Entretien avec Michael Lonsdale

Entretien avec Michael Lonsdale

Le 27 Mai 1983
Tournage de Dialogue de Rome.
Tournage de Dialogue de Rome.

A

rticle réservé aux abonné.es
Tournage de Dialogue de Rome.
Tournage de Dialogue de Rome.
Article publié pour le numéro
Marguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives ThéâtralesMarguerite Duras-Couverture du Numéro 14 d'Alternatives Théâtrales
14
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minitieux, offrez-nous un café ☕

Jean-Marc Turine : Com­ment ça a com­mencé avec Mar­guerite Duras ?

Michael Lons­dale : Chronologique­ment ?

J.M.T.: Oui, le tra­vail.

M.L : Par L’a­mante anglaise, en 1968. Au départ, on m’avait demandé de jouer le rôle du mari et puis, quand j’ai lu le texte, j’ai dit : « non, je préfère jouer l’in­ter­ro­ga­teur ». Tout le monde a eu l’air sur­pris, mais je trou­vais qu’il y avait Quelque chose de plus rare à faire que dans le par­cours du mari Qui répond sim­ple­ment aux Ques­tions et qui mon­tre un peu de médi­ocrité. Alors on a accep­té. Pen­dant les répéti­tions, Mar­guerite n’est pas inter­v­enue telle­ment sur le plan de la mise en scène parce que, à l’époque, elle n’en avait pas encore fait.
C’est Régy Qui l’a établie. Mar­guerite était sou­vent là pour don­ner des con­seils ou pour cor­riger le texte. Elle a beau­coup coupé. J’ai gardé la brochure Qui est une sorte de tor­chon incroy­able. On a telle­ment déplacé, refait, Que c’est devenu quelque chose que je suis seul à pou­voir relire dans cette pub­li­ca­tion-là.
On s’est beau­coup lié d’ami­tié et ensuite, un an plus tard, elle m’a pro­posé le texte de Détru­ire dit·elle qu’elle voulait que nous mon­tions au théâtre d’abord. Je lui ai dit que j’avais l’im­pres­sion que ce serait mieux qu’elle en fasse un film. Je ne sais pas si j’ai été pour quelque chose dans sa déci­sion, mais quelque temps après elle a mis en chantier Détru­ire dit-elle.

Silence

J’avais eu une expéri­ence extra­or­di­naire avec L’a­mante anglaise, Qui était celle de jouer un per­son­nage sans références. L’in­ter­ro­ga­teur n’est pas Quelqu’un qui par­le en son nom. Il est sans per­son­nal­ité pro­pre. Je jouais dans la salle, au milieu du pub­lic et j’en­tendais : « c’est un psy­chi­a­tre », « c’est un juge », non, « c’est un “polici­er ». En fait c’est la voix de Mar­guerite. C’est tout. Comme des ques­tions qu’elle poserait, elle, aux gens. Ce sont les ques­tions d’un écrivain. C’est dit. Il est dit dans le texte« pour le livre ».

Silence

A la lec­ture de Détru­ire dit·elle, j’avais un peu le même prob­lème. Mar­guerite voulait que je joue Stein, au départ, mais après la lec­ture, je lui ai dit : « Jene sais pas com­ment faire, je ne sais pas qui c’est, je ne com­prends rien (rires) je préfère jouer Max Thor ». Elle me répond : « olala, tu fais des his­toires ! Bon, on va chercher un Stein ». On fait pass­er des audi­tions. On a bien dû voir une douzaine de per­son­nes, non des moin­dres, comme Michel Bou­quet, Jean Rochefort, Roland Dubil­lard et chaque fois, Stein, ça n’al­lait pas. Alors, en fin de compte, j’ai dit : « écoute, je vais le faire puisqu’on ne trou­ve vrai­ment per­son­ne » (rires) En fait fétais un peu impres­sion­né à l’idée de jouer Stein ; c’est aus­si un homme sans références, ce n’est qu’un.homme du futur, un mutant comme elle l’ap­pelle alors com­ment jouer ? où le pren­dre ? com­ment faire par­ler quelqu’un qui vit dans un état très avancé
de lib­erté totale ? lib­erté de penser, lib­erté d’aimer ce n’est pas un homme d’au­jour­d’hui encore. Il a fal­lu chercher et puis comme tou­jours, je ne cherche pas beau­coup. Je joue plutôt d’in­stinct et quand on l’a tourné, je l’ai inter­prété je ne sais com­ment. Il ne faut pas me deman­der com­ment je joue un rôle.

