L’ART DE LA MARIONNETTE occupe aujourd’hui une place de plus en plus importante au sein des arts de la scène et du spectacle vivant. Nous devons cette situation, non seulement à l’intérêt de femmes et d’hommes de théâtre pour de cet art (en France, de Gaston Baty au début du vingtième siècle, à Ariane Mnouchkine, Antoine Vitez et Stéphane Braunschweig ) mais aussi à l’action passionnée, tout au long de ces dernières décennies, de pratiquantes et de pratiquants convaincus, tant dans le domaine de la création ( Émilie Valantin, François Lazaro, Philippe Genty, Roman Paska … ) que de l’action syndicale ( Alain Recoing ) et associative ( l’Union Internationale de la Marionnette – UNIMA – qui s’appelle en France l’Association des Théâtres de Marionnettes et des Arts Associés – THEMAA) ou encore dans le domaine de la formation professionnelle (encouragé en France par la création en 1981 de l’Institut International de la Marionnette à Charleville-Mézières présidé par Jacques Félix, et en 1987, de l’École Supérieure Nationale des Arts de la Marionnette – ESNAM – présidée par Margareta Niculescu jusqu’en 1999 ). Les préoccupations de la nouvelle génération de jeunes créateurs proposant l’art de la marionnette comme moyen d’expression artistique, s’inscrivent très clairement dans cette dynamique. À l’heure actuelle, ils s’attachent à développer leur action au sein d’une culture théâtrale de plus en plus curieuse et ouverte à la matière singulière qu’ils amènent. Ils ne doivent pas perdre de vue la spécificité de leur art et l’originalité de la marionnette, marquée par une histoire et une tradition toujours vivantes tout en s’attachant à réfléchir à leur contribution possible aux nouvelles voies offertes par la mutation du spectacle vivant, et son ouverture à la danse, au cirque et aux nouvelles technologies ( vidéo, multimédia, musique électronique … ).
L’image de la marionnette uniquement réservée au théâtre pour enfants s’avère, de nos jours, tout à fait désuète. Tout en sachant garder son activité dans des formes populaires traditionnelles et dans le domaine du jeune public, l’art de la marionnette a accédé à une culture théâtrale considérée ( à tort ? ) comme plus sérieuse ; il désire s’intégrer au théâtre d’acteur tout en l’interrogeant. Aujourd’hui la marionnette échappe à la préoccupation exclusive du marionnettiste. Certains metteurs en scène de théâtre nourrissent leur art de la scène en mêlant la marionnette à leur langage théâtral. En Allemagne, trois jeunes metteurs en scène issus du département orienté sur l’étude et l’apprentissage de la mise en scène de l’École Supérieure d’Art Dramatique Ernst Busch de Berlin, illustrent parfaitement ce propos. Leur formation, reposant sur une forte tradition théâtrale, dans la lignée de Stanislavski et surtout de l’après Brecht, les orientent vers une réflexion axée a priori sur une direction et une mise de la scène et du spectacle vivant. Nous devons en jeu de l’acteur. Pourtant, leurs récentes créations dévoilent des formes où acteurs et marionnettes participent à la mise en scène. Qu’il s’agisse de LA TEMPÊTE de Shakespeare créée en juin dernier par Markus Joss, FAUST en 13 tableaux par Claudia Bauer, ou encore LA MAISON DES MORTS de Minyana monté par Jark Patarki en 1999, les réflexions dramaturgiques, menées par ces jeunes metteurs en scène, ont abouti à une résolution scénique, où la marionnette, en jeu avec le comédien, permet une lecture originale de l’œuvre abordée. Le fait que de jeunes compagnies de marionnettes aillent jusqu’à s’emparer de textes d’auteurs contemporains, jusqu’ici toujours envisagés pour une interprétation d’acteurs, semble là aussi très significatif de cette intégration de la marionnette au théâtre. La première création de la toute jeune compagnie Là Où Théâtre intitulé PETITS CHAOS s’inscrit tout à fait dans cette démarche. En 1999, le Directeur du Théâtre de Folle Pensée, Roland Fichet, intègre deux membres de cette compagnie dans son projet NAISSANCES / LE CHAOS DU NOUVEAU en tant que concepteurs de forme, c’est-à-dire metteurs en scène, interprètes, et marionnettistes. Ce projet repose sur l’écriture, par des auteurs contemporains du monde entier, de textes courts (20 minutes) sur le thème NAISSANCES / CE QUI NAÎT, CE QUI MEURT. Le Là Où Théâtre réalise dans ce cadre cinq petites formes spectaculaires à partir de cinq textes pour lesquels un traitement marionnettique semblait s’imposer. Il s’agit de LA NUIT CETTE FEMME ET MOI d’après LE FAISEUR D’HISTOIRES de Kossi Efoui (Togo), LÀ D’OÙ JE VIENS de Gille Aufray (France), APRÈS LE DÉLUGE de Lothar Trolle (Allemagne), PETITS CHAOS ainsi que LES PIEDS DANS LE RUISSEAU, de Roland Fichet (France). Pour l’équipe du Là Où, travailler sur des textes contemporains signifie être en contact avec des auteurs vivants, et échanger un dialogue tout en parlant chacun un langage qui leur soit propre. La marionnette semble ainsi pouvoir se mettre, avec pertinence et intérêt, au service de l’écriture contemporaine. À tel point, que ce principe en vient à s’inverser et amène des auteurs contemporains à se mettre, à leur tour, au service