Un théâtre dans la plaie À propos de l’œuvre de Sarah Kane

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Un théâtre dans la plaie À propos de l’œuvre de Sarah Kane

Le 1 Juil 1999
Daniel Cerqueira et James Cunningham dans CLEANSED de Sarah Kane, mise en scène James Macdonald. Photo Ivan Kynd.
Daniel Cerqueira et James Cunningham dans CLEANSED de Sarah Kane, mise en scène James Macdonald. Photo Ivan Kynd.

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Daniel Cerqueira et James Cunningham dans CLEANSED de Sarah Kane, mise en scène James Macdonald. Photo Ivan Kynd.
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Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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LOURDE RESPONSABILITÉ. Le pre­mier à par­ler. Celui qui a aimé le pre­mier. Amour trop vert, peut-être ado­les­cent, de celui qui déchiffre une écri­t­ure neuve. C’é­tait quand ? Vers la fin de l’an­née 1996 ? Isabelle Fam­chon, infati­ga­ble mil­i­tante des dra­matur­gies de langue anglaise, m’avait con­vié à rejoin­dre la petite équipe des tra­duc­teurs de la Mai­son Antoine Vitez. À cette époque là c’é­tait une petite mai­son de tolérance sym­pa. De ces lieux dont on a tou­jours besoin pour que les choses avan­cent. La con­fi­ance de Karin Wack­ers aidant, l’ac­teur avait trou­vé sa place par­mi les passeurs de langue. Pas­sager clan­des­tin, par­mi les uni­ver­si­taires et les tech­ni­ciens supérieurs de la syn­taxe, le verbe en ban­doulière, je rôdais dans les entre­ponts. On ne dira jamais assez les ver­tus de l’échange informel. À ce moment-là, le comité d’Anglais hési­tait entre dilet­tan­tisme éclairé et pro­duc­tivisme de bon aloi. On lisait, on écoutait les nou­velles fraîch­es ramenées d’Aus­tralie ou d’Ir­lande. Quelques-uns avaient lu un texte d’une jeune femme, une anglaise, à peine née au théâtre. Le par­rain n’é­tait pas n’im­porte qui ! Imag­inez ! Edward Bond ! Ça fait réfléchir ! Blast­ed. Le texte avait pour titre BLASTED. De mains en mains, le texte pas­sait. Quelques-uns pes­taient : « Provo­cant », « Trop de cul », « La langue, où est la langue ? », d’autres ne se sen­taient pas con­cernés. Les regards se sont tournés vers le pas­sager clan­des­tin : « Qu’est-ce qu’il en pense celui-là ? » J’avais pas lu. Il fal­lait lire. Ça tombait bien. J’ai tou­jours aimé les mal-aimés, ceux qu’on aime quand il est trop tard, ceux qu’on a fail­li aimer. Je m’y suis col­lé, comme on se colle à un devoir avec une copine de classe … et j’ai fini dans ses bras.

Sarah Kane, je l’ai pas vue. À quoi elle ressem­ble, j’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’elle et moi, on est fait pour s’en­ten­dre. N’allez rien imag­in­er ! Tout dans la tête. Tout dans le théâtre. Parce qu’elle et moi, on aime le théâtre. Ça c’est sûr.

Et puis tout est allé un peu vite. Les copains d’abord : Jérôme Han­k­ins, Séver­ine Mago­is. Allez vas‑y ! Et puis un édi­teur, l’Arche … Et voilà l’amoureux avec un con­trat de mariage sur les bras : … C’est vous qui traduisez !

Lourde respon­s­abil­ité.

Je ne traduis pas pour faire car­rière. Je traduis pour aimer. Je traduis pour avoir des textes à jouer que je ne jouerai peut-être pas moi-même. Ce texte-là je l’ai traduit pour un ami à moi : Daniel Girard, met­teur en scène tal­entueux. Trop ! Au point d’être encom­brant. Un texte comme celui-là, c’é­tait pour lui. Et ça sera peut-être pas. Drôle de méti­er ! Ça, c’est l’his­toire d’un amour qui naît. Et puis vient le jour où on vous demande : « Pourquoi tu l’aimes ? » C’est aujour­d’hui. C’est moi en train d’écrire que j’aime un théâtre qui racon­te une his­toire. Une his­toire avec des gens, des êtres humains, avec de la chair autour. Des gens qui ont mal à la chair.

J’ai lu BLASTED, j’ai lu PHAEDRA’S LOVE, j’ai lu CLEANSED et dans ce théâtre où les êtres vivent, je me suis fait une amie. Je le redis, on se con­naît pas. À peine un échange épis­to­laire, bref, tech­nique. On se dirait quoi ? On a mieux. Moi, j’ai les mots. Cet anglais qui va trop vite, quand le français prend son temps. Cet anglais gui va droit au but, quand le français dis­serte.

Le tra­duc­teur, comme l’ac­teur, est un aveu­gle qui ne veut pas deman­der son chemin, qui aime se cogn­er dans les murs, gliss­er sur les fruits mûrs et louper la porte du métro.

Sarah Kane n’écrit pas comme moi. Moi je suis un mec qui écrit comme un mec. Pas de con­clu­sion hâtive. N’es­sayez pas de devin­er à quoi ça ressem­ble dans ce que j’écris. Elle est trop bien pour qu’on l’imite. Alors j’ai choisi d’écrire avec le coeur, une grande let­tre d’amour, pour une jeune artiste pleine de tal­ent. Sarah Kane, c’est une femme. Ça, j’en suis sür. Un homme ne peut pas écrire des choses comme ça. Alors moi, l’ac­teur, vous pensez comme je jouis de traduire. Moi, la femme tou­jours cachée der­rière le masque. Depar­dieu a rai­son, on est tous des femmes. Alors, pensez le bon­heur de traduire cette langue brève, inci­sive, gui coupe à vif dans l’é­mo­tion. Une écri­t­ure âpre et rad­i­cale.

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Sarah Kane
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Lucien Marchal
Lucien Marchal est comédien et traducteur. Il fait partie du comité de langue anglaise de...Plus d'info
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