Silence

Il y a à essay­er de com­pren­dre ce que Mar­guerite a en tête et essay­er de don­ner vie à ce qu’elle me dis­ait sur le per­son­nage. Ça, on le fait comme on peut, à sa manière.
Ce fut un tour­nage inou­bli­able parce que tout
s’est passé dans une ambiance c’é­tait surtout un rap­port d’af­fec­tion, d’amour entre nous une sorte de folie par­fois elle dis­ait : « je ne sais pas où met­tre la caméra ! aidez-moi ! aidez-moi ! » (rires) et comme tou­jours avec elle on rit beau­coup, on donne de l’im­por­tance aux choses sans en avoir l’air.

Silence

Avec Mar­guerite, c’est un état, une atmo­sphère, un jeu d’in­tel­li­gence entre des êtres qui s’ai­ment.
J.M.T. : Je pense qu’on ne peut pas tra­vailler avec Mar­guerite Duras sans ce jeu d’amour avec elle, autour d’elle j’ai le sen­ti­ment d’une con­t­a­m­i­na­tion.
M.L : Oui, c’est ça
J.M.T.: qu’il est impos­si­ble de tra­vailler avec elle, les comé­di­ens et les tech­ni­ciens c’est ce qui m’a boulever­sé, lit­térale­ment, sur le tour­nage de Jaune le soleil sans ce rap­port d’amour partagé. Il ne s’ag­it en rien d’une sorte d’adu­la­tion à l’é­gard d’un mythe qui serait Madame Duras.

Silence

M.L : On ne voit plus la Duras con­nue, on voit la Duras au tra­vail, une per­son­ne très proche qui sol­licite tou­jours des choses vraies. D’un ordre un peu intem­porel. C’est ce qui me plaît : on ne sait pas, c’est sans psy­cholo­gie. Ça oblige à une avancée de soi, une mise en ques­tion de l’in­con­nu ce que j’aime faire plus que tout, c’est abor­der des textes qui n’ont pas encore été joués parce qu’on a l’im­pres­sion de décou­vrir, d’aller de l’a­vant dans les pos­si­bil­ités d’ex­pres­sion de ce qui se passe aujour­d’hui.

Silence

Après, il y eut Jaune le soleil. Une petite chose qu’elle m’a demandé de faire à la dernière minute. Je ne savais pas mon texte. Je devais dire quelques phras­es, je n’avais rien appris j’ai col­lé le texte sur des vit­res (rires) Après, en 74, c’est lndia song, la grande aven­ture.
J.M.T. : Vous avez dit que c’é­tait votre plus beau rôle.

M.L : Oui, je le crois.
C’est celui où j’ai pu inven­ter des choses, retrou­ver ce que je con­nais­sais de la vie, des his­toires de l’Inde et des gens
qui buvaient mon père est allé en Inde, c’é­tait un homme qui buvait alors je l’ai un peu joué, lui, vous savez avec ses par­ents on a tou­jours des rap­ports peu clairs en plus du dés­espoir de cet homme qui ne sup­porte pas la mis­ère du monde, qui la hait, qui en arrive à tir­er sur les lépreux, à se tir­er dessus dans le miroir, ce qui est un événe­ment éton­nant, à essay­er de détru­ire son image et puis à rêver cet amour impos­si­ble avec cette femme cette sub­li­ma­tion de l’amour qui est telle­ment fort qu’on ne sait
plus du tout où il se situe.
Une sorte d’ab­solu.

