Sexe, transgression et travestis

Entretien
Théâtre

Sexe, transgression et travestis

Entretien avec Krzysztof Warlikowski

Le 17 Jan 2007
LA NUIT DES ROIS mise en scène Krzysztof Warlikowski.
LA NUIT DES ROIS mise en scène Krzysztof Warlikowski.

A

rticle réservé aux abonné.es
LA NUIT DES ROIS mise en scène Krzysztof Warlikowski.
LA NUIT DES ROIS mise en scène Krzysztof Warlikowski.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 92 ) Le corps travesti
92

PIOTR GRUSZCZYNSKI : D’où vient, chez Shake­speare, cet intérêt pour les gens exclus ? Cela provient-il de son homo­sex­u­al­ité, de son sens de la jus­tice, ou l’époque le voulait-elle ain­si ?

Krzysztof War­likows­ki : Je pense que cela vient surtout de la dif­féren­ci­a­tion sex­uelle, de la sen­sa­tion d’être exclu, d’une vie à la fron­tière du sexe. On le voit par­faite­ment dans le cas de Vio­la dans LA NUIT DES ROIS, lorsqu’elle décide de se vêtir en homme au moment de par­tir en voy­age. Pourquoi ?

P. G.: On en a déjà par­lé, cela pou­vait être une déci­sion liée aux con­ve­nances, aux mœurs. On sait que la vie est plus facile pour un homme, qu’il est plus autonome, plus indépen­dant.

K. W.: Je sais, je sais, mais je me demande d’où provient chez Shake­speare une telle his­toire. Pourquoi lui arrive-t-il aus­si sou­vent de chang­er les sex­es ? Bien sûr, il y a cette con­ven­tion au nom de laque­lle, dans le théâtre, tout était joué par des garçons.

P. G.: C’était la norme autre­fois.

K. W.: Tu par­les des exclus, mais c’était alors des gens qui souf­fraient dans la soli­tude et le silence. Ce n’était pas des minorités qui lut­taient pour leurs droits. C’était des homo­sex­uels, des femmes, des noirs, des Juifs, des gens con­damnés à per­dre. Ici, au théâtre, grâce à des moyens struc­turaux très com­plex­es, par­fois ironiques comme par exem­ple le théâtre dans le théâtre, Shake­speare peut en par­ler com­plète­ment dif­férem­ment. Il peut pren­dre leur par­ti, mais de manière non explicite.

P. G.: Peut-être est-ce un sub­terfuge, une ten­ta­tive pour par­ler par exem­ple de l’homosexualité, mais der­rière un masque ?

K. W.: Je ne sais pas jusqu’à quel point Shake­speare jouait avec lui-même, à quel point ce jeu l’excitait. La descrip­tion d’une vie homo­sex­uelle devient soit une vari­ante de lit­téra­ture pornographique, soit quelque chose de retenu, sans res­pi­ra­tion. Cela se passe autrement quand cela s’accompagne d’un sen­ti­ment de nonac­cep­ta­tion.

P. G.: Dans le film SHAKESPEARE IN LOVE, on a con­tourné la ques­tion de l’homosexualité de Shake­speare.

K. W.: Peut-être avec rai­son car le film devait se ven­dre aux États-Unis, et les États-Unis sont hys­tériques dès que l’on touche à Shake­speare. Il est plus sacré là-bas qu’en Angleterre. Un film qui aurait par­lé de son homo­sex­u­al­ité aurait été con­damné au fias­co dans la dis­tri­b­u­tion de masse.

P. G. : Non, pas oblig­a­toire­ment, cela aurait peut- être pu intéress­er en tant que décou­verte… Lorsque tu abor­des le tra­vail sur un texte, tu t’entoures de divers­es inter­pré­ta­tions ?

K. W. : Je lis dif­férentes choses, mais le plus sou­vent je me dés­espère devant l’aspect théorique de la plu­part des argu­ments, devant toutes ces analy­ses aux phras­es et struc­tures habiles où il y a si peu de tonal­ité humaine. C’est pourquoi Jan Kott est tou­jours ma référence essen­tielle. Il suf­fit qu’il décrive com­ment, s’étant trou­vé tout à coup dans une dis­cothèque scan­di­nave rem­plie seule­ment de têtes blondes aux cheveux courts, il en a per­du la fac­ulté de dis­tinguer un homme d’une femme. Un tel trou­ble lui a don­né immé­di­ate­ment une nou­velle clé pour com­pren­dre Shake­speare.

P. G. : Dans le théâtre élis­abéthain, tous les rôles étaient joués par des garçons ou des hommes. Pens­es-tu que cette con­ven­tion a provo­qué un dérè­gle­ment plus pro­fond des sex­es et de la sex­u­al­ité ?

