Tendre vers Brecht

Tendre vers Brecht

Le 8 Avr 2001

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Rwanda 94-Couverture du Numéro 67-68 d'Alternatives Théâtrales
67 – 68
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« Les chants des hommes sont plus beaux qu’eux-mêmes »

Naz­im Hik­met

LE MOT BRECHT ne se réduit ici ni à un homme, ni à son œuvre.
Quand je décris un tel désir, « Ten­dre vers Brecht », je veux dire : ten­dre vers ce que Brecht désir­ait lui-même. Je l’entends au sens large : le pro­jet social, la créa­tion du « diver­tisse­ment de l’ère sci­en­tifique », les valeurs philosophiques et morales inspi­rant de nou­veaux rap­ports entre les hommes (« être ami­cal »), etc.

Ce pro­jet brechtien con­stitue un monde, on pour­rait dire aus­si : ce monde est en fait un pro­jet. Toutes les par­ties en sont étroite­ment inter­dépen­dantes, avec leur autonomie. Toutes ont évolué con­sid­érable­ment au cours de sa vie. Mais, con­traire­ment à ce qu’on lit de plus en plus, elles me sem­blent con­stituer un ensem­ble en for­ma­tion d’une cohérence remar­quable.

De ce pro­jet-monde, Brecht (l’homme) se sen­tait à peine digne et cha­cun sait que la mod­estie ne l’étouffait pas vrai­ment – Brecht, l’écrivain et le faiseur de théâtre, en était l’artisan. Œuvres et réflex­ions en indiquent les pistes, ou le pre­mier déchiffre­ment. Cer­taines de ces indi­ca­tions sem­blent plus claires que d’autres :

Bon­heurs

« Le pre­mier regard par la fenêtre au matin
Le vieux livre retrou­vé
Des vis­ages ent­hou­si­astes
De la neige, le retour des saisons
Le jour­nal
Le chien
La dialec­tique
Pren­dre une douche, nag­er
De la musique anci­enne
Des chaus­sures con­fort­a­bles
Com­pren­dre
De la musique nou­velle
Écrire, planter
Voy­ager
Chanter
Être ami­cal »

Tout ici est superla­tive­ment pro­jet brechtien. Depuis l’humble pluriel du titre, con­tre les grandes notions méta­physiques (« le » bon­heur), jusqu’à ce style à nul autre pareil qui crée une émo­tion poignante sans jamais se répan­dre, sans nom­mer la pré­car­ité
de l’existence (« ne sois pas si roman­tique »), sans dire la nos­tal­gie pas­sion­née d’un autre état du monde.

Je dis aujourd’hui que, dans ce sens, « ten­dre vers Brecht », c’est-à-dire vers ce que je crois pou­voir iden­ti­fi­er de la ten­sion brechti­enne elle-même, con­stitue une sorte d’idéal, de rêve et de méth­ode pour notre tra­vail actuel.

Un exem­ple. Sur le théâtre de Brecht, comme auteur et comme met­teur en scène, deux réal­ités se con­juguent qu’il voudrait aus­si qu’on dis­tingue.
L’une pose des per­son­nages, une sit­u­a­tion, des actions et des paroles, tout cela en un moment don­né de l’histoire telle qu’il voudrait la lire avec nous.
Met­tons : Pélagie Vlasso­va dans sa cabane observe en récrim­i­nant les ouvri­ers imp­ri­mant un tract.1 Dans cette réal­ité, il y a la mis­ère du pro­lé­tari­at de l’époque, les rela­tions entre tra­vailleurs, la men­ace de la police, la ruse des com­mu­nistes, les rap­ports de la Mère au fils, des élé­ments sur sa con­cep­tion du monde soumise, etc. Dans l’autre réal­ité, con­sub­stantielle à la précé­dente dans la réal­i­sa­tion scénique, il y a une esthé­tique mer­veilleuse de sim­plic­ité, de beauté et d’intelligence, à par­tir des matéri­aux apparem­ment les plus pau­vres. Il y a une chan­son poli­tique, chan­tée par Macha, d’une légèreté et d’une pureté lumineuses dans son énergie, toute lour­deur, toute pesan­teur en sont exclues alors que les paroles sont red­outa­bles. Il y a une grâce du mou­ve­ment de chaque acteur, comme d’un homme réc­on­cil­ié avec son corps, avec ses pul­sions, avec la vie. Il y a un équili­bre du plateau dans la petite masure où les groupe­ments « arti­fi­ciels » des mil­i­tants se font avec aisance, et sem­blent aus­si naturels que les gestes fonc­tion­nels de Pélagie en train de coudre. Il y a des voix et des vis­ages extrême­ment typés, indi­vid­u­al­isés, mais aus­si har­mon­isés que la clar­inette, le piano et le vio­lon dans un trio clas­sique. Il y a ce ton posé, mais rapi­de, soutenu, sans com­plai­sance, et la clarté de ce qui se dit n’ôte rien à la com­plex­ité de ce qui se joue. Etc.

  1. LA MÈRE, de Brecht — Eisler, d’après Gor­ki, scène 2. ↩︎

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Jacques Delcuvellerie
Jacques Delcuvellerie a fondé le Groupov en 1980. Metteur en scène et théoricien, il enseigne...Plus d'info
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