Silence

Un tour­nage assez dur parce qu’il fal­lait que je reste con­cen­tré sur cet état de pas­sion totale et de dés­espoir total Pas tou­jours drôle à vivre parce que, vous le savez, au ciné­ma on attend par­fois toute une journée avant de faire un plan. Je me suis moins amusé. On ne pou­vait pas. On sen­tait que le rire, là, cas­sait quelque chose.
Il fal­lait rester dans ce grand mal­heur d’amour (rires).
Il y a eu deux étapes. Il ne faut pas oubli­er ça. Les cinéastes ne le savent pas, mais la bande son a été réal­isée pour la radio avec la voix de Viviane For­rester dans le rôle de Anna Maria Guar­di. Quand on a fait le film, il a fal­lu refaire la bande son avec celle de Del­phine Seyrig. Il y avait des scènes durant lesquelles, en dansant, nous devions par­ler. Mais ça ne col­lait pas. D’abord il y avait la musique et pour le son ce n’é­tait pas com­mode
il fal­lait absol­u­ment qu’on ait cette musique.
Pen­dant tout le tour­nage, elle nous a han­tés, habités tout le temps, tout le temps Mar­guerite voulait l’en­ten­dre pen­dant qu’on tour­nait. Nous nous sommes ren­dus compte rapi­de­ment qu’il ne nous était pas pos­si­ble de par­ler et d’é­couter la musique en même temps ça détru­i­sait quelque chose. On a tout fait off, finale­ment. C’é­tait un film sans paroles directes retourn­er à l’é­tat de cris et de pleurs de la bande radio et le rejouer cor­porelle­ment. Une aven­ture où nous ne savions pas ce que nous fai­sions, telle­ment nous étions con­cernés j’é­tais amoureux de Del­phine Seyrig aus­si, alors ça recoupait des tas de choses qui me touchaient très fort, de très près.

Silence

J. MT.: Si je pense à lndia song, si je pense à vous dans ce film, deux moments inévitable­ment revi­en­nent en mémoire : les cris, dont vous venez de par­ler ; c’est un moment mirac­uleux parce que très rare et le moment où vous quit­tez l’am­bas­sade, lorsque, titubant, vous tra­versez la rue. Don­ner cette image-là du corps, c’est, je crois, attein­dre la per­fec­tion.
ML : Nous l’avons tourné à Neauphle. Nous avions froid. Il n’y a avait pas de pleurs. Il fal­lait que je les revive intérieure­ment, que je les ré-écoute en moi parce que l’é­tat d’ivresse, de folie dans lequel se trou­ve cet homme, j’en­tends folie d’amour, qu’est-ce que c’est ? ça ne peut être que ce qu’on en vit intérieure­ment, même si c’est un plan de dos, il faut l’être com­plète­ment à ce moment- là. Nous n’avons fait qu’une prise. Il pleu­vait et le jour tombait. Je me sen­tais dés­espéré, vrai­ment. Dans mon rôle et en tant que comé­di­en parce que je me dis­ais : « jamais je ne pour­rai faire pass­er quelque chose. » Puis, comme tou­jours au moment de tourn­er, les choses s’é­vanouis­sent, les choses de la con­science et
quand je joue, je ne pense pas com­ment je joue je joue comme je peux mais les cris, oui, c’é­tait spon­tané en plus c’é­tait à la suite de deux années très mal­heureuses, je savais un peu ce que c’é­tait.
Je n’avais pas besoin de beau­coup penser pour m’y retrou­ver ce fut une sorte de délivrance de
pou­voir hurler.
J. MT. : Le lien est indis­pens­able ? le comé­di­en qui doit hurler sa douleur d’amour doit avoir vécu la même chose ?
ML : Je crois qu’on est tous dans un état d’amour, vécu ou non vécu. Mais il est pos­si­ble en vous. Je crois que les êtres sont capa­bles d’amour illim­ité, mais qu’ils n’ont pas sou­vent l’oc­ca­sion de le mon­tr­er ou de le dire. Je crois que cha­cun a con­science d’un amour à un moment de sa vie. Que l’amour peut être. Il n’est pas tou­jours vécu. C’est rêver, en tout cas, donc il est là.

Nicole Hiss et Michael Lonsdale dans Détruire dit-elle.
Nicole Hiss et Michael Lons­dale dans Détru­ire dit-elle.

Silence

Je ne pense pas que Mar­guerite par­le de choses qui n’ex­is­tent pas, elle par­le de choses qui exis­tent, ça rejoint une espèce de con­science col­lec­tive de ce qu’est un état d’amour vio­lent et absolu. Oui. Je m’y suis jeté avec beau­coup de fougue, de pas­sion et d’in­stinct. J’ai telle­ment crié à la radio que je me suis cassé la voix. D’ailleurs, quand il fut ques­tion de le mon­ter au théâtre, je me dis­ais que je ne pour­rais pas l’as­sumer tous les soirs mais il fal­lait aller jusqu’au bout de l’épuise­ment total des pos­si­bil­ités, jusqu’à se cass­er la voix. On ne peut pas retenir ou faire atten­tion dans ces moments-là. Ils sont rares les rôles qui per­me­t­tent ça.

