Le chœur pour donner à entendre le témoin, l’écho de théâtre pour retenir le cri

Le chœur pour donner à entendre le témoin, l’écho de théâtre pour retenir le cri

Le 5 Oct 2003
RWANDA 94, Groupov, mise en scène de Jacques Delcuvellerie.
Photo Lou Hérion.
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Article publié pour le numéro
Choralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives ThéâtralesChoralité-Couverture du Numéro 76-77 d'Alternatives Théâtrales
76 – 77
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AU RWANDA, en 1994, on assas­sine. Un même crime, plusieurs mil­liers de fois répété. Ici, si loin, les cris des vic­times se per­dent dans le flot qui s’écoule de ces machines cen­sées nous reli­er au monde. Out­rance d’information sans con­séquence ? Le géno­cide demeure un bruit de fond de mes activ­ités quo­ti­di­ennes. Les mots, les images défi­lent mais ne pénètrent pas. Je me fait sourde. Pour éviter la douleur d’une véri­ta­ble écoute. Com­ment pour­rais-je trou­ver le courage d’entendre, la force de sup­port­er l’insupportable ?

Le Groupov, à tra­vers le spec­ta­cle RWANDA 94, tente de nous remet­tre à l’écoute du monde.

Et choisit de com­mencer l’œuvre rad­i­cale­ment, par le témoignage d’une rescapée des mas­sacres. Mais com­ment pour­rait-il nous faire accepter d’écouter ici celle que l’on n’aurait pas voulu enten­dre ailleurs ?

Com­ment le théâtre pour­rait-il éveiller le douloureux désir d’entendre la réal­ité ?

« Je ne suis pas comé­di­enne, je suis une sur­vivante du géno­cide au Rwan­da. Ce que je vais vous racon­ter c’est seule­ment ma vie de six semaines pen­dant le géno­cide ». Voici les pre­miers mots pronon­cés par cette femme sur la scène. Une ten­ta­tive de dire l’indicible par celle qui s’est juré de sur­vivre pour témoign­er. Des mil­liers de vic­times anonymes s’incarnent alors dans un vis­age, un réc­it, une voix.

Du fond de mon siège de spec­ta­trice, j’ai du mal à l’entendre, j’ai mal de l’entendre. Je crois que je ne peux pas. Et puis est-ce vrai­ment le lieu pour une telle con­fes­sion ? La scène et le monde sem­blent se con­fon­dre et cela me plonge dans la con­fu­sion. Cette parole si intime ren­due publique me paraît obscène, com­ment aurait-elle sa place ici ? A‑t-on trompé ceux qui sont venus au théâtre en leur pro­posant quelque chose qui n’en serait pas ? Les a‑t-on pris au piège dans leur siège qu’ils n’osent – à de rares excep­tions près – quit­ter ? Peut-on sim­ple­ment dire sur scène, presque comme dans la vie ? Ques­tion­nements sur la forme qui me pro­tè­gent un instant du fond. J’ai l’impression de me dérober sans en avoir l’air. Ne pour­rais-je pas enten­dre ce réc­it, sim­ple­ment ?

Je l’écoute. Les poings ser­rés. Les mots arrivent jusqu’à moi, vio­lem­ment. Mais je ne sais pas quoi en faire. Je ne peux les laiss­er pénétr­er. C’est trop risqué. Il ne faut pas qu’ils brisent la frag­ile cara­pace que je tente à tout prix de main­tenir.

« Que ceux qui n’auront pas la volon­té d’entendre cela se dénon­cent comme com­plices du géno­cide au Rwan­da. Moi, Yolande Muk­a­gasana je déclare devant vous et en face de l’humanité que quiconque ne veut pren­dre con­nais­sance du cal­vaire rwandais est com­plice des bour­reaux ». Autour, il règne un silence si lourd. Comme si tout le monde voulait s’enfuir mais n’osait bouger. Plus per­son­ne ne respire. Un immense besoin d’air se fait sen­tir.

Alors les musi­ciens se met­tent à jouer, et un chant s’élève. Des hommes et des femmes à la peau noire entrent de toutes parts, et livrent cha­cun, en même temps, une his­toire du géno­cide à voix basse. Voix, musique, chant, une vague sonore me sub­merge, je crois que je ne pour­rai plus rien enten­dre. Le fil du réc­it auquel je m’accrochais jusqu’à présent est tranché, et une chute ver­tig­ineuse com­mence. À l’intérieur de moi.

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Claire Ruffin
Claire Ruffin participe à la mise en scène et à l’écriture de plusieurs spectacles à...Plus d'info
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