« Être ensemble en restant singuliers »

Entretien

« Être ensemble en restant singuliers »

Entretien avec Frédéric Fisbach

Le 12 Oct 2003
TOKYO NOTES d’Oriza Hirata, mise en scène de Frédéric Fisbach. Photo Marc Enguerand.
TOKYO NOTES d’Oriza Hirata, mise en scène de Frédéric Fisbach. Photo Marc Enguerand.

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TOKYO NOTES d’Oriza Hirata, mise en scène de Frédéric Fisbach. Photo Marc Enguerand.
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Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
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Ces pro­pos repren­nent, en par­tie et par­tielle­ment mod­i­fié, un entre­tien paru dans le numéro 14 (hiv­er 2000) de la revue Vacarme.

L’acteur inter­prète

J’EN REVIENS tou­jours à l’art de l’acteur. Je pense que le texte guide, « sait » la manière dont il veut être pris en charge, donne des clés. Mais si ce texte, on ne l’écoute pas assez, on l’ensevelit, on l’enterre au lieu de le révéler. C’est vrai pour n’importe quelle écri­t­ure, qu’elle soit clas­sique ou con­tem­po­raine. C’est donc de l’art de l’acteur qu’il s’agit. La ques­tion est : com­ment l’acteur va-t-il ren­tr­er en rap­port avec un texte, quels moyens va-t-il met­tre en œuvre pour le révéler. Sans par­tir de pré­sup­posés.

Dès mes débuts, ce qui m’a mar­qué dans la pra­tique du théâtre, c’est que c’est de l’ordre du partage, de la con­fronta­tion. Quelque chose qui se con­stru­i­sait dans le tra­vail de répéti­tion, dans les pre­miers pas, alors qu’on était soi-même en jeu, et non en représen­ta­tion. Ces pre­miers temps, qui n’avaient pas d’autre intérêt que cela, m’ont pro­fondé­ment mar­qué. Je n’ai, alors, pas appris beau­coup de choses sur le théâtre, ses tech­niques, son his­toire, mais cela a été décisif et a déter­miné ce que j’ai tou­jours recher­ché ensuite : que cela ne se fasse pas seul, mais avec d’autres. Je n’ai pas envie que cha­cun tra­vaille seul. Donc, quand je tra­vaille avec des inter­prètes, j’essaye de faire en sorte qu’ils tra­vail­lent entre eux. C’est là qu’on en vient à
la choral­ité.

La notion de chœur est de l’ordre de la com­mu­nauté de per­son­nes, d’interprètes : on tra­vaille à la même chose, on est tous dans un même champ, un ter­rain délim­ité avec un même texte en pâture, et tous dans une écri­t­ure, sans hiérar­chie. Quelque­fois l’écriture sem­ble don­ner une hiérar­chie – par exem­ple, dans BÉRÉNICE, il y a dis­pro­por­tion entre les 700 vers de Titus et les 7 vers de Rutile –, mais il faut mal­gré tout garder tou­jours l’idée (et ce n’est pas de la dém­a­gogie que de dire cela) que tous les inter­prètes s’emparent du texte, et qu’il n’y a pas de hiérar­chie entre eux. Pour pren­dre une image, c’est un peu comme si l’auteur était une sorte de géant avec un souf­fle extra­or­di­naire, qui pou­vait dire son œuvre d’un seul jet, du début à la fin, mais que comme l’époque des titans est révolue et que nous ne sommes que des humains, on suiv­ait un découpage qu’il a indiqué, oblig­és de se partager le tra­vail. En quelque sorte, on le fait à plusieurs parce qu’on ne peut pas le faire tout seul, mais c’est la même pos­ture : cela implique que l’on est tous respon­s­ables, por­teurs. Sans les 7 vers de Rutile, il n’y a pas les 1 600 vers de Racine. On est tous absol­u­ment por­teurs de l’œuvre.

Com­ment, alors, arriv­er à met­tre réelle­ment en jeu, en tra­vail, cette ques­tion-là ? Qu’effectivement celui qui joue Rutile tra­vaille autant que celui qui joue Titus ? C’est comme cela que ça m’intéresse de tra­vailler actuelle­ment.

Le chœur ( I )

C’est pourquoi la notion de chœur est essen­tielle pour moi. Même dans un théâtre de pro­tag­o­nistes, elle est à la base du tra­vail théâ­tral : tous les gens qui sont sur le plateau tra­versent une écri­t­ure, ou sont tra­ver­sés par une écri­t­ure, et por­tent la même langue, de manières très dif­férentes, parce qu’ils sont dif­férents, dans un espace qui est le même pour tous, mais qu’ils tra­versent de manières très dif­férentes. Le chœur, c’est l’inverse de « je ne veux voir qu’une seule tête ». C’est la com­mu­nauté, c’est-à-dire une réu­nion d’êtres humains – en l’occurrence, ici, une réu­nion d’interprètes-acteurs –, avec leurs sin­gu­lar­ités.

Bien sou­vent, quand je vais au théâtre, je vois des acteurs qui ont un réel savoir-faire, qui peu­vent même être extrême­ment sai­sis­sants ou émou­vants, mais qui ne me sem­blent pas jouer la même pièce : ils jouent tous dans la même mise en scène, mais ils ne por­tent pas la même écri­t­ure, ne dis­ent pas la même langue. Or, pour moi, cela n’est pas sup­port­able, parce que cela me ramène, en tant que spec­ta­teur, à une posi­tion de mol­lusque : je ne peux alors que me deman­der lequel est le meilleur, lequel est le plus proche de l’écriture… autant de ques­tions qui m’intéressent assez peu. Je ne peux plus alors réa­gir que de deux manières, en décré­tant que c’est bien ou que ce ne l’est pas, ce qui est une activ­ité de spec­ta­teur très lim­itée. Or, la fonc­tion du spec­ta­teur est extrême­ment riche, et elle est absol­u­ment indis­so­cia­ble de la ques­tion de l’interprète.

Met­tre en rap­port et révéler

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Christophe Triau
Essayiste, dramaturge et est professeur en études théâtrales à l’Université Paris Nanterre, où il dirige...Plus d'info
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