Silence

J.M.T.: Com­ment sortez­ vous d’un pareil film ?

M.L : Bien. Délivré, soulagé d’avoir poussé son cri (rires) Pour moi, c’é­tait bon de savoir que je pou­vais le faire. C’é­tait une preuve que mon méti­er avait mûri et que main­tenant, je pou­vais avant, je trou­vais ça indé­cent il ne faut pas avoir peur de l’indé­cence, mais j’en avais un peu peur.

J.M.T.: L’indé­cence, c’est de crier ?

M.L : C’est indé­cent.
Oui. Quand ça dérange. Mais il ne faut pas·en avoir honte ou peur. C’est très bien que les gens puis­sent crier comme ça, une fois dans leur vie on atteint une lim­ite, on fait une sorte de voy­age si on n’y retourne pas, ce n’est pas grave. C’é­tait lourd ce per­son­nage vivant en incom­pat­i­bil­ité avec le monde Je le ressen­tais beau­coup à l’époque, j’é­tais han­té par l’in­jus­tice. Tout ce mal­heur du monde, on le porte en soi.

J.M.T.: et la soli­tude de monde

M.L : et la soli­tude. Ce film recoupe des élé­ments très impor­tants de la vie on est tous une soli­tude aus­si.

Silence

Quand on a eu un rôle comme celui-là, très beau, on devient ter­ri­ble, on ne veut
plus faire que ça et on ne retrou­ve pas l’oc­ca­sion d’aller si loin.

J.M.T.: James Bond ? vous jouez avec Duras et dans des films de James Bond com­ment ?

M.L : (rires) Je n’en sais rien. « Les extrêmes me touchent » dis­ait Gide. Je n’aime pas être enfer­mé dans une caté­gorie. On peut devenir l’ac­teur des textes dif­fi­ciles ; chaque fois qu’on essaye de me class­er dans une caté­gorie, chaque fois je bifurque et j’en sors parce que je ne veux pas appartenir à un cer­tain esprit unique­ment. Les choses sont trop var­iées dans le monde pour être l’ac­teur d’une seule men­tal­ité J’ai fait James Bond en me dis­ant que je suis capa­ble de m’in­té­gr­er dans une bande dess­inée publique. Puisqu’on me reprochait de ne pas faire de films pop­u­laires, je me suis dit que j’al­lais en faire un, une fois dans ma vie et puis, finan­cière­ment, ça m’aidait à faire des films qui m’in­téres­saient plus mais qui n’é­taient pas payés, des films jeunes dont je ne pou­vais vivre du tout.

J.M.T.: Mar­guerite Duras aus­si revendique une
pau­vreté économique, ce qui l’oblige, à chaque film, à inven­ter. Les lim­ites écono­miques doivent, j’imag­ine, forcer le directeur pho­to, par exem­ple, à inven­ter lui aus­si.

Michael Lonsdale et Bulle Ogier
Les yeux verts, Cahiers du cinéma
Michael Lons­dale et Bulle Ogi­er
Les yeux verts, Cahiers du ciné­ma

M.L : Pas vrai­ment. Dans lndia song, il y a des plans que nous n’avons pas pu refaire ; des plans de nuit où j’al­lais encore crier l’amour du Vice Con­sul sous les fenêtres de Anna Maria Guar­di.
L’opéra­teur, Bruno Nuyt­ten, s’est plan­té, comme on dit : à la pro­jec­tion on voy­ait du noir avec juste les revers blancs du smok­ing qui se prom­e­naient dans la nature. Evidem­ment, cela a fait beau­coup rire tout le monde. Ce plan-là, nous n’avons pu le refaire. Et nous avons dû bâcler un peu la fin, lors du tour­nage à la Fon­da­tion de France pour le dernier plan, lorsque Del­phine part après avoir respiré le par­fum des ros­es. Le Vice Con­sul était là en principe. J’é­tais prêt. J’ai passé la soirée à atten­dre. Quand je dis­ais : « qu’est-ce que je dois faire ? », Mar­guerite répondait : « je ne sais pas où te met­tre, je ne sais pas où te cas­er ! » Si nous avions eu plus de temps, plus d’ar­gent, peut-être auri­ons-nous trou­vé une solu­tion pour faire com­pren­dre que le Vice Con­sul était là. Dans le cadre, tel qu’il était pré­paré, ce n’é­tait pas pos­si­ble mais le luxe, pour Mar­guerite, n’ex­iste pas dans la mesure où elle dit : « je suis une écrivain qui fait du ciné­ma, je ne suis pas cinéaste ». Elle pense que son tra­vail c’est son écri­t­ure, c’est gra­tu­it (rires) après, elle s’arrange elle peut tou­jours faire lire un texte, sur un plan où il n’y a presque rien, qui arrangera les choses. Donc, elle n’est pas pris­on­nière, en tant qu’écrivain elle sait qu’elle pour­ra tou­jours faire pass­er l’essen­tiel. C’est pour ç:a qu’elle a pu réalis­er Son nom de Venise dans Cal­cut­ta désert sans per­son­nages. Curieuse­ment, il y eut un besoin tout doux d’é­vac­uer la présence de l’être humain.

