L’enfance au cœur du jeu

Entretien
Théâtre

L’enfance au cœur du jeu

Yannic Mancel s’entretient avec Éric Soyer

Le 21 Oct 2016
Noémie Carcaud et Caroline Donnelly dans Cendrillon, mise en scène Joël Pommerat, scénographie et lumière Éric Soyer, création Théâtre National – Bruxelles, 2011. Photo Elizabeth Carecchio.
Noémie Carcaud et Caroline Donnelly dans Cendrillon, mise en scène Joël Pommerat, scénographie et lumière Éric Soyer, création Théâtre National – Bruxelles, 2011. Photo Elizabeth Carecchio.

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Noémie Carcaud et Caroline Donnelly dans Cendrillon, mise en scène Joël Pommerat, scénographie et lumière Éric Soyer, création Théâtre National – Bruxelles, 2011. Photo Elizabeth Carecchio.
Noémie Carcaud et Caroline Donnelly dans Cendrillon, mise en scène Joël Pommerat, scénographie et lumière Éric Soyer, création Théâtre National – Bruxelles, 2011. Photo Elizabeth Carecchio.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 130 - Ancrage dans le réel / Théâtre National (Bruxelles) 2004-2017
130

Ym Vous êtes à la fois plas­ti­cien, scéno­graphe, créa­teur de lumières. Quelles ont été vos écoles et lieux d’apprentissage ?

Es J’ai tou­jours joué de mes mains. J’aimais trans­former les espaces et les objets, bricol­er, mod­el­er la matière. Une cer­taine apti­tude à la « man­u­al­ité », dirons-nous. Je me sou­viens qu’un jour mon père m’avait même offert un petit kit d’électricité avec des ampoules, des vari­a­teurs, des inter­rup­teurs… L’école m’a ensuite appris à aimer les his­toires, les romans, la lit­téra­ture – une autre façon de voy­ager et de rêver. Le lycée m’a offert une option A3 arts plas­tiques.

Ma grande chance fut de pou­voir, au début des années 90, inté­gr­er l’école Boulle dans une sec­tion qui s’intitulait « expres­sion visuelle, espaces de com­mu­ni­ca­tion », un cur­sus très tech­nique où l’on apprend à con­cevoir et à réalis­er des archi­tec­tures éphémères. Diplôme en poche, je suis engagé dans des bureaux d’étude où l’on réal­i­sait des espaces com­mer­ci­aux. Et c’est en réno­vant les bureaux du Théâtre de la Main d’Or, à la demande de Jean-Chris­t­ian Grinevald, que j’ai ren­con­tré une com­pag­nie qui allait chang­er le cours de ma vie, la com­pag­nie ACT ani­mée par Andrew Wil­son, qui adap­tait des clas­siques en langue anglaise pour le jeune pub­lic. Pen­dant sept ans, ces gens m’ont appris le théâtre, le méti­er de régis­seur, com­ment branch­er un pro­jecteur… Ils sont mon école. C’est là que j’ai pris con­science de la lumière, à l’anglo-saxonne, c’est-à-dire plongé dans le bain, en immer­sion. Chaque spec­ta­cle se jouait deux fois par jour, à rai­son de 150 représen­ta­tions dans l’année. J’y ai appris à vivre avec les acteurs, à dia­loguer avec eux.

Ym Et c’est donc à la Main d’Or, pre­mier trem­plin parisien de Joël Pom­mer­at, que la ren­con­tre a eu lieu ?

