L’enrichissement réciproque du théâtre et de l’opéra :Olivier Py sous le signe du lyrisme

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L’enrichissement réciproque du théâtre et de l’opéra :Olivier Py sous le signe du lyrisme

Le 19 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
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POÈTE AFFIRMÉ de la total­ité, catholique et homo­sex­uel flam­boy­ant, homme d’influence dans la pen­sée et la pra­tique des poli­tiques cul­turelles français­es : les lieux com­muns sur Olivi­er Py (né en 1965) abon­dent1. Ils ont été depuis longtemps iden­ti­fiés, mais con­tin­u­ent de struc­tur­er les dis­cours le con­cer­nant. « Cho­quer le bour­geois » ? Cer­tains événe­ments acces­soires ont pu ali­menter un tel dis­posi­tif : en 2005, l’utilisation d’un « hardeur » dans la bac­cha­nale intro­duc­tive assure une cer­taine pub­lic­ité à son TANNHÄUSER et cinq ans plus tard, sa LULU s’est trou­vée pour des raisons sim­i­laires « décon­seil­lée à un pub­lic de moins de seize ans », for­mule inédite à l’opéra. Quels sont les traits les plus tan­gi­bles de cette sup­posée provo­ca­tion, qui a tou­jours trait à l’«ob-scène », c’est-à-dire au spec­ta­cle ? Ce sont, pêle-mêle, la nudité exhibée, la sex­u­al­ité man­i­festée, l’homoérotisme, la reli­giosité osten­ta­toire, l’entrelacement du sub­lime et du grotesque, le goût pour le sim­u­lacre et le trav­es­tisse­ment, etc.

L’homme Py ren­force cela : faune séduisant à la voix pointue, au verbe facile et bril­lant (« bavard », dis­ent les uns ; « généreux », rétorquent les autres), auteur d’une pen­sée cul­tivée extrême­ment rodée et sus­cep­ti­ble de ten­dre au sys­tème, porté à la démesure, un brin nar­cis­sique, et volon­tiers exhi­bi­tion­niste (dans un rap­port inverse­ment pro­por­tion­nel à son scéno­graphe de tou­jours, Pierre-André Weitz, qui sem­ble quant à lui ten­dre vers tou­jours plus d’effacement), et omniprésent dans le champ médi­a­tique français dès lors que l’avenir de la cul­ture, enten­due par lui comme socle de toute poli­tique, est en jeu. Le tout relevé d’un esprit cri­tique et d’un sens de l’autodérision cer­tains, comme le prou­vent ses ILLUSIONS COMIQUES (2006), pièce « métathéâ­trale » dans laque­lle, sous le signe joyeux et amer de la « van­ité », il tenait plus ou moins son pro­pre rôle, rejouant, déjouant, et relançant les lieux com­muns le con­cer­nant.
Pour­tant l’univers théâ­tral d’Olivier Py mon­tre une cohérence et un naturel qui lui con­fèrent une sorte de « clas­si­cisme ». Certes, l’activité menée par Olivi­er Py à l’opéra suit d’une dizaine d’années au moins celle entre­prise sur la scène théâ­trale. Néan­moins, il ne saurait être placé dans la caté­gorie, naguère illus­trée de manière emblé­ma­tique par Patrice Chéreau, des met­teurs en scène d’abord issus du théâtre, et venus ensuite, avec des moyens pro­pres à cet univers, régénér­er l’art lyrique. La for­ma­tion musi­cale de Py, à l’instar de celle de Weitz, est assez poussée, et sa mélo­manie – voire sa lyri­co­manie – est indé­ni­able. Il appré­cie qu’il en aille de même chez ses acteurs, dont il attend qu’ils soient, con­crète­ment mais aus­si métaphorique­ment, de « bons chanteurs ». Nour­ri des Pères de l’Église et de Claudel, Py a en effet dévelop­pé une cer­taine « mys­tique de la vocal­ité ». Il n’a de cesse de ren­dre compte de sa fas­ci­na­tion pour le chant : pour la nudité dans laque­lle il place celui qui s’y adonne, ce qu’il appelle son « dan­ger spir­ituel extrême» ; pour l’expression de ce désir dont il témoigne, de renouer avec l’unité per­due entre le son et le sens, la chair et l’esprit. À ce titre, il n’est pas de ceux qui dis­crédi­tent le chanteur d’opéra au nom d’un sup­posé manque de crédi­bil­ité dra­ma­tique. Les impérat­ifs de la musique ne sont pas pour lui con­traires à ceux du drame.

Entre l’acteur de théâtre et le chanteur d’opéra, il laisse davan­tage sup­pos­er un enrichisse­ment réciproque qu’une irré­ductibil­ité con­flictuelle. D’une cer­taine façon, Py con­sid­ère en effet que le sec­ond pour­rait bien représ- enter le mod­èle du pre­mier. Le chanteur d’opéra, vic­time des con­ven­tions asep­tisées du ciné­ma et de la télévi­sion, aurait per­du con­tact avec l’essence du lyrisme, dont il était pour­tant le déposi­taire pre­mier ; dès lors, s’il veut retrou­ver ce qui lui apparte­nait orig­inelle­ment en pro­pre, c’est para­doxale­ment vers l’acteur de théâtre qu’il doit se retourn­er, car c’est lui qui en aurait repris le flam­beau.
Le dénom­i­na­teur com­mun du théâtre et de l’opéra, le principe qui les unit, et qui pour­rait servir à car­ac­téris­er l’ensemble de la geste artis­tique d’Olivier Py, c’est donc le lyrisme. Quand il déclare qu’il se con­sid­ère davan­tage comme un chanteur que comme un écrivain, il indique par là qu’il priv­ilégie l’oralité sur la dimen­sion pro­pre­ment écrite du lan­gage ; et quand il dit aimer en tout que « cela chante », c’est parce qu’il souhaite remet­tre en ques­tion ce que le lan­gage peut avoir de trop rationnel, logique ou causal. On pour­rait donc avancer qu’au logos – pro­mu par les Lumières français­es – il préfère le mythos, poé­tique et musi­cal, intu­itif et poly­sémique, tel que van­té par les mys­tiques ou les roman­tiques alle­mands. Enfin, le chant, qui est selon lui vibra­tion et incar­na­tion, qui rac­corde ce qui existe (le monde présent) à ce qui est (le monde éter­nel), pos­sède une valeur exis­ten­tielle et méta­physique : il con­cen­tre toute la douleur et toute la joie d’être au monde – ce qui, pour Py, va sou­vent de pair. Le lyrique appa­raît alors chez lui comme le sum­mum du « poé­tique ».

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Olivier Py
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Timothée Picard
Timothée Picard est maître de conférences à l’université Rennes 2 et membre de l’Institut universitaire...Plus d'info
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