Silence

Si l’on en revient au par­cours avec-Mar­guerite, il y a L’E­den ciné­ma. C’est aus­si un moment très poignant, parce qu’elle était très sec­ouée en repen­sant à tc:Als ces événe­ments vécus avec
sa mère nous étions tous dans un état de pleurs et, deux ou trois fois, je me suis arrêté pen­dant les répéti­tions, pour aller dans un coin, seul, parce que je ne pou­vais plus c’é­tait telle­ment boulever­sant. Nous étions gag­nés par une émo­tion incroy­able.

Silence

L’E­den ciné­ma. au début, on ne savait pas
com­ment le faire ; il y avait ces dou­bles voix, on ne savait pas com­ment les faire bouger sur scène. Puis, peu à peu, j’ai sug­géré de dire ç:a près d’un micro, ce serait comme une voix off. On ne pou­vait avoir ces voix qui par­lent en bougeant. J’avais l’im­pres­sion que cela deviendrait davan· tage un secret, avec un micro. Il y avait Madeleine Renaud, la grand mère, et Bulle Ogi­er qui par­laient en direct, tan­dis que Cather­ine Sell­ers et moi, nous étions assis à des petites tables à chaque extrémité de la scène et on lisait le texte. Les voix intérieures des per­son­nages. A cer­tains moments, je quit­tais ma table et je jouais Mon­sieur Jo qui est une sorte de morceau dans le morceau, un aparté ça m’a­mu­sait beau­coup, puis je regag­nais ma petite table, avec le pianiste der­rière qui inter­pré­tait la musique de Car­los d’A­lessio encore un tra­vail superbe.

lndia song
Photo Jean Mascolo
lndia song
Pho­to Jean Mas­co­lo

Silence

Ensuite, il y eut Le navire Night. Ce fut plus dif­fi­cile. Mar­guerite avait réal­isé le film avant, elle savait davan­tage ce qu’elle voulait. Elle inter­férait dans le tra­vail de Claude Régy qui veut des silences très longs et que Mar­guerite ne sup­por­t­ait pas. Elle objec­tait : « c’est pas comme ça qu’il faut dire », cela a amené des tiraille­ments et j’ai dû me fâch­er, mal­heureuse­ment parce que ce sont des êtres que j’aime beau­coup, mais entre Régy-papa et Mar­guerite-maman qui se dis­putaient, les enfants sur scène… (rires) j’as­sis­tais à une scène de ménage donc, une fois, je leur ai dit : « main­tenant ça suf­fit ! si vous avez des dis­cus­sions, allez les faire ailleurs, mais ne venez pas nous deman­der tous les deux des choses dif­férentes ».
Mar­guerite voulait diriger elle­ même. Je lui ai dit : « il faut choisir : ou bien tu mets en scène toi-même, ou bien tu as con­fi­ance en quelqu’un et tu le laiss­es faire ». Elle avait tourné le film, elle avait donc son idée sur la mise en scène. Je n’ai pas vu le film, parce que je ne voulais pas copi­er. Nous sen­tions une ten­sion assez grande entre Mar­guerite et Claude Régy. Ce qui a nui à notre épanouisse­ment dans la mesure où nous ne pou­vons obéir à deux propo­si­tions à la fois. Nous sommes trop dépen­dants du met­teur en scène. Nous ne pou­vons pas.