K. W. : Cela dépendait très cer­taine­ment des indi­vidus. Mais n’importe qui n’entre pas au théâtre. Il y a tou­jours dans ce type d’hommes plus de faib­lesse, plus de besoin. Ce ne sont pas de grands gail­lards sains et nor­maux qui vien­nent et, tout sim­ple­ment, se retrou­vent ici, met­tent des cos­tumes et entrent en scène. Je ne sais pas si un jeune garçon qui se décidait à met­tre une robe com­pre­nait ce qu’il fai­sait. Voulait-il s’adonner à l’art ou était-il offert au théâtre par ses par­ents et n’avait-il pas d’autres solu­tions ?

P. G. : C’était alors une con­ven­tion évi­dente, elle ne provo­quait aucune inquié­tude. Il est intéres­sant cepen­dant de savoir si elle n’a pas provo­qué de dérè­gle­ment. Est-ce que Shake­speare, en écrivant ces textes comme LA NUIT DES ROIS, tenait compte du fait qu’il mul­ti­pli­ait, au théâtre, le mélange des sex­es avec les trav­es­tisse­ments ?

K. W. : Juste­ment ! Théorique­ment, nous pou­vons penser ce que nous voulons, mais exam­inons logique­ment et le plus lucide­ment pos­si­ble cette sit­u­a­tion : com­ment cela se pas­sait-il ? Des jeunes garçons, qu’est-ce que cela veut dire ? Avaient-il quinze ans ? Un garçon de quinze ans que l’on habille en femme et à qui l’on explique com­ment il doit se com­porter suit une sorte de cours, comme dans le théâtre Katakali. Peut-être était-ce rit­u­al­isé ? Ou peut-être était-ce très sim­ple ? Le pub­lic était vul­gaire et cri­ait : « Hé ! Tadek, mon­tre ton cul, sois une senio­r­i­na ». Y avait-il de telles provo­ca­tions ? Ces garçons étaient-ils homo­sex­uels comme cela arrive sou­vent dans les bal­lets où ils tombent dans les mains de pédérastes ? En réal­ité, on ne sait pas com­ment cela se pas­sait. Mais d’un autre côté, quand tu vois un jeune garçon qui joue une femme, tu ne restes pas indif­férent. Un jour, j’ai regardé l’opéra de Pur­cell, DIDON ET ENEE, chan­té par un chœur de jeunes garçons alle­mands impub­ères. Ces garçons chan­taient, ils devaient s’embrasser, ils tra­vail­laient cela avec le met­teur en scène. Ces sit­u­a­tions devaient leur faire pren­dre con­science de quelque chose. Je fus alors vrai­ment boulever­sé. D’un autre côté, c’était vrai­ment une rareté car, avec un garçon comme ça, on tra­vaille pen­dant des années et puis tout à coup il mue, et il n’y a plus rien, c’est finit ! Un vrai chant du cygne.

P. G.: Qu’y avait-il de si boulever­sant chez ces garçons ?

K. W.: Ces jeunes de douze, treize ans entraient dans le rôle d’amantes et d’amants. Chez moi, dans MACBETH, les sor­cières, des enfants de la guerre, étaient jouées par des fil­lettes de cet âge. Lorsqu’on leur a don­né des cig­a­rettes, des cig­a­rettes de scène, qu’on les a maquil­lées, qu’on leur a mis des per­ruques et des tenues ambiva­lentes, un peu cocottes, je me suis sen­ti mal à l’aise et j’ai com­mencé à me deman­der si ce que je fai­sais était moral.

P. G.: Autrement dit, para­doxale­ment, la con­ven­tion qui devait veiller aux principes moraux provo­quait leur décom­po­si­tion, la déca­dence ?

K. W.: De notre point de vue, cer­taine­ment ! Parce que jadis, on don­nait un de ces gamins, le vingtième enfant d’une famille, et per­son­ne ne se demandait si celui qui l’achetait le pre­nait pour le vio­l­er ou pour le théâtre.

P. G.: Alors com­ment est-ce dans LA NUIT DES ROIS ?

K. W.: Je pense que les acteurs plus âgés étaient amoureux de ces gamins.

P. G.: Et que se passe-t-il dans le texte lorsque Vio­la revêt le cos­tume mas­culin ?

K. W.: Vio­la, c’est-à-dire le garçon qui joue la fille, met un cos­tume de garçon.

P. G.: Lorsqu’un garçon, qui joue une fille, se trans­forme de fille en garçon, quelle direc­tion cela donne t‑il aux rela­tions et aux désirs ? D’un côté Olivia, de l’autre côté le Prince, entre les deux, Vio­la comme mes­sager. Com­ment cela fonc­tionne-t-il alors ?

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Théâtre
Krzysztof Warlikowski
2
Partager
Piotr Gruszczynski
Piotr Gruszczynski est critique théâtral en Pologne. Il collabore au festival Dialog à Wroclaw. En...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements