Avignon 2019 « Pelléas et Mélisande » de M. Maeterlinck : un tragique quotidien appuyé sur la poésie de l’image.

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Avignon 2019 « Pelléas et Mélisande » de M. Maeterlinck : un tragique quotidien appuyé sur la poésie de l’image.

Le 25 Juil 2019
"Pelléas et Mélisande" de Maurice Maeterlinck , mise en scène de Julie Duclos. Festival d'Avignon 2019 (c) Christophe Raynaud De Lage
"Pelléas et Mélisande" de Maurice Maeterlinck , mise en scène de Julie Duclos. Festival d'Avignon 2019 (c) Christophe Raynaud De Lage

Avec son équipe très soudée (Emi­lie Noblet pour le film ini­tial, Hélène Jour­dan pour la scéno­gra­phie) Julie Duc­los donne une sen­si­bil­ité con­tem­po­raine à ce drame sym­bol­iste, sans en trahir le sens. La sen­sa­tion d’effondrement d’un monde inspire son intro filmée dans la forêt et les très beaux inserts qui ryth­ment le réc­it d’une sym­phonie de couleurs som­bres et de saisons menaçantes. Une allu­sion dis­crète, oblique, jamais lit­térale aux men­aces actuelles sur la nature. Et le mélange du film et du théâtre mul­ti­plie les angles visuels qui sou­ti­en­nent le texte et le jeu des acteurs, tous excel­lents.  La par­tie si ambigüe des amours furtives de Pel­léas (frag­ile Math­ieu Sam­peur) et Mélisande (Alix Riemer, habile meneuse de jeu) est traitée en nuances.. Vin­cent Diesez en Golaud n’est pas un jaloux car­i­cat­ur­al mais un ani­mal blessé, par­faite­ment odieux dans la scène où il oblige le petit Yniold à jouer les voyeurs. Ce vis­age d’enfant manip­ulé par un adulte, pro­jeté sur grand écran, est inou­bli­able et d’une ter­ri­ble actu­al­ité.

Com­ment ren­dre con­tem­po­rain Maeter­linck le sym­bol­iste et relever le défi d’un opéra éponyme qui lui fait con­cur­rence ? Les répons­es de Julie Duc­los.

Inter­view de Julie Duc­los (JD) par Chris­t­ian Jade (CJ)

Vous avez vu le « Pel­léas et Mélisande » de Debussy,  sur le livret de Maeter­linck ??
J’ai pas vu le direct mais la ver­sion enreg­istrée de Katie Mitchell à Aix-en-Provence. C’est esthé­tique­ment très beau, très flu­ide et elle joue sur le dédou­ble­ment tout en dévelop­pant un univers un peu hitch­cock­ien .C’est très con­tem­po­rain et débar­rassé de tout un tas d’imageries .

Vous préférez la pièce à l’opéra ?
On par­le telle­ment de l’opéra et telle­ment peu de la pièce ! C’est se tromper que de les com­par­er autant : ça n’a rien à voir de chanter le texte d’un livret et de jouer le texte orig­i­nal. L’opéra rend la pièce plus lyrique avec par­fois un ton un peu pré­cieux. Or ce texte par­lé laisse aus­si la place au silence et pour moi Maeter­linck, c’est l’écriture de l’invisible et du silence. La par­tie instru­men­tale de Debussy est très belle mais c’est une autre œuvre. J’avais envie de faire enten­dre cette pièce dans toute sa force.

Cer­tains affir­ment que son univers est « inaudi­ble » aujourd’hui.
L’onirisme est impor­tant tout comme   la magie et la spir­i­tu­al­ité dans le théâtre de Maeter­linck Avec cer­taines imageries, le dan­ger du château han­té, une fille qui viendrait on ne saurait pas d’où, cette énig­ma­tique Mélisande, on peut vite se décrocher du réel, et en faire une écri­t­ure arti­fi­cielle, qui ne viendrait plus nous par­ler de la vie. On se met vite à flot­ter avec Maeter­linck et  on fab­rique alors des clichés qui seraient de l’ordre de la poésie pure, non ancrée dans le réel. Pour moi la force de cette pièce est poé­tique, mais les sit­u­a­tions de  vie sont très con­crètes.

On oppose sou­vent son sym­bol­isme rêveur dont il est une fig­ure majeure et le nat­u­ral­isme.
On a ten­dance à oppos­er nat­u­ral­isme et sym­bol­isme mais Il y a quand même des liens trou­blants entre  La Mou­ette de Tchékhov  et Pel­léas et Mélisande. Il sont de la même époque, Tchekhov a décou­vert les car­nets de Maert­er­linck et il l’admire beau­coup. Je ne pense donc pas qu’il faille oppos­er sym­bol­isme et réal­isme, il faut dépass­er ces ques­tions- là. Dans l’écriture de Maeter­linck, des choses con­tra­dic­toires se jouent en même temps et c’est sa force.Son écri­t­ure est très sim­ple, très con­crète et en même temps  il a des envolées poé­tiques qu’il faut soutenir, avec Pel­léas notam­ment qui a cette capac­ité frag­ile à dire son amour. Golaud, c’est le per­son­nage le plus triv­ial, il est très con­cret dans son rap­port au monde et aux choses.