Silence

Enfin, l’an­née dernière, nous avons repris L’a­mante anglaise.

J.M.T.: Il y a un moment de grâce dans cette pièce : lorsque vous posez les mains sur les épaules de Madeleine Renaud.

M.L : C’est arrivé par hasard Claude Régy cherche ses places lente­ment il se trou­ve que j’é­tais der­rière Madeleine lorsqu’on a com­mencé à tra­vailler ce pas­sage j’ai mis la main sur sa tête, par hasard, pour rajuster une mèche tout à coup, l’idée de faire ça est venue. On l’a adop­tée. Je pense que c’est bien, parce que, après cette dis­cus­sion, l’in­ter­ro­ga­teur fait une tra­jec­toire, il est absorbé par elle, il est bouf­fé par la spi­rale de la folie de cette femme qui ne livr­era jamais son secret. Avec ce geste, nous pas­sons à un autre domaine que celui de la parole, nôus pas­sons à un con­tact physique. Quelque chose se trans­forme. Claude Régy voulait sup­primer ce geste, parce qu’il le jugeait trop sen­ti­men­tal. Mar­guerite n’é­tait pas d’ac­cord. J’ai sen­ti que nous allions encore nous déchir­er. Je l’ai gardé aus­si.

Silence

Je me sou­viens de gens qui pleu­raient en par­lant de
ça parce que je crois que les gens ne touchent pas physique­ment une femme, un jour, a pleuré parce que per­son­ne n’avait posé la main sur son épaule depuis trente ans c’est très impor­tant dans la vie que quelqu’un vous prenne par la main ou par l’é­paule donc on l’a gardé, mais Claude Régy ne pou­vait s’en occu­per réelle­ment parce qu’il était pris par autre chose. Je sen­tais, cepen­dant, que je le fai­sais sans l’ac­cord du met­teur en scène. Il voulait plus de dépouille­ment. Il trou­vait ça dépassé. Je ne le crois pas du tout.

Silence

Avec Mar­guerite, on a tou­jours le pro­jet de faire Mon­sieur Andes­mas.

J.M.T.: Et La mal­adie de la mort.

M.L : C’est un titre dif­fi­cile, pas très pub­lic parce que les gens n’ai­ment pas la mort, ni la mal­adie, alors, les deux à la fois seuls les durassiens incon­di­tion­nels vien­dront (rires)
Elle veut garder le titre et comme, au fond, les créa­teurs rai­son La mal­adie de la mort, c’est curieux, c’est comme un virage dans sa vie d’écrivain. Elle cherche à prou­ver quelque chose, comme une ori­en­ta­tion nou­velle due aux cir­con­stances de sa vie per­son­nelle je ne l’ai lu qu’une seule fois encore, parce que j’at­tends le moment où nous allons tra­vailler je ne réfléchis jamais avant

J.M.T.: C’est un texte très physique, comme L’homme assis dans le couloir.

M.L : je ne sais pas ce qu’elle veut dire com­plète­ment, je crois que nous allons le décou­vrir lente­ment. Il y a un mys­tère tou­jours. Elle nous le fera com­pren­dre.

Silence

J.M.T.: Et puis, il y aura Ah ! Ernesto, que nous devons faire avec Jean Mas­co­lo ce petit Ernesti­no de sept ans qui a gran­di trop vite.

M.L : Oh oui ! (rires) j’é­tais fou de joie à l’idée de jouer Ernesto parce que c’est le genre de chose que j’aime : jouer un petit garçon de sept ans quand j’en ai cinquante parce qu’on dépasse le temps, on sort des notions d’âges, on est dans un temps d’âge qui n’ex­iste pas. J’aimerais vrai­ment qu’on le fasse il y aura des sur­pris­es !

Silence

J.M.T. :Qu’est-ce que c’est cette con­t­a­m­i­na­tion dont nous avons par­lé ?

M.L : il y a une con­t­a­m­i­na­tion de l’in­tel­li­gence. Comme elle est très intel­li­gente et d’une manière qui n’est pas

J.M.T.: ter­ror­iste ?

