor composé de panneaux de plexiglass. Ils servent à la fois de panneaux de construction du bidonville où habitent Toto et ses amis, mais également d’écran pour les ombres. La Compagnie Gioco Vita combine également un travail sur les silhouettes manipulées à vue, et sur leurs projections derrière les panneaux, – qui offrent des possibilités de perspective et de changement d’échelles très intéressants. Ainsi les types d’interprétation (acteurs ou figures) peuvent alterner dans un décor qui recèle différentes zones de jeu, et de nombreux plans. MIRACLE À MILAN est un univers peuplé de figures. Des figures comme le sont tous les personnages mémorables du film de De Sica et des figures comme le sont les ombres de notre spectacle : exempts de psychologisme, des figures au caractère fixé pour toujours, comme les profils des silhouettes que nous utilisons. Des figures et non des images, expliquait le metteur en scène Fabricio Montecchi lors de la création en 2001. La Compagnie réalise des spectacles d’ombres depuis les années 70 (notamment pour les enfants) et participe à son développement moderne en Occident. Pour MIRACLE À MILAN, la traduction des images du film en silhouettes traduit leur désir de faire dialoguer le cinéma et le théâtre d’ombres, deux formes artistiques majeures qui vivent à travers l’écran.
Le dialogue entre ces deux formes est évident pour les amateurs d’ombres et d’images. Raul Ruiz, avait d’ailleurs écrit un Traité des ombres chinoises, susceptible de lui servir de référence théorique pour la réalisation d’un de ses films, LES CHIENS CRIENT LEUR CHAGRIN. Le cinéaste chilien expliquait qu’il aimait bien utiliser des références extravagantes, réelles ou inventées. Pour ce film, il voulait se servir des PROPOS SUR LA PEINTURE DU MOINE CITROUILLE VERT (qui existeraient vraiment ), et de son TRAITÉ D’OMBRES inventé…
Les ombres naissent dans le cœur. Elles se précipitent vers les mains comme un troupeau de chevaux épouvantés par une tempête. Ils cherchent à s’échapper par les mains. ( …) Les formes sont comme ces chevaux qui cherchent à s’échapper de l’écurie en flammes. Les mains sont les portes.
( …) Il faut faire voir que les choses sont des ombres illusoires et que les ombres sont des choses réelles.
Hsieh Ho ( …) disait : « Dans mon théâtre, tout se passe au fond d’un étang et les témoins sont les poissons ». Il disait : « Les spectateurs sont les fantômes des noyés. » C’est vrai qu’il aimait beaucoup plaisanter.
Wang Shih-Shen (pseudonyme de Raul Ruiz )