QUAND Nancy Delhalle et Julie Birmane m’ont proposé de faire mon autoportrait, j’ai dit oui tout de suite. J’ai pensé, comme elles, avec elles, que cela m’amuserait.
Quelle imprudence ! Mais pourquoi diable ai-je accepté ? C’est sans doute mon côté « Bélier » qui m’a encore une fois fait foncer, tête baissée sans réfléchir. C’est aussi, sans doute, une bonne part de narcissisme : il est vrai que j’aime qu’on me demande ; à tort ou à raison, je trouve cela sympathique et flatteur, cela me donne le sentiment que ce que je fais est apprécié, désiré, voire aimé … Je peux me tromper, bien sûr, il suffit parfois simplement que mon nom, lisible en bonne place sur une liste, vienne à point pour remplir un espace vacant ou que quelqu’un d’autre se soit désisté. Tant pis, j’aime aussi me bercer d’illusions, au moins pendant un certain temps, pendant le temps, par exemple, de l’écriture.
Mais une fois mise au pied du mur, ou plutôt assise devant mon écran, les illusions ne suffisent plus, l’enthousiasme s’évapore et le narcissisme se met à faire cruellement défaut. Alors on réfléchit. Pourquoi les mots qui viennent sonnent-ils si faux ? Pourquoi les idées qui émergent semblent-elles toutes tellement anecdotiques ?
Quelque chose n’est pas clair. Un doute surgit : ne serais-je pas en train de confondre joyeusement « portrait » et « autoportrait » ? Et je me dis que si le « portrait » est à la fois un genre pictural et un genre littéraire, « l’autoportrait », lui, ne se conçoit que dans la peinture ou la photographie ; bref, il faut une autre image, une image vraie, réelle, préalable. D’ailleurs, visible ou non dans l’œuvre quand elle est achevée, il y a toujours quelque part un miroir. les dictionnaires et encyclopédies que je consulte à ce sujet confirment cette intuition. J’interroge également le dictionnaire des œuvres de Laffont- Bompiani, et je n’y trouve qu’un seul ouvrage intitulé AUTOPORTRAIT. C’est amusant. Voilà qui met de l’eau à mon moulin : c’est l’œuvre d’un photographe ! Man Ray. Ou alors quand « portrait » il y a, il s’agit toujours de « Portait de l’artiste en … » jeune homme (James Joyce), jeune chien (Dylan Thomas) ou en jeune singe (Michel Butor). Ce « en » est important : c’est lui qui fait miroir pour l’écrivain ; il manifeste que celui-ci se représente, se voit préalablement comme jeune homme, jeune chien ou jeune singe avant de se portraiturer. Ainsi ce n’est plus lui qu’il peint — qu’il (d)écrit, plutôt, — mais le jeune homme, le singe ou le chien qu’il n’est pas/qu’il n’est plus mais en quoi il s’imagine. Et dans « imagine », il y a image ! C’est dire l’incompatibilité qui existe entre l’autoportrait et le mot.