Es Joël y avait loué une salle pour y présen­ter ses tout pre­miers spec­ta­cles, avant d’y être offi­cielle­ment accueil­li avec Les Evéne­ments, puis Pôles, spec­ta­cles sur lesquels on m’a demandé de rem­plac­er un régis­seur défail­lant. Vin­cent Le Nouëne, qui était à l’époque le con­cep­teur lumière de Joël, lui a sug­géré de m’engager comme scéno­graphe et Treize Étroites Têtes nous a réu­nis pour la pre­mière fois. Dès ce pre­mier spec­ta­cle, la manière dont nous allions tra­vailler était posée : des scènes d’intérieur et d’extérieur, un sol à 40 cm, un tapis roulant de cour à jardin qui per­me­t­tait de marcher ou de courir en demeu­rant sur place, des fris­es mobiles en dur, très matiérées, qui per­me­t­taient de mod­uler le cadre, et déjà le tout dans une boîte noire dont la pro­fondeur était délim­itée par un cyclo­rama, autant d’éléments qui nous inci­taient à tra­vailler sur les dif­férents plans suc­ces­sifs du jeu et de l’image. Une grande par­tie de notre gram­maire com­mune était déjà là. Quand Vin­cent Le Nouëne, pour divers­es raisons per­son­nelles, a décidé de quit­ter l’aventure, j’ai donc repris les com­man­des de la lumière en l’articulant organique­ment, dès la phase de con­cep­tion, avec la scéno­gra­phie. La tech­nolo­gie nous a per­mis un peu plus tard de réu­nir les deux activ­ités. Et pour­tant les out­ils de ma for­ma­tion ini­tiale sont à la base très tra­di­tion­nels et très rudi­men­taires : le dessin à l’équerre et le jeu d’orgues à pous­soirs… J’ai pu vivre là cette étape indis­pens­able qu’est le temps de l’apprentissage, de l’apprivoisement manuel et arti­sanal de la tech­nique.

Ym Com­ment s’est donc opérée l’évolution ?

Es Autour de l’an 2000, nous avons pro­gres­sive­ment bas­culé vers la pro­gram­ma­tion numérique, mais j’ai tou­jours tenu à con­serv­er un pupitreur, pour garder la maîtrise et pou­voir con­tin­uer mes allers-et-retours entre la table et le plateau. Je n’enregistre la pro­gram­ma­tion que dans un sec­ond temps, après avoir trou­vé ce que je cherche avec les manettes. J’ai besoin de ce va-et-vient. Ayant pra­tiqué la régie de plateau, m’étant un très long temps tenu en retrait dans la coulisse, il me parais­sait impos­si­ble de rester en sur­plomb frontal et de pro­gram­mer seule­ment de loin. J’ai besoin d’aller voir aus­si l’effet que ça pro­duit dans la prox­im­ité de l’acteur. C’est dans cet aller-et-retour entre table de régie et plateau, par exem­ple, que s’est inven­té le tableau du tra­vail à la chaîne dans Les Marchands. C’est comme cela que se développe une créa­tiv­ité de plateau fondée sur l’artisanat et l’accident – de par­cours, de répéti­tion… –, celui qui vous fait presque par hasard (re)trouver une inven­tion scénique oubliée ou inédite. Le mode d’écriture et de pro­duc­tion que nous avons adop­té fait que cha­cun de nos spec­ta­cles est un lab­o­ra­toire. Nous avons ain­si, pas à pas, établi une gram­maire sur laque­lle nous pou­vons nous appuy­er, mais une gram­maire ouverte, qui nous donne tou­jours la lib­erté de nous fix­er de nou­veaux défis : la vague de Pinoc­chio, l’éclipse de Grâce à mes yeux, l’amplification des bruits de pas dans Les Marchands, le noir absolu dans Ma Cham­bre froide, les appari­tions-dis­pari­tions dans La Réu­ni­fi­ca­tion des deux Corées… Ce tra­vail d’exploration et d’expérimentation inclut aus­si François Ley­marie au son, assisté de son neveu Gré­goire à la dif­fu­sion et au mix­age, Isabelle Def­fin aux cos­tumes, Thomas Ramon aux acces­soires et à la con­struc­tion d’objets, Emmanuel Abat­te  qui coor­donne la direc­tion tech­nique, et enfin Renaud Rubiano pour toutes les formes de créa­tion vidéo.

Carlo Collodi, mise en scène Joël Pommerat, scénographie et lumière Éric Soyer, création Odéon-Théâtre de l’Europe (atelier Berthier), 2008. Photo Elizabeth Carecchio.
Car­lo Col­lo­di, mise en scène Joël Pom­mer­at, scéno­gra­phie et lumière Éric Soy­er, créa­tion Odéon-Théâtre de l’Europe (ate­lier Berthi­er), 2008. Pho­to Eliz­a­beth Carec­chio.

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Éric Soyer
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Yannic Mancel
Après l’avoir été au Théâtre National de Strasbourg puis au Théâtre National de Belgique, Yannic...Plus d'info
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