de la création pour marionnettes. Les rencontres auteurs — compagnies de marionnettes mises en place à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon depuis 1998 témoignent tout à fait de cette tendance : les premières ébauches de créations issues de ces rencontres ont pu être aperçues au dernier Festival Mondial de la Marionnette de Charleville-Mézières, au travers des présentations de la compagnie du Cirkub’u et du Theâtre Exobus. Cette préoccupation nécessaire de l’écriture, en amont de la création pour marionnette, se retrouve notamment dans d’autres travaux récents, où de jeunes artistes oscillent entre le statut d’auteur et celui de marionnettiste, ce va-et-vient constant entre la marionnette et l’écriture permettant un ajustement idéal du texte. ERRONS PETITS PAS, écrit et interprété en juin 1999 par Gabriel Hermand Pricquet sous le parrainage de l’auteur et metteur en scène Roland Fichet dans le cadre des travaux de fins d’études de l’ESNAM est un exemple représentatif de cette démarche. Démarche que l’on retrouve avec BOB LE HÉROS proposé par la Compagnie Oz qui parvient avec cette création, non seulement à définir une écriture pertinente, inscrite dans des préoccupations contemporaines, mais aussi à redonner à une forme traditionnelle de la marionnette (le rouleau de foire), une efficacité tout à fait moderne. Cette inscription de la marionnette dans la modernité, plusieurs jeunes compagnies la confirment en mettant la marionnette au contact des autres arts et des nouvelles technologies. La marionnette se trouve, par essence, à la frontière de différents univers artistiques. Mêlant pratiquement la réalisation plastique à une réflexion théâtrale, elle incite forcément à la rencontre d’artistes, riche de la diversité de leurs moyens d’expression. Ces artistes proviennent du théâtre et des arts plastiques bien sûr, mais aussi de la danse, du mime, du cirque, de l’art vidéo, du monde de l’informatique. Avec SPLENDID’S, adaptation du texte de Jean Genet, la jeune compagnie grenobloise DACM a choisi de confronter mannequins et acteurs masqués. Ce travail a pour but de développer de manière radicale les relations physiques entre l’humain et le mannequin, et n’a de cesse que de mettre en avant l’échange entre le danseur désireux d’être marionnettisé et la marionnette cherchant à prendre vie. Avec le danseur, les marionnettistes à l’origine de la création de ce groupe pensent avoir trouvé le partenaire idéal. Le danseur semble constamment chercher à échapper à son centre de gravité ; la marionnette, pour se rapprocher d’une gestuelle humaine cherche à se construire son propre centre de gravité : c’est la confrontation de l’un en quête d’un équilibre imaginaire et de l’autre jouant à le perdre que la mise en scène de ce spectacle cherche à développer. On assiste ainsi à l’élaboration d’un théâtre de manne- quins qui tend vers la chorégraphie, où les deux corps, le corps dansant et celui de la marionnette, se retrouvent tous les deux délivrés de la tentation de la psychologie et se tournent vers la figure. À Berlin, le Tram Theater est né de la rencontre en décembre 1999 de jeunes artistes d’horizons artistiques variés (comédiens, marionnettistes, sculpteurs et vidéastes) désireux d’unir leur imaginaire et leur savoir faire. S’inspirant de la trame du PLUME D’ANGE du chanteur Claude Nougaro, le travail de répétition a abouti à un spectacle visuel reposant essentiellement sur une dramaturgie de l’image. Cette première création s’est appliquée à donner corps, par le biais de la marionnette et d’un dispositif de projections, aux images cachées dans la matière textuelle. Car la marionnette permet ce passage à une narration non plus seulement verbale mais presque exclusivement visuelle. Le traitement de l’image par le biais de la projection vient renforcer ce jeu sur la perception et le passage de la réalité au merveilleux tout en contribuant à la construction de l’espace de jeu.
En intégrant la marionnette à des formes singulières et originales, les jeunes artistes de ces compagnies impliquées dans la création pour marionnettes jouent avec les possibles et interrogent les limites de cet art. Si certains s’orientent vers des voies nouvelles, d’autres continuent toujours à explorer des formes plus traditionnelles en tentant de les rendre pertinentes aujourd’hui sans en perdre la force originelle. Qu’il s’agisse du PUNCH IS NOT DEAD ou des Marionetas Del Matadero et ses éternelles et hilarantes NOCES DE DON CRISTOBAL, ces jeunes marionnettistes tentent avec bien d’autres, de suivre et de remettre au goût du jour une tradition séculaire issue des montreurs de foire et fortement ancrée dans le théâtre populaire : celle de la marionnette à gaine, espace de liberté par excellence.
Riches d’une tradition magnifique, ces jeunes créateurs ne doivent pas perdre de vue la spécificité et la force de leur art, pour mener une action artistique toujours plus à l’écoute des évolutions culturelles du moment, et participer avec leur moyen d’expression propre, au théâtre, à l’art vivant de demain.
Merci à Giselle Vienne et Renaud Herbin pour leur collaboration.