L’éternel féminin
Goethe parlait déjà de l’«éternel féminin ». Chez lui c’est Hélène de Troie qui l’incarna, la femme d’une indépassable beauté qui se trouve à l’origine du plus célèbre conflit qui mobilisa guerriers de renom, dieux et armées réunis. Goethe la ressuscite et permet à Faust de la rencontrer dans Faust II. Elle n’est pas d’ici, elle vient d’ailleurs, elle personnalise un fantasme dont Faust est épris. Elle est le contraire de Marguerite et son humanité broyée après que Faust se fut immiscé dans sa vie. Si la jeune fille perd ses esprits et meurt, Hélène vit toujours. Mais qui peut-elle être aujourd’hui ? Si l’on cherche son équivalent présent, alors on peut se dire : pour nous, Hélène de Troie est Marilyn.
Dans la société réputée prude de la fin du XIXe siècle — Foucault dans L’Histoire de la sexualité aurait démontré le contraire — c’est Lulu, la femme enfant de Wedekind qui suscite la déroute des sens, véritable sex-symbol avant la lettre. Rien ne lui résiste et la contagion érotique opère sans discernement. Lulu n’appelle pas, comme Hélène de Troie, à une plongée dans les profondeurs du temps, elle est un corps désirable dans le présent et elle va captiver Alban Berg, maître de la modernité qui lui consacrera son opéra de génie. Lulu, après avoir bouleversé un monde, finit dans le sang, tuée. Qui peut- être Lulu aujourd’hui ? Toujours Marilyn, elle aussi morte d’une étrange manière.
Les actrices, les plus splendides et les plus douées, ont toujours fasciné. Elles exercent un pouvoir d’attraction en raison même de leur nature double, dans la vie et sur le plateau ou sur l’écran. Créatures réelles et également fictives, les actrices produisent un vertige où se joue justement cette indécision fondamentale car, toujours, l’amant qui les désire confondra, au moins sur le plan imaginaire, le personnage et la femme, Phèdre et Sarah. L’actrice se situe dans l’entre-deux d’un intervalle qui rend incertaine son identité. Emilie Marty, le personnage de Karel Capek, repris par Janaček, participe à cette famille d’idoles modernes. Qui peut être Emilie ? Warlikowski sait que la scène a besoin de conversion concrète et pour avancer sa réponse, il a une intuition prodigieuse. Emilie ne peut-être que Marilyn.
L’éternel féminin