Pel­léas et Mélisande, n’est pas pour moi un con­te fan­tas­tique. Dans Tré­sor des Hum­bles, où il par­le du trag­ique quo­ti­di­en, Maeter­linck  a cette phrase mag­nifique : « Faut-il hurler comme les Atrides pour appel­er Dieu ? … Dieu ne vient-il pas s’asseoir sous l’immobilité de notre lampe ? ». Son « trag­ique quo­ti­di­en », vient ancr­er les choses spir­ituelles  dans nos vies..

Pourquoi cette longue scène de qua­si toture psy­chique d’un enfant, Yniold par Golaud ?
A l’opéra la scène est très brève et on mon­tre plus sou­vent une  jeune fille, car il faut qu’elle chante juste dans l’aigu . Je n’avais pas envie d’être dans ce « code opéra ». Je voulais vrai­ment met­tre en scène un enfant, sa  présence forte, son inno­cence, la grâce de cet enfant-là. Ca peut ressem­bler à un inter­roga­toire de police  ou à une inter­view si on est un peu plus doux. Je me place entre les deux reg­istres. Cette scène est la plus longue de la pièce, elle fait plusieurs pages. Et c’est émou­vant la pureté des répons­es de l’enfant par rap­port à la folie gran­dis­sante de Golaud.

En Bel­gique l’interaction entre théâtre et ciné­ma va de soi. En France le pub­lic et surtout une par­tie des cri­tiques ont des réti­cences.
C’est un esprit très français de vouloir tou­jour « sépar­er » les choses. Beau­coup de cri­tiques raison­nent par caté­gories : « c’est du théâtre ou c’est pas du théâtre, c’est du ciné­ma ou c’est pas du ciné­ma ». Comme si amen­er des images empêchait de ques­tion­ner les lignes du théâtre  A l’inverse je trou­ve néces­saire de faire appel à plusieurs arts  et je prends plaisir à  les faire cir­culer. Ce n’est pas nou­veau :Pina Bausch quand elle débar­que, on ne sait pas com­ment nom­mer « ça ». Et c’est for­mi­da­ble, car elle invente un lan­gage, comme le plas­ti­cien Castel­luc­ci habite  « son » univers..Je pense que le ciné­ma est un out­il comme tant d’autres, avec le son, la lumière, le jeu des acteurs, pour con­tin­uer de bouger les lignes et  créer des cadrages nou­veaux. Ca sert à plein de choses le ciné­ma, en tout cas l’utilisation de l’image. Dans les com­pag­nies de ma généra­tion (j’ai 34 ans)  ça va de soi de jouer sur  plusieurs univers, ciné­ma, théâtre, danse : cha­cun en a un usage per­son­nel et invente son pro­pre lan­gage à par­tir de là.

Votre généra­tion a baigné dans le ciné­ma et le théâtre et  mêle les deux d’instinct ?
On a gran­di avec ça, on s’embête moins sur les fron­tières, on peut en jouer, enrichir l’un par l’autre. C’est selon chaque œuvre à laque­lle on s’attelle, et ce dont on a besoin. Moi en tout cas je suis tou­jours à l’écoute. Par exem­ple, l’utilisation de la vidéo c’est comme je la sens. Elle fait par­tie de mon lan­gage  mais sur des modes dif­férents selon les pièces que j’ai pu mon­ter. Son util­i­sa­tion s’invente au fil des pro­jets.

«Pelléas et Melisandee de Maurice Maeterlinck, mise en scène de Julie Duclos. 

A Avignon puis en tournée d’octobre 2019 à avril 2020 (Reims, Rouen, Lille, Besançon, Rennes, Mulhouse, Lyon).

La plus longue série à Paris ( Odéon-Théâtre de l’Europe, du 22 février au 21 mars 2020)

Julie Duc­los, artiste asso­ciée au Théâtre de la Colline, dirigé par Stéphane Braun­schweig (2014/2017), puis au Théâtre Nation­al de Bre­tagne, dirigé par Arthur Nauzy­ciel. Un spec­ta­cle de fin d’études remar­qué (au CNSAD Paris) « Frag­ments d’un dis­cours amoureux » d’après Roland Barthes (2010). Une adap­ta­tion de « La Maman et la Putain » (« Nos Ser­ments » 2014) et des mis­es en scène de J.L Lagarce et Lars Noren (2017/2018). Actrice (théâtre et ciné­ma) et actuelle­ment en écri­t­ure d’un long métrage.

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Christian Jade
Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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