M.L : ter­ror­iste, oui.
Donc, quand on fait appel à l’in­tel­li­gence en vous, c’est tou­jours quelque chose qui ne demande qu’à s’é­panouir. C’est aus­si cette per­cep­tion très aigüe des choses humaines ce que les gens por­tent en eux de capac­ité d’amour. A tra­vers toute son œuvre, il y a cet amour impos­si­ble il y a tou­jours un amour souhaité, extra­or­di­naire qui devrait

avoir lieu, qui a lieu ou pas, qui sou­vent est arrêté. Tout ça intéresse et inquiète des tas de gens qui cherchent aus­si cet amour. Tout le monde rêve d’une pas­sion

J.M.T. : cette intel­li­gence chez elle, c’est aus­si son refus absolu de men­songe, son hon­nêteté très grande.

M.L : C’est très fort chez elle, oui. Elle m’a beau­coup appris. J’avais peur de dire la vérité, de bless­er les gens, alors je dis­ais les choses à côté. Mais il y a une sorte d’hon­nêteté qui fait que, même si ça fait un peu mal, il vaut mieux dire la vérité. Tout le monde est délivré.

Silence

Les gens qui lisent ses textes perçoivent quel genre d’ab­solu c’est. C’est avant tout une per­cep­tion de l’amour qui est très éton­nante, qui capte les gens et, il y a le phénomène de l’écri­t­ure, la façon dont elle le dit : lucide, tran­quille, sim­ple. La grâce de l’écri­t­ure, quoi. Il y a une musique, une sim­plic­ité, une justesse, un français très dépouil­lé. On ne sait pas com­ment ça vous gagne. A force de lire, d’ac­cu­muler les choses sim­ples la justesse des mots. On a sou­vent par­lé d’une vir­gule, du son dans tel mot plus beau que dans tel autre c’est for­mi­da­ble d’as­sis­ter à cette trans­for­ma­tion de l’écri­t­ure.

Silence

J.M.T.: C’est étrange, vous êtes lié au ciné­ma de Mar­guerite Duras et vous n’avez joué que dans trois de ses films. C’est l’im­pact de lndia song ?

M.L : Oui. C’est un ciné­ma qui fera son chemin lente­ment. On n’ou­bliera pas lndia song.

Silence

Il s’est passé quelque chose de très fort. Après, elle a eu peur. Elle m’a dit : « on ne refera jamais un film comme lndia song ». Non. Mais Rem­brandt a peint La ronde de nuit, puis il a peint La fiancée juive, ce n’est pas parce qu’on a fait une chose très belle qu’on ne peut pas en faire une autre été sur­prise pen­sait pas que cela aurait elle a elle ne un tel suc­cès par­mi les films que j’ai faits, c’est celui dont on me par­le le plus, ça tra­vaille en pro­fondeur.

Silence

J.MT. : Mar­guerite a demandé à Cather­ine Deneuve de jouer dans La mal­adie de la mort.

M.L : Là, elle rêve com­plète­ment : parce que Cather­ine ne le fera jamais. Elle imag­ine que tous les gens vont adhér­er comme ça (rires) d’abord Cather­ine n’a jamais fait de théâtre, à moins que Mar­guerite ne le fasse au ciné­ma pourquoi pas ? enfin, c’est s’en­gager dans une aven­ture qui fait un peu peur aux stars bien assis­es. Comme Dominique San­da qui, au moment de lndi­a­song,a refusé parce que ce film ne cor­re­spondait pas à son stand­ing.

J.MT.: Mais elle a fait Le navire Night. Pour se rat­trap­er.

M.L : Pour se rat­trap­er, oui. (rires) Ça prou­ve que les gens veu­lent garder une image d’eux- mêmes, ils ne se lan­cent pas dans Duras comme ça ! Ils ont peur d’être entamés, d’abîmer quelque chose de com­mer­cial, je ne sais pas. Il faut avoir la pas­sion de Mar­guerite pour le faire on ne sait pas peut-être que Cather­ine Deneuve acceptera, si elle est intel­li­gente elle pour­rait accepter. Ce serait for­mi­da­ble, parce que ce serait pren­dre un risque. Ce n’est pas un grand risque pour une fille qui débute, mais Cather­ine peut avoir peur pour le com­merce. Les films de Mar­guerite ne fer­ont jamais des mil­liards de recettes ! Tout ça joue.

Tournage de Détruire dit-elle. Photo Jean Mascolo
Tour­nage de Détru­ire dit-elle. Pho­to Jean Mas­co­lo

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Michael Lonsdale
